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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La grève du Centre Georges-Pompidou est un symbole courageux et digne

Loi de finances pour 2010 : culture -

Par / 27 novembre 2009

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, octroyer sept minutes pour traiter du budget de la culture pour 2010 et de son contexte gravement préoccupant, c’est mutiler le débat budgétaire, en obligeant à un survol. Je proteste contre cet amenuisement de la délibération parlementaire et me résous douloureusement à rappeler certains faits et à présenter quelques idées.

Je vous livre donc le petit inventaire en huit points que j’ai dressé.

Premièrement, je rappellerai quelques chiffres du budget. Il augmente, certes, mais pas dans tous les domaines. Le patrimoine, qui avait tant souffert précédemment, est le mieux loti. Les 100 millions d’euros prévus par le volet culturel du plan de relance sont confirmés. Mais la création, si stratégique dans toute politique culturelle, marque le pas. On connaît l’expression d’Aragon « se souvenir de l’avenir ». Si ce budget essaie de se souvenir, il renonce à l’avenir, comme en témoigne la stagnation des autorisations d’engagement en la matière.

Fort heureusement, les personnels travaillant dans ce ministère récusent la deuxième phase de la fameuse RGPP, la « réduction toujours plus gonflée de ce qui reste des politiques publiques ». La grève du Centre Georges-Pompidou en est un symbole courageux et digne, comme le préavis pour une grève reconductible à partir du mercredi 2 décembre, à l’appel des sept syndicats du ministère de la culture.

Deuxièmement, je m’attacherai à l’esprit du budget. Les chiffres sont une chose, leur esprit une autre. C’est une véritable avalanche : pas un document de l’État qui n’avance une petite phrase salvatrice ! M. Fillon, dans sa lettre à un conseiller d’État relative au Centre Georges-Pompidou, a ces mots : « Faire mieux et moins cher. […] Il est plus particulièrement nécessaire de s’interroger sur […] la nature et la structure des charges fixes et de leur degré de rigidité à la baisse ». Il va jusqu’à se poser la question suivante : « Qui doit assurer le financement ? »

Le président de l’Assemblée nationale a demandé à l’ensemble des présidents de commissions de réfléchir aux dépenses. La commission des affaires culturelles, le 21 juillet dernier, a ainsi mis en place une mission « sur l’optimisation des dépenses publiques et la suppression des structures publiques inutiles », en précisant, sans crainte du ridicule : « “Optimiser” ne signifie aucunement “réduire” les moyens. »

Troisièmement, il apparaît que le budget englobe désormais des fonctions nouvelles, le programme « Patrimoines » ayant enfin du grain à moudre. Mais il faut « trousser » le document budgétaire. Le ministère, souhaitant se libérer d’une partie des monuments dont il avait directement la charge, les avait proposés aux collectivités territoriales, mais avec un piètre résultat. Cette année, le budget s’attaque aux opérateurs du ministère, soit à quatre-vingt-deux structures résultant de la politique d’autonomisation antérieure. Désormais, c’est fini ! Le contrôle des économies s’applique également à ces établissements et explique l’offre de transfert d’éléments du patrimoine aux collectivités locales. Il s’agit des grands monuments du Centre des monuments nationaux. Le pouvoir souhaite qu’ils trouvent preneurs et prévoit, s’ils rencontrent des difficultés à honorer leurs engagements, de les vendre.

Il s’agit d’une remise en cause du caractère inaliénable de ces monuments. Après la parution du rapport Jouyet-Levy, lequel évoquait une telle possibilité pour les objets, sculptures et tableaux des musées, l’émotion avait été très grande. Le rapport demandé alors à Jacques Rigaud avait conclu à leur caractère inaliénable. Mais nous y revoilà ! La conduite est inélégante, je dirai même immorale.

Quatrièmement, j’évoquerai les oubliés du budget. Je me rends souvent dans les régions, dont je découvre avec plaisir les différentes facettes. Partout, j’entends des propos graves sur les carences et béances des crédits. C’était vrai cette année, ce sera encore plus vrai avec le budget pour 2010. L’action relative à l’accès à la culture subit une saignée : moins 4 millions d’euros pour les pratiques amateurs ; moins 1,5 million d’euros tant pour les publics spécifiques que pour les nouvelles technologies, ainsi que pour les politiques spécifiques en faveur du cinéma.

On cherche vainement la prise en compte des conclusions des entretiens de Valois, la crise de l’intermittence n’est pas abordée et l’élan financier nécessaire manque pour appliquer les dispositions prévues dans la loi en matière d’archéologie préventive.

Cinquièmement, ce budget « chasse » les emplois. Face au drame de l’intermittence, il est incompréhensible que le secteur audiovisuel spectacle du pôle emploi Georges-Méliès de Saint-Denis soit supprimé, alors que la Plaine-Saint-Denis, véritable ville de l’image, accueillera bientôt la Cité du cinéma de Luc Besson. Je le rappelle, 5 000 intermittents étaient suivis par cette agence.

Le plan triennal de suppression d’emplois, selon la mathématique-guillotine du « non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux » a prévu, sur les budgets 2009, 2010 et 2011, la suppression de 415 emplois au ministère de la culture et de 255 dans les établissements publics, soit un total de 670. Mais l’esprit de ce budget et la logique même de la RGPP 2 nous conduisent vers les mille suppressions en trois ans. Je pense notamment à la réduction des charges fixes n’excluant pas la masse salariale et aux coupes claires effectuées dans les subventions de l’État allouées aux opérateurs, notamment aux établissements publics.

Ce budget, comme la stratégie sarkozienne qui le sous-tend, « désosse » les services !

Sixièmement : les budgets boucs émissaires.

L’émotion parmi les personnels, à tous les degrés de responsabilité, est d’autant plus grande qu’il est suggéré aux intéressés d’aller frapper aux portes des collectivités territoriales. Personne ne manquera de le faire, mais c’est au ministère de lever le loquet financier. C’est comme si l’on espérait pouvoir détourner la colère !

Ne vient-on pas de voter la réforme des collectivités territoriales, qui amoindrit leurs capacités financières, comme en témoignent les discussions des crédits de la culture dans les budgets locaux ? Cette réforme vise à ôter la clause de « compétence générale » à différents échelons de collectivités territoriales, fermant ainsi les possibilités de financement culturel.

Le Président de la République a même parlé de « folie fiscale » des régions, alors que la politique nationale qu’il anime porte atteinte à leur liberté, notamment celle de lever l’impôt. Les professionnels de la culture ont un intérêt convergent avec les professionnels des collectivités locales et les habitants de celles-ci. Le Président de la République tente de bâtir un mur d’incompréhension entre ces citoyens. Stoppons la construction de ce mur !

Septièmement : le budget, le grand emprunt et la numérisation.

Dans le document budgétaire, ce thème n’est pas traité avec l’ampleur que vous avez souhaité lui donner au deuxième Forum d’Avignon, rencontres de dimension internationale qui se sont tenues la semaine dernière. Vous y avait fait, monsieur le ministre, un discours remarqué, qui reprenait, en les approfondissant, les thèmes que vous avez développés ici même, le lundi 16 novembre dernier, en réponse à une question orale que je vous avais posée avec la commission des affaires culturelles.

On trouve les bases de votre raisonnement dans le rapport Jouyet-Levy de novembre 2006, intitulé « L’économie de l’immatériel, la croissance de demain », qui a fait l’objet de réflexions importantes lors de la journée de travail des états généraux de la culture consacrée à « la culture à l’ère du numérique », qui s’est déroulée au Sénat le 13 mars 2007.

Pierre Musso, professeur des universités, y nota le rôle fondateur de ce rapport, l’équivalent du rapport Nora-Minc de 1978 sur « l’informatisation de la société française ». Selon lui, si le numérique y est érigé « au rang de mythe rationnel indiscutable », c’est « pour légitimer des politiques qui, elles, sont fort discutables »… Il poursuit : « En fait, la naturalisation de la technologie permet aux pouvoirs de la manier comme un discours de la causalité fatale, une sorte de Destin à accomplir. La technique, instrumentalisée comme un fatum, “nécessiterait”, “exigerait”…, comme si elle était extérieure à la société qui l’engendre. »

L’élément nouveau, dans le rapport Jouyet-Levy, c’est la combinaison de la fatalité de la technologie avec celle de la financiarisation. On peut y lire cette phrase : « La finance […] est en soi une composante de l’économie de l’immatériel. »

Pierre Musso commente : « Dans cette approche technico-financière, tout deviendrait immatériel : sur le modèle de la finance depuis longtemps dématérialisée, passant de l’or à la monnaie fiduciaire puis au bit d’information, les entreprises et les institutions, et même les Nations, deviennent des marques, et de façon plus générale, les réseaux d’information, notamment internet, dématérialisent les objets, le territoire, les institutions, voire les hommes transformés en “actifs immatériels”. L’homme traité de “capital humain” est objet de gestion comptable. Il est tout simplement géré, comptabilisé, traité comme un signe dans un bilan comptable, c’est-à-dire comme un actif immatériel. »

L’idée d’ériger l’immatériel au rang de nouvelle idéologie a germé au sein des services de l’OCDE, et a été reprise au sommet de Lisbonne en 2000. L’Union européenne s’est fixé l’objectif « de devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique ».

Or, continue Pierre Musso, « la notion d’“immatériel” dans le rapport est appliquée à l’innovation, à la recherche, à la formation et à l’enseignement, au design, à la mode, en passant par la créativité, le jeu vidéo, la publicité, les marques, l’entertainement, et même l’“esprit d’entreprise” […] Les rapporteurs précisent même qu’“il ne faut pas oublier qu’il existe une autre catégorie d’actifs immatériels : l’ensemble du champ des immatériels liés à l’imaginaire” […], ce qui permet de mettre sur le même plan la “création artistique et culturelle”, la publicité ou les marques. »

Le discours idéologique sur l’économie de l’immatériel souligne un fait majeur, l’importance de la connaissance et de la culture dans la société et l’économie, mais vise à les standardiser en actifs comptables et en signes valorisables, pour les soumettre à une financiarisation généralisée.

L’esprit des affaires, décidément, s’impose aux affaires de l’esprit.

Nous avons donc, monsieur le ministre, une divergence de point de vue sur ce rapport Jouyet-Levy. Le Figaro du 25 novembre a repris vos propos si lucides sur Google : « Google a franchi avec une rapidité étonnante les étapes de la croissance qui transforment une jeune pousse en une plante dont on peut se demander si elle ne tend pas à devenir carnivore ».

Je ne vous surprendrai pas si je vous dis que je crains que ces propos ne soient affaiblis. Vous rentrez d’une réunion européenne que vous avez justement provoquée. Que s’y est-il passé ? À quoi avez-vous abouti ? Peut-on connaître les usages que vous entendez faire de l’enveloppe destinée à traiter du numérique, que vous évaluez à 753 millions d’euros, afin qu’elle soit prise en compte par le Président de la République dans le grand emprunt ?

Le rapport de Michel Rocard et d’Alain Juppé contient beaucoup de projets industriels, mais pas le projet industriel français ou européen qui pourrait, selon un plan qui resterait à débattre, assurer la numérisation des livres autrement qu’en vrac. Il peut y avoir un partenariat public-privé. Mais Google n’est pas un privé comme les autres, c’est un monopole et, dans toute négociation, ce dernier l’emporte, sauf à avoir au préalable pris des mesures de régulation d’ampleur que je ne vois pas venir.

Il faut une entente générale au niveau européen, une entente des bibliothèques, des éditeurs, des libraires, des lecteurs – j’ose les inclure –, des écrivains et des auteurs, dont Google traite si mal les droits au point d’imposer le secret dans les marchés qu’il a passés dans son propre pays ainsi que, malheureusement, chez nous, même si ce n’est qu’une seule fois. Surtout, n’allons pas plus loin ! C’est un « non » que souhaitent entendre les intéressés, comme l’a montré l’accueil chaleureux qui m’a été réservé au Forum d’Avignon quand j’ai prononcé trois ou quatre phrases roboratives et verticales à ce propos.

Huitièmement, votre budget, le budget général et les salariés.

Un mot qui n’est pas une plainte, mais qui porte plainte. Même si vous pensez que je sous-estime votre budget, je maintiens qu’il s’inscrit dans un cadre d’ensemble qui ne respecte pas la dignité des salariés. Les économies réalisées dans tous les domaines qui concernent la vie des femmes et des hommes mutilent ces derniers. Et l’on vole à nos concitoyens, du plus pauvre au cadre, leur imaginaire et leur curiosité, dont ils voudraient rester maîtres. Ils ne respirent donc plus au travail, pas plus qu’au dehors, d’ailleurs. Ils cessent d’être partenaires de la création artistique, à laquelle vous êtes depuis toujours très attaché, monsieur le ministre.

C’est pourquoi j’ai entendu très profondément votre juste qualificatif de « carnivore ». Le vocable que nous voudrions voir régner, sur un autre plan, c’est la « tendresse », celle que symbolisa si longtemps celui qui disparut le 25 novembre 1959, Gérard Philipe. Je travaillais alors à L’Humanité Dimanche. Nous sommes tous sortis sur les grands boulevards. Innombrables étaient ceux qui avaient fait de même, les trottoirs devenant d’immenses et pourtant d’intimes terrains de conversations entre tous et chacun, chacune. Pourquoi ? Parce que Gérard Philipe savait nommer les choses. Camus a dit : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du Monde ». Gérard Philipe n’aimait pas le malheur du monde. Je lui laisserai le dernier mot, extrait d’un rôle qu’il interpréta à vingt-trois ans, précisément dans une pièce d’Albert Camus : « Je ne suis pas fou et même je n’ai jamais été aussi raisonnable. Simplement, je me suis senti tout d’un coup un besoin d’impossible. Les choses, telles qu’elles sont, ne me semblent pas satisfaisantes […] Le monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde »

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