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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Le triangle des Bermudes de l’opacité financière

Accord avec les Bahamas relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale -

Par / 12 juillet 2010

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à la suite de la décision de la conférence des présidents d’inscrire à l’ordre du jour la discussion, en procédure d’examen simplifié, d’un certain nombre de conventions fiscales internationales, nous devons avouer que nous nous sommes interrogés sur l’attitude à adopter.

À la vérité, cette soudaine éruption de conventions fiscales passées entre la France et des pays et territoires comme l’Île de Man, l’archipel des Îles Turques et Caïques, les Îles Vierges britanniques ou encore la Principauté de Liechtenstein nous a convaincus d’y porter un regard au moins attentif.

Les pays et territoires visés par ces différentes conventions sont connus pour faire partie, encore aujourd’hui – c’est d’ailleurs la finalité de cette série de conventions –, de ce que l’on appelle communément les « paradis fiscaux », ces lieux et cieux tranquilles pour qui veut voir ses revenus, de préférence importants, échapper au fisc français ou aux services homologues d’autres pays à législation fiscale constituée et opératoire.

Ils ont en commun de ne compter qu’un nombre fort réduit d’habitants résidents : 335 000 habitants dans l’archipel des Bahamas, 22 000 dans les Îles Turques et Caïques, 25 000 dans les Îles Vierges britanniques, moins de 30 000 dans la République de Saint-Marin et sur le rocher de Gibraltar, un peu plus de 34 000 dans la Principauté de Liechtenstein, 61 000 dans les Îles Caïmans, environ 65 000 à Guernesey, moins de 70 000 dans l’archipel des Bermudes, un peu plus de 75 000 sur l’Île de Man, 85 000 dans la Principauté d’Andorre et 90 000 à Jersey.

Ce sont donc des territoires peu peuplés, de taille souvent réduite, même si certains des archipels antillais et caribéens dont nous évoquons les spécificités aujourd’hui ont un domaine maritime étendu.
Les Bahamas, ce sont 700 îles et 2 400 îlots pour une grande part à louer, moyennant redevance, sur la base de baux emphytéotiques.

Nous sommes surtout en présence de territoires représentatifs, pour certains, d’originalités historiques, notamment en Europe, avec Andorre ou Gibraltar, mais plus généralement dotés d’un exotisme fiscal pour le moins déroutant.
Si l’on prend en effet la situation de la plupart des territoires antillais et caribéens que nous évoquons aujourd’hui, nous constatons que l’administration fiscale n’y est guère occupée ou, en tout cas, pas aux mêmes activités que les administrations fiscales européennes, puisque, de manière générale, il n’existe dans ces territoires ni impôt sur le revenu, ni impôt sur les sociétés, ni, a fortiori, d’impôt sur la fortune.

Dans plusieurs cas, les plus-values sont exonérées et les deux seules activités fiscales importantes sont, d’une part, l’encaissement de recettes d’enregistrement – constitution de sociétés et parfois droits de mutation – et, d’autre part, la perception d’un certain nombre de droits de douane et de droits indirects sur des produits de consommation importés pour la population résidente ou de passage.
Prenons le cas des Bahamas, où il n’existe donc ni impôt sur le revenu ni impôt sur les sociétés.

Les Bahamas constituent l’un de ces pays accueillant un pavillon dit de complaisance. L’archipel se situe même dans le tiercé de tête des immatriculations sous cette forme du FOC, flag of convenience, avec plus de 46,5 millions de tonneaux immatriculés, dépassant même les références que sont, en Europe, les îles de Chypre et de Malte.

Chacun gardera en mémoire la fameuse affaire du Prestige, ce pétrolier bahaméen qui vint souiller la Galice et les Côtes d’Armor.
Mais l’archipel partage avec d’autres destinations vacancières des retraités nord-américains le privilège d’accueillir ce que l’on appelle les International Business Companies, structures juridiques plus ou moins vides en termes de personnel et d’activité productrice, mais tout à fait décisives en matière de mouvements de capitaux et de prix de transferts internes au sein des groupes multinationaux.

Ainsi, les Bahamas comptent 160 000 IBC – soit presque une pour deux habitants résidents, enfants compris ! -qui acquittent chaque année 3 000 dollars de droits d’enregistrement. Vu le volume des sommes brassées par ce type de structure, on mesure immédiatement l’impact de cette fiscalité.
Au demeurant, comme il n’y a pas de limite au dumping fiscal, d’autres territoires, dont nous examinons d’ailleurs la situation ce jour, proposent le même service – l’enregistrement d’une structure juridique ad hoc à visée d’optimisation fiscale, puisqu’une IBC n’est que cela – pour un droit moindre.
Ainsi, dans les Îles Vierges britanniques, le droit fixe d’enregistrement s’établit à 1 350 dollars, ce qui a d’ailleurs conduit les rues et le registre du commerce de la capitale de l’archipel, Road Town, à être peuplés de plus de 250 000 IBC, soit environ dix pour un habitant résident !

Les Bahamas ont toutefois une spécificité que beaucoup leur envient : celle de disposer d’un secteur bancaire important, qualifié d’offshore, regroupant 245 établissements et constituant, avec les activités immobilières, plus du cinquième du PIB de l’archipel. La crise financière aidant, cela a aussi constitué l’une des causes de la contraction de l’activité économique du pays.
Notons, bien évidemment, que les activités touristiques se révèlent également importantes pour l’économie locale. Elles sont d’ailleurs, faut-il le rappeler, à l’origine de l’essentiel des emplois dans l’archipel, emplois dont l’existence est directement liée à l’activité des croisiéristes.

Cela dit, il y a bien longtemps que l’assaut des touristes américains sur Nassau a été remplacé par les opérations financières et les activités de holding, qui constituent la spécificité de l’archipel.

New Providence, l’île qui abrite la capitale, est effectivement une providence pour tous les analystes financiers, les dirigeants de groupes, qui peuvent faire transiter par l’archipel – le plus souvent électroniquement – tout ou partie de leurs activités et, singulièrement, de leurs profits réalisés ailleurs.
Dans le même ordre d’idées, on se rappellera que la société gestionnaire de la boîte de nuit du chanteur Johnny Hallyday, l’Amnésia, physiquement située au pied de la Tour Montparnasse, était juridiquement implantée dans les Îles Caïmans,…

Mme Nathalie Goulet. Et à Dubaï !

M. Thierry Foucaud. … où le régime fiscal des entreprises est quasiment identique à celui qui est pratiqué aux Bahamas.

Comment se déroulent ces activités, sachant que certains établissements bancaires français – je pense à Paribas qui, un temps, était présent à Nassau comme aux Îles Caïmans – ont pu avoir des succursales dans ces territoires et que les opérations concernent aussi les entreprises de production ?
Le schéma est connu : la production d’une unité réalisée dans un pays étranger est vendue, quasiment à prix coûtant, à une IBC implantée à Nassau. Puis l’IBC prélève sa dîme sur le prix de la vente et procède à la revente de la même production à une autre entité juridique du même groupe située dans un pays où la fiscalité est plus élevée.

Résultat : le différentiel de prix entre le lieu de production et le lieu principal de la vente – il peut d’ailleurs s’agir du pays d’origine de la société mère du groupe – est essentiellement capté par la filiale implantée aux Bahamas sous forme d’IBC, et échappe donc largement à l’imposition tant sur le lieu de production que sur le lieu de vente.
Cela vaut pour les Bahamas mais aussi pour des territoires moins éloignés de la France métropolitaine.

Ainsi, l’île de Jersey, dont il sera question dans une autre convention, ne compte qu’environ 90 000 habitants résidents dont un tiers, ou peu s’en faut, dans la capitale, Saint-Hélier, mais les activités financières sont déterminantes pour l’économie locale.
En effet, le PIB jersiais dépend à 53 % des activités financières, avec 47 banques gérant près de 200 milliards de livres de dépôts et 1 452 fonds d’investissement divers à la tête de 240 milliards de livres.
Nous avons donc une activité financière locale représentant 5 millions de livres de dépôts par résident !

De même, à Guernesey, le quart des emplois dépend des activités financières.
Les îles anglo-normandes, Gibraltar ou l’Île de Man partagent d’ailleurs avec les territoires antillais et caribéens dont nous parlions auparavant la même absence de fiscalité digne de ce nom sur les opérations financières.
À la vérité, nous aurions fort bien pu demander l’organisation d’une discussion sur chaque situation, le cas de la principauté d’Andorre et celui du Liechtenstein étant suffisamment intéressants pour cela. Mais le seul portrait, et il est peu reluisant, de ces quelques paradis fiscaux nous amène à considérer avec beaucoup de scepticisme la portée des mesures prévues par les différentes conventions.

Monsieur le secrétaire d’État, de quels renseignements l’administration fiscale française pourra-t-elle disposer de la part de pays où l’absence presque totale de fiscalité directe implique, mécaniquement, l’absence de rôles d’imposition, et donc d’une connaissance, même succincte, de la réalité des revenus perçus, des transactions effectuées, des bénéfices réalisés, si l’on recherche les opérations qui ont eu lieu depuis la métropole en direction de ces territoires ?
Nous pouvons même nous demander si ces conventions, présentées comme un pas dans la bonne direction, n’ont finalement pas d’autre objet que de donner un vernis de légalité et de respectabilité à ce qui va continuer à être mené sans vergogne ni complexe, c’est-à-dire des opérations de pure optimisation fiscale, touchant les placements financiers, les transactions monétaires et les échanges de biens et de services.

Nous pouvons même craindre que, du fait de son incapacité à répondre aux éventuelles sollicitations de l’administration française, l’administration bahamienne ne finisse par faire en sorte que les questions posées se perdent dans le triangle des Bermudes de l’opacité financière.

Ce qui est évidemment certain, c’est que les sommes transitant chaque jour par ces territoires ne profitent que peu aux résidents et se limitent, pour l’essentiel, aux salaires versés aux opérateurs locaux installés sur place.
L’intense spéculation financière menée depuis les territoires de complaisance fiscale dont nous parlons, transitant par eux ou opérée à destination de ces territoires, pollue depuis de trop nombreuses années la vie économique de l’ensemble de la planète et ne fait pas pour autant le bonheur des peuples.
Bien qu’experts en opérations financières, les Bahamiens ont un PIB par habitant deux fois inférieur à celui de la plupart des pays européens, et 14 % des actifs sont au chômage aujourd’hui, à la suite de la contraction de l’activité touristique.

Seulement voilà, les milieux d’affaires internationaux ont besoin de ces « lessiveuses » d’argent pas toujours très net, pour mener à bien la mission qu’ils imposent à la production, c’est-à-dire réaliser le plus possible de profits.
Et comme la crise financière de l’été 2008 a attiré l’attention de l’opinion publique sur les paradis fiscaux, ce que l’OCDE appelle les « territoires et pays non coopératifs », eh bien, il faut donner le change !

La vérité, c’est bien que cette convention avec le gouvernement de la Communauté des Bahamas comme les onze autres conventions fiscales qui nous sont proposées ne visent qu’à donner l’apparence de la « normalisation » des activités financières, permettant de sortir des listes noire ou grise de l’OCDE les douze territoires concernés.

Cette normalisation, par voie de conséquence et par pur parallélisme des formes, affectera non seulement les pays en question mais aussi, et surtout, les filiales, entreprises ou établissements financiers d’origine française qui viendraient à y exercer une activité.

Nous sommes pour notre part convaincus que rien ne changera avec ces conventions fiscales, et singulièrement avec celle qui a été passée avec les Bahamas.
On peut même craindre, dans un avenir plus ou moins lointain, qu’un pétrolier immatriculé à Nassau ne vienne, une fois encore, polluer les côtes de l’un des pays européens, peut-être même du nôtre.

Mais les activités offshore de l’archipel ne sont aucunement menacées par la convention, et elles pourront continuer de se dérouler autant « off » que « on » shore, avec vue sur le récif corallien et les flots turquoise…
Ce qui restera écrit sur du vent, ou, au mieux, sur le sable – pour mieux être emporté à la première marée – sera l’espérance de la transparence des transactions bancaires et financières.

Les dix dernières secondes de mon temps de parole m’éviteront de prendre tout à l’heure la parole pour explication de vote.

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