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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Les collectivités locales victimes d’une amnistie bancaire

Sécurisation des contrats de prêts structurés -

Par / 13 mai 2014

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce que le code général des collectivités territoriales prévoit que, au rang des dépenses obligatoires, figurent « les intérêts de la dette et le remboursement de la dette en capital », ces dernières années, certains établissements de crédit se sont permis de proposer aux élus locaux des produits financiers dits « structurés », comportant une part de risque fondé sur les éléments indiciaires servant à calculer leur taux d’intérêt.

Rappelons-nous : c’est en 1987 qu’Édouard Balladur, alors ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, ouvrait aux marchés financiers le financement des prêts aux collectivités, et que la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales, la CAECL, était transformée en société anonyme ouvrant la porte à l’alliance-fusion avec le Crédit communal de Belgique aboutissant à la création de Dexia en 1996.

Au fil de ses auditions et des témoignages recueillis, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux a établi que certains établissements, au premier rang desquels la banque Dexia, menaient une politique commerciale particulièrement agressive à l’endroit des élus locaux.

Le « cœur de cible » de Dexia, si je puis dire, ce sont évidemment les communes de petite taille, de 2 000 à 5 000 habitants, dont notre pays est riche. Elles exercent des fonctions administratives, sociales et économiques importantes pour leur environnement immédiat, mais leurs moyens d’expertise financière sont souvent limités...

La situation générale est connue : depuis que Dexia a abandonné la logique du service aux collectivités qui animait la défunte CAECL pour une logique commerciale pure, largement encouragée par la déréglementation bancaire, l’endettement des collectivités locales s’est accru, d’autant que les dotations budgétaires de l’État ont, pour leur part, suivi une pente exactement inverse...

M. Philippe Bas. Hélas !

Mme Marie-France Beaufils. Aujourd’hui, face aux emprunts structurés, à la montée des charges financières induites par les relèvements de taux d’intérêt, des élus locaux se retrouvent dans la plus parfaite incapacité de faire autre chose que d’expédier les affaires courantes.

Après les difficultés majeures au moment de la tourmente financière des années 2008 et 2009 qui ont entraîné Dexia sur la pente de la liquidation et ont abouti à la constitution de la SFIL et de la CAFFIL, la Caisse française de financement local, pour gérer l’actif des emprunts dits « toxiques », les élus sont confrontés à quatre choix.

Le premier, c’est de faire le dos rond et de payer sans discuter.

Le deuxième, c’est de chercher à rester en bons termes avec l’organisme ou les établissements prêteurs, et de tenter de renégocier autant que faire se peut les emprunts structurés en les transformant en de nouveaux emprunts moins « risqués », tout en s’accordant sur le règlement anticipé du capital avec les indemnités de renégociation associées.

Les articles 32 à 35 de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires ont mis l’accent sur cette situation en décrivant, outre la création de nouvelles modalités de financement de l’investissement public local, le cheminement et les effets de ces renégociations.

Mais la route n’est pas encore balisée. Monsieur le secrétaire d’État, les décrets en Conseil d’État qui devaient accompagner la mise en œuvre de cette loi sont encore lettre morte, sans doute perdus dans les sables du débat contradictoire entre les parties.

Il est évident que, à une époque où le taux d’intérêt légal est de 0,04 %, où la Banque centrale européenne refinance les banques avec un taux directeur de 0,25 %, où le taux d’intérêt des obligations à dix ans se situe à 2 % et le taux d’usure des prêts immobiliers à taux variable aux particuliers à 4,64 %, tout taux d’intérêt supérieur est considéré comme posant un problème majeur.

Or, dans le même temps, les collectivités locales se trouvent face à un interlocuteur qui refuse, manifestement, de renoncer à une part importante de son produit net bancaire, ce qui pourrait motiver l’inscription de provisions considérables pour abandon de créances. Des créances au demeurant largement virtuelles. La parité du franc suisse et de l’euro en 2025, fixée comme référence pour nombre de prêts structurés, devient très vite une donnée assez secondaire lorsqu’un prêt est remboursé par anticipation dès 2015...

Le troisième choix pour les élus, c’est de solliciter le fonds de soutien, dont la forme a été établie par le fameux article 92 de la loi de finances pour 2014. Mais une telle sollicitation est exclusive de toute procédure contentieuse. Bien que nous n’ayons pas eu l’occasion de débattre de cet article, pour des raisons sur lesquelles il me semble inutile de revenir, je voudrais formuler quelques remarques sur ce fonds.

Je commencerai par la principale d’entre elles. Appliquer l’article 92, c’est renoncer par principe à ester en justice. Mais c’est aussi, moyennant le remboursement anticipé des emprunts incriminés, une manière comme une autre de légitimer l’action menée par les établissements de crédit.

Mme Cécile Cukierman. Exactement !

Mme Marie-France Beaufils. Dans la transaction établie entre la collectivité et l’établissement créancier, c’est l’État qui intervient pour solder la pénalité de remboursement anticipé, sans mettre en question le comportement de la banque.

L’article 92, qui a failli devenir le support d’une forme d’amnistie bancaire avec les dispositions que le Conseil constitutionnel a justement censurées – à cet égard, on peut penser qu’il censurera également les deux premiers articles du présent projet de loi –, justifie, en fait, malgré quelques qualités, les comportements agressifs des banques à l’égard des élus locaux que l’on perçoit aujourd’hui. C’est pourquoi nous aurions attendu du Gouvernement qu’il exigeât du secteur financier un certain nombre d’efforts pour corriger les effets de ses errements.

Comme le recommandait la commission Bartolone, il serait sans doute plus opportun de mettre en place, au plus haut niveau, une structure permanente d’évaluation et de médiation entre collectivités et établissements de crédit pour pallier les désordres constatés.

À notre avis, il est nécessaire d’amener les établissements de crédit à se résoudre à provisionner l’abandon de créances rendu nécessaire par toute résolution acceptable des conflits nés des emprunts structurés.

Le quatrième et dernier choix pour les élus, c’est le contentieux et la jurisprudence, dont on sait bien que l’un et l’autre ont en commun de « renvoyer dans les cordes » les établissements de crédit au terme de la confrontation juridique.

De manière tout à fait précise, l’article 1er du présent projet de loi revient sur les termes de la jurisprudence Saint-Denis contre Dexia, qui, dans les faits, a conduit à la déchéance des intérêts exigés par l’établissement, pourtant défendu par l’excellent avocat Nicolas Baverez…

L’article 2 du texte, quant à lui, revient sur la jurisprudence Saint-Maur-des-Fossés en annulant purement et simplement ses effets sur la déchéance des intérêts de la dette de cette commune du Val-de-Marne.

Les auteurs du projet de loi n’ont pas eu la possibilité d’y inscrire un article de validation de la récente jurisprudence Lille Métropole contre Royal Bank of Scotland, dont les motivations soulignent le « défaut de conseil », c’est-à-dire le fait que l’établissement de crédit n’aurait pas respecté ses obligations déontologiques. M. le rapporteur nous expliquait tout à l’heure que les collectivités pouvaient, dans un tel cas de figure, demander l’annulation du contrat.

Ces obligations déontologiques, le code monétaire et financier en porte la trace au sein de ses articles L. 533-11 et suivants. Et n’oublions pas que le code civil comporte aussi des dispositions relatives au droit des contrats, aux termes desquelles la bonne exécution des contrats est liée à la bonne foi des parties.

À la vérité, le projet de loi dont nous débattons n’a pas souffert d’une grande publicité. Déposé peu après le week-end pascal sur le bureau du Sénat et examiné en urgence trois semaines après ce dépôt, il apparaît un peu comme un effort assez désespéré destiné à empêcher l’inéluctable floraison d’une jurisprudence sans cesse plus défavorable aux banques.

Il montre cependant que l’on ne peut plus « vendre » un prêt aux collectivités locales comme n’importe quelle marchandise.

Cela étant, un service après-vente d’une autre teneur doit être assuré. Or, dans une certaine logique de concurrence exacerbée sur le marché du financement local, certains établissements ont sans doute dépassé la mesure et manqué à leurs obligations de prudence et de précaution.

Dans le cas de Dexia, singulièrement concerné par le présent projet de loi, on va même jusqu’à évoquer la somme de 17 milliards d’euros d’encours toxiques, confondant allègrement, nous semble-t-il, capital emprunté et intérêts dus, plus ou moins virtuellement ou réellement, par les collectivités locales.

L’encours de ce qu’il faudra utiliser comme provision pour abandon de créances sera sans doute beaucoup moins important puisque, pour l’essentiel, rien ne semble remis en question quant au règlement du capital dû.

Au demeurant, si tant est qu’une vaste opération de remboursement anticipé des emprunts eût lieu, son incidence sur les comptes des établissements de crédit ne concernera que les pertes de taux d’intérêt.

La dramatisation de la situation pousse en fait le Parlement à voter le présent texte et à faire oublier la censure du Conseil constitutionnel du mois de décembre dernier.

Pour reprendre une expression qui eut son heure de gloire voilà quelque temps, il s’agit de « mettre la poussière sous le tapis » et de ne rien changer de fondamental aux agissements des banques vis-à-vis des collectivités locales, puisque le projet de loi reporte la résolution du problème au dialogue entre État et collectivités locales.

Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes opposés à l’adoption de ce texte, qui va faire des collectivités locales les victimes d’une amnistie bancaire qui semble montrer, s’il en était besoin, que nous sommes encore assez loin de la solidité absolue du secteur financier promise avec l’union bancaire.

Mme Cécile Cukierman. Très bien !

Mme Marie-France Beaufils. Où est la solidarité de place entre établissements de crédit quand les deniers publics sont sollicités et que toute jurisprudence défavorable aux banques doit être effacée par le biais de la validation législative ?

Le phénomène des prêts structurés aux collectivités locales n’est pas une spécialité française ; d’autres pays ont connu des situations proches de celle de la sinistre banque Dexia comme des décisions de justice sanctionnant les agissements des établissements de crédit.

L’affaire Bankia, en Espagne, née de l’éclatement de la bulle immobilière qu’a connue ce pays et due en grande partie aux prêts accordés aux collectivités locales espagnoles, tout comme le jugement allemand Deutsche Bank contre Ille ou encore le jugement italien au terme duquel a été prononcée la condamnation de quatre établissements de crédit considérés comme coupables d’avoir « placé » des produits structurés auprès de la ville de Milan en sont des exemples.

Selon nous, l’une des voies devant être explorée est celle de la résolution du problème par la Banque centrale européenne. Celle-ci, avant sans doute que nous ne soyons mis en demeure de laisser Dexia dépérir par réduction progressive de son bilan, serait probablement bien inspirée de proposer une plate-forme de refinancement aux collectivités territoriales de l’Union avec une structure ad hoc.

Une bonne partie des solutions aux problèmes posés réside sans doute également dans un renforcement de la palette de sanctions en matière financière dont disposent les autorités de régulation, aussi bien l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution que l’Autorité des marchés financiers.

Il nous semble même que la peur du gendarme doit désormais accompagner l’activité bancaire menée en direction des collectivités locales et que des règles propres au financement local doivent être mises en œuvre.

J’ai indiqué au début de mon propos que la clientèle des collectivités était légalement solvable parce que le paiement de la dette et des intérêts est une dépense obligatoire. Il ne serait donc aucunement injuste que les pratiques d’emprunt les concernant soient assorties de conditions particulières quant aux différés éventuels d’amortissement, aux taux pratiqués et à leur plafonnement, entre autres. Or nous n’en prenons aucunement le chemin avec le présent texte.

Pour le reste, le fonds de soutien existe et constitue, on le comprendra, un bon compromis pour les plus petites collectivités territoriales confrontées aux emprunts toxiques, certains centres hospitaliers ou, plus marginalement, certains organismes d’HLM, qui n’ont ni les moyens ni le désir de porter l’affaire devant les tribunaux, eu égard aux aléas propres à toute procédure juridique contentieuse.

Il faut renforcer ce fonds, notamment en sollicitant plus nettement la solidarité de place. Le fait que Dexia ait été spécialisé en financement local ne signifie aucunement que les autres établissements n’aient pas proposé également des emprunts structurés à cette clientèle choisie. Un tel renforcement permettrait de préfigurer la mise en place d’une structure permanente associant État, banquiers et élus locaux.

Pour ce qui est des contentieux juridiques, il convient de les laisser aller à leur terme.

Le principe de la séparation des pouvoirs qui guide notre État de droit doit être, en cette matière, parfaitement respecté. Que les décisions prises soulignent un peu plus la responsabilité écrasante des banques dans la situation créée ne peut aucunement justifier la validation législative.

L’intérêt général, dans cette affaire, c’est le respect du droit, c’est la possibilité pour les élus locaux de se libérer du poids de ces emprunts structurés, qui ont fait de maintes collectivités les cobayes plus ou moins consentants de l’ingénierie financière dans notre pays.

Dans l’étude d’impact associée au projet de loi, les effets de la persistance de l’hypothèque des emprunts structurés pour les collectivités locales ne sont pas évoqués. Au moment où l’on annonce aux élus locaux qu’ils vont être privés de 22 milliards à 28 milliards d’euros cumulés de dotations en trois ans, la facture devient particulièrement « salée » pour les collectivités et, au-delà, pour le contribuable local.

Pour nous, l’intérêt général réside justement dans la protection des collectivités locales et dans l’assainissement de leur situation financière. C’est une condition de la croissance et, au-delà, du redressement économique et financier de la nation. Le moment est venu pour les banques, nous semble-t-il, de faire un petit effort pour que les comptes publics des collectivités ne soient pas grevés de charges financières indues.

C’est en rejetant ce texte que nous pourrons mener, avec une efficacité renouvelée, la lutte contre les déficits de nos finances publiques.

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