Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Loi de finances pour 2007 : culture

Par / 8 décembre 2006

Deux pages de journaux symbolisent la situation culturelle française de plus en plus vidée de ses fondements essentiels.

L’une qui a occupé pleine page presque tous les quotidiens et hebdomadaires avec un message de VIVENDI : « LE DIVERTISSEMENT EST UN BESOIN VITAL comme boire, manger, dormir ».

L’autre qui est parue dans Le Monde du 30 novembre intitulé : « Henri-Claude Cousseau, Coupable d’Art Contemporain ». Henri-Claude Cousseau est directeur de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris et vient d’être mis en examen pour une exposition jugée attentatoire à l’innocence des enfants, faite à Bordeaux au Musée d’Art Contemporain qu’il dirigeait il y a 6 ans.

Ainsi, en France en 2006, VIVENDI (« véritable usine à rêves productrice d’argent » dirait Malraux) définit la politique culturelle avec l’encouragement de l’Etat qui dans la récente loi « Télévision du Futur » lui a fait des cadeaux comme l’un des trois opérateurs audiovisuels historiques (Canal +), comme l’un des nouveaux entrants de la TNT (Canal + / TPS) comme l’un des trois grands opérateurs de télécommunications (SFR Filiale de Vivendi). Là l’Etat s’empresse.

Ainsi en France en 2006 un grand serviteur de l’art dont les expositions ont fait date (« Antonin Artaud », « l’avant-garde russe » et plus récemment « Dieu et Mortels ») et tant d’autres réalisations dans l’exercice rigoureux et dérangeant de son métier, est mis en examen. C’est une atteinte extrêmement grave aux libertés conquises de l’art, des artistes, des œuvres. La solidarité se déplisse heureusement et s’accélère. Déjà 3000 signatures. Une réunion publique de toutes les disciplines artistiques se prépare. Mais l’Etat n’intervient pas. Pour le moment, il se satisfait d’attendre...la décision de justice. Là l’Etat se tait.

Je vais donc parler d’abord des questions de fond, de l’art « une blessure qui devient lumière » disait Braque et de ses étranges rapports avec ses regardeurs, auditeurs, lecteurs, avec ses interprètes. Les premiers quand ils sont populaires et pauvres sont certes évoqués avec compassion, mais traités comme en trop dans la société et presque priés de se faire oublier. Les seconds quand ils sont débutants, sans succès grand-commercial, intermittents, voient leur statut de précaire, précarisé jusqu’à être supprimé et remplacé par rien. Cela s’appelle un licenciement.

Georges Bataille disait : « Dans la mesure où l’homme admet la morale utilitaire on peut dire que le ciel se referme sur lui. Il méconnaît la poésie, la gloire, le soleil à ses yeux n’est qu’une source de calories ». Avec cette philosophie votre budget a froid. Je prendrai deux exemples liés à l’exercice de mes fonctions de membre de Conseil d’Administration du « Théâtre National de la Colline » et de « Monum ». Je m’y plais, j’aime y travailler, et j’y rencontre des femmes et des hommes, artistes, fonctionnaires, syndicalistes, personnalités au contact desquels souvent je me rallonge.

Mais le mercredi 29 novembre à la Colline, et le vendredi 1er décembre à l’Hôtel de Sully pour Monum, deux choses m’ont frappé et mis en colère.

Premièrement, au Théâtre National de la Colline. Les 5 % que la Lolf impose de réserver sur le budget 2007 donc de ne pas dépenser, le Ministère de la Culture en accord avec Bercy autorise la Colline comme les autres établissements de les prendre sur les fonds de roulement avec un butoir d’un tiers de ces fonds. C’est une commodité suicidaire derrière son apparente générosité. En effet en 2009 si cela perdure il n’y aura plus de fonds de roulement et qui sera alors...le tiers payant ? Les collectivités locales, alors qu’elles n’en peuvent plus, surchargées par l’Etat ? Les spectateurs mais quid des plus modestes d’entre eux ? Le privé comme s’il était possible d’obtenir un mécénat pour tous ? Il reste la diminution des coûts artistiques c’est-à-dire la mise en cause du cœur de métier même de la Colline. Dans les institutions culturelles la seule variable d’ajustement serait donc l’art et les artistes. Cela ressemble à l’entreprise où la seule variable c’est le salarié. Mais il y a plus, cette procédure généralisée constitue un hold-up de l’Etat sur les fonds de roulements des institutions culturelles. D’ailleurs, n’avez-vous pas été interrogés gravement par les directeurs ou présidents de la Bibliothèque Nationale de France, de la Cité des Sciences et de l’Industrie, de l’Opéra National de Paris, du Musée d’Orsay, du Musée du Louvre, du Musée du Quai de Branly, de la Cité de la Musique, du Centre Pompidou et du Centre des Musées Nationaux ?

Deuxièmement à Monum. Le Conseil d’Administration avait à voter son budget et nous avons eu une information sur le développement de Monum. Sur ce dernier point, je voudrais évoquer ce qui s’est passé ici au Sénat à 2 h 15 dans la nuit du 27 au 28 novembre quand est venu en discussion deux jours plus tôt que prévu l’article 30 organisant les finances et la maîtrise d’ouvrage pour Monum. Un amendement du rapporteur général du budget voulait supprimer cet article 30, critiquant le fait qu’avec lui trois structures auraient la maîtrise d’ouvrage, et que les 70 millions d’euros supplémentaires affectés à Monum ne serviraient qu’aux seuls monuments nationaux. Jean-François Coppé, ministre délégué au budget, répondit que pour la maîtrise d’ouvrage la compétence de Monum simplifiera progressivement la question en devenant unique intervenant. Pour le financement, il déclara que depuis 2002 1,8 milliards d’euros avaient été consacrés aux monuments historiques et ajouta : « c’est beaucoup d’argent ». Si vous lisez le rapport de la Mission d’Information créée sur le patrimoine par notre Commission des Affaires Culturelles, vous constaterez que c’est avec ce « beaucoup d’argent » qu’ont été interrompus en 2005, 80 chantiers et différés 170 autres, et interrompus en 2006, 300 chantiers avec les pertes d’emplois consécutives (700), la diminution des apprentis et la mise en cause de la pérennité de nombre d’entreprises d’art avec leur savoir faire. Il faut expliquer le sens du vote de 2h15 du matin. En effet, en un instant les lois de 1913 et de 1914 sur le traitement des monuments historiques ont été abandonnées. Certes une ordonnance avait été prise pour ce faire le 23 septembre 2005, une loi de ratification déposée le 9 décembre 2005. Nous sommes le 8 décembre, un an après et cette loi de ratification n’a toujours pas été déposée mais il a été possible de régler la question sans vrai débat à croire que le gouvernement le craignait.

Je sais ce qui était gênant. Le rapport Richert-Nachbach non seulement vous a conduit à commencer de corriger le tir, mais dans ses pages 39 à 43 il critique nettement le nouveau tir. Je cite trois phrases : « La nouvelle recette affectée à Monum ne garantit ni sa durabilité, ni la stabilité de son montant, ni la stabilité du montant global des crédits des monuments historiques ». « Le ministère privilégie les monuments d’Etat ». « Les crédits d’intervention transitant par les DRAC pour les monuments n’appartenant pas à l’Etat baissent de 18,5 % entre 2006 et 2007 ». Disant cela, je pense très fort en ce moment à l’aventure désastreuse de l’archéologie préventive...A qui le ministère a donné comme perspective de financement les collectivités locales qui n’en peuvent plus et le privé qui veut tout.

A travers ces deux expériences, je pense avoir montré les limites, les détours et les pièges du budget 2007 surtout si je précise ceci : en 2006 le Premier Ministre a alloué aux monuments historiques, qui étaient au régime sec depuis 2002, une partie de la privatisation des autoroutes, 100 millions d’euros qui bien sûr n’ont pas été consignés dans le budget 2006 et majorent d’autant les crédits de 2007 lesquels comptabilise les 140 millions de fonds de concours (qui en toute orthodoxie ne devraient pas figurer dans les bases.) Cela permet de présenter les crédits 2007 des monuments historiques avec une progression outrancièrement gonflée.
Avec ce qu’il faut bien appeler une supercherie et d’autres aussi, le budget 2007 du Ministère de la Culture ne croit pas à périmètre constant de 7.8% comme il est annoncé mais seulement de 2.7 % c’est-à-dire qu’avec l’inflation, aux alentours de 2%, il est proche de la stagnation. Laquelle se fait, par exemple, au détriment des crédits de l’architecture (-23%), de ceux d’acquisition et d’enrichissement des collections publiques (-19%), des actions spécifiques pour les publics et politiques (-20%). Les crédits du spectacle vivant, eux, n’évoluent pas.

Oui le budget 2007 de la culture n’est pas à niveau. Il ne se présente pas avec la limpidité que la Lofl avait promise. Il fragilise, si une bifurcation n’est pas prise, l’autorité du Ministère de la Culture et l’efficacité de son administration qui connaît un certain désenchantement jusqu’à pratiquer parfois l’autocensure. Mais il y a plus. Le budget 2007 de la culture commence à mettre en cause l’existence même du ministère et certains y pensent comme Nicolas Sarkozy. Nous allons à terme vers un Ministère de contrôle, de sécurité culturelle.

On me dira qu’il y a des réalisations et des projets d’envergure, comme le Musée du Quai de Branly et le projet de la grande salle de concert à la Villette. Vous savez que le premier doit son existence à la volonté présidentielle et que le second est notamment une conquête de haute conviction et action d’un homme Pierre Boulez et des équipes de la Cité de la Musique qui ne baissèrent jamais l’archet.

Il n’y a plus d’élan public venant de l’Etat. On est comme sœur Anne dans une vaine attente de l’ambition d’André Malraux de favoriser la construction « des usines à rêves productrices d’esprit ».

Alors que tout réclame la mise en œuvre d’une responsabilité publique et sociale en matière de culture valable pour le secteur public et pour le secteur privé, l’Etat encourage le secteur privé, privatise des domaines publics et laisse ce qui reste du secteur public avec ses difficultés.

Il laisse aussi la banlieue. J’ai mentionné les plaintes des animateurs des grands équipements nationaux. Mais en banlieue où les efforts locaux sont substantiels pour soutenir de multiples petits, moyens et grands projets, on ne se plaint pas on porte plainte.

Je me limiterai à la ville où je vis, Aubervilliers, où tous les fronts culturels sont tenus et ont été créés à l’origine sans aide de l’Etat. Retenons-en deux.

Le Conservatoire National de Région d’Aubervilliers-La Courneuve. Il accueille 1600 élèves notamment de milieu populaire. Il assure avec qualité, courage et succès toutes les fonctions légales d’une telle structure, ce qui ne l’empêche pas d’innover en particulier à l’extérieur où il intervient par exemple dans les écoles. L’Etat, qui en 2008 a décidé de ne plus subventionner les conservatoires ...nationaux, ne finance que 13,5 % du budget du CNR Aubervilliers-la Courneuve, lequel s’élève à 3,5 millions d’euros. Pour l’année 2007, il nous retire 25.000 euros. Ce Conservatoire a 50 ans.

Le Théâtre de la Commune. Didier Bezace l’anime avec imagination, talent et très grand succès. Il est très fortement engagé dans le partage artistique avec un public populaire. Quand les deux salles fonctionnent ensemble c’est une véritable ruche. C’est un théâtre de création, généreux et exigeant, répondant à une volonté et à un besoin profond exprimé par les citoyennes et citoyens. Sa belle vitalité même (artistique et publique) demande de nouveaux moyens afin de poursuivre l’exploitation des spectacles, de jouer régulièrement dans les deux salles, d’assurer des rencontres dans les quartiers avec des petites formes. Actuellement l’Etat couvre 68.54 % du fonctionnement, la Ville 18.69 % le Conseil Général 17.78 %. L’effort de l’Etat est réel mais la marge artistique du théâtre est bloquée. Il faut lui donner un élan significatif. Ce théâtre a 40 ans.

Une dernière information : il y a 1300 communes dans la région parisienne. Si l’on considère le revenu moyen par foyer fiscal, en 2005, Aubervilliers était la 1288ème commune et la Courneuve la 1299ème.

Le 24 janvier dernier, Nicolas Sarkozy déclarait lors d’une journée UMP sur la culture qu’il fallait avoir conscience que le monde des artistes en avait assez des bonnes paroles et demandait des actes. Sans commentaire.
Encore que j’entends comme un grondement sourd des intermittents qui mercredi dernier a éclaté dans les rues de diverses villes de France, dont Paris (5000 manifestants) avec dignité face à la décomposition organisée de leur statut. C’est que le débat du 12 octobre qui les concernait à l’Assemblée Nationale a été dramatique pour eux. Le président du groupe UMP a osé demander le quorum, une véritable discrimination puisqu’il l’ignorait une heure avant sur un autre sujet. Et pour créer quoi ? Un quorum des artistes de demain. La fonction artistique maintenant a des frontières, un mur et le MEDEF en a été rageusement le premier maçon et vous tentez de le cimenter aujourd’hui par un amendement de dernière minute.

Je conclurai en parlant de la journée « La culture est-elle un enjeu politique » qui s’est tenue vendredi 1er décembre à la Cinémathèque Française à l’initiative d’Arte, France Culture et Radio France. Initiative intéressante dont je retiens un propos, celui d’Antonio Tabucchi : la culture bien sûr est un enjeu politique et c’est si vrai qu’en Italie la politique a mangé la culture. Il a énuméré un étonnant chapelet des méfaits et forfaits des affaires, surtout médiatiques, et de la politique mêlés sous la houlette de Berlusconi. En France, c’est bien sûr différent, mais l’est-ce tellement ? Revenons aux deux pages de journaux : la publicité de Vivendi comme les cerveaux disponibles de TF1 c’est du berlusconisme, et de laisser mépriser sans solidarité effective un homme de l’art, ses deux collaboratrices et 25 plasticiens, c’est aussi du berlusconisme à la française.

Puisque l’Italie nous fait réfléchir, et que j’ai pris plaisir aux dernières créations de Dider Bezace, laissons à Dario Fo le dernier mot : « Lorsqu’un enfant naît ses parents s’empressent de le faire rire en lui faisant des grimaces. Pourquoi. Parce qu’au moment où il rit cela signifie que l’intelligence est née, il a su distinguer le vrai du faux, le réel de l’imaginaire, la grimace de la menace, il a su voir au-delà du masque. Le rire libère l’homme de la peur. Alors rions ».

Les dernieres interventions

Finances Les injustices de la solidarité fiscale pour les femmes

PPL Justice patrimoniale au sein de la famille - Par / 19 mars 2024

Finances Médecine scolaire : l’État doit assumer son rôle

Proposition de loi visant à PPL visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires - Par / 18 mars 2024

Finances Et pour 13 000 milliards de dollars

Rapport de la Cour des comptes 2024 - Par / 13 mars 2024

Finances Non à l’économie de guerre

Financement des entreprises de l’industrie de défense française - Par / 7 mars 2024

Finances Les Départements dans le collimateur

Débat sur les finances des Départements - Par / 7 mars 2024

Finances Que faire d’EDF ?

Proposition de loi proposition de loi visant à protéger visant à protéger EDF d’un démembrement - Par / 24 janvier 2024

Finances Un budget, deux visions de la société

Explication de vote sur le projet de loi de finances pour 2024 - Par / 12 décembre 2023

Finances La chute de la démographie a bon dos

Débat sur les crédits de l’enseignement supérieur - Par / 4 décembre 2023

Finances Le logement est en urgence humaine, sociale et économique

Vote des crédits pour la cohésion des territoires - Par / 1er décembre 2023

Finances Les lois de la République contre celles des actionnaires

Débat sur la partie recettes du projet de loi de finances pour 2024 - Par / 23 novembre 2023

Finances Le budget de l’État à l’aune de la vie de Chantal

Question préalable au projet de loi de finances 2024 - Par / 23 novembre 2023

Finances 30 millions d’euros pour l’aide alimentaire

Vote sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 - Par / 20 novembre 2023

Administration