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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Sécurité financière

Par / 18 mars 2003

par Paul Loridant

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,

Ce projet de loi relatif à la sécurité financière que nous commençons d’examiner ce jour se présente sous diverses orientations et fondements que nous ne pouvons, au seuil de cette discussion générale, que rappeler.

Le moins que l’on puisse en effet dire du présent texte est qu’il se situe dans la droite ligne d’une ’ histoire ’ législative récente, tentant, autant que faire se peut, de poser les conditions d’une régulation des phénomènes de marché et notamment des marchés financiers, susceptible de préserver et les investisseurs et le grand public de certaines ’ dérives ’ constatées dans une actualité plus ou moins récente.

Il se situe notamment dans le droit fil de deux textes relativement essentiels : d’une part, la loi sur la modernisation des activités financières, d’autre part, celle relative aux nouvelles régulations économiques, dont certaines dispositions n’ont d’ailleurs pas encore trouvé d’application concrète, faute de prise de décisions de caractère réglementaire.

Il se situe également dans le prolongement d’autres textes, qu’il s’agisse des lois de finances des dernières années ou par exemple de la loi portant mesures urgentes à caractère économique et financier ( loi MURCEF ), dont il aménage certaines dispositions.

Enfin, pour une part essentielle ( celle concernant la mise en place de l’Autorité des Marchés Financiers ), il ne fait que reprendre un texte déposé sur le bureau des assemblées par le précédent gouvernement tandis que d’autres dispositions ne sont que la déclinaison française de directives européennes ( nous pensons par exemple aux dispositions relatives à l’assurance automobile ).

Ce texte pourrait apparaître donc a priori comme un simple prolongement valant adaptation de dispositions déjà prises et, en quelque sorte, complétées, mais ce serait là oublier quelque peu le fond du débat qui nous préoccupe.

Et ce fond, c’est bien entendu ce sur quoi cette intervention va porter.

Quelque part, quand on y réfléchit bien, ce projet de loi est une forme de réponse aux multiples interrogations nées dans l’opinion de l’évolution la plus récente de l’activité économique et singulièrement de l’activité boursière.

Ce sont quelques uns des scandales qui ont frappé notre ’ industrie financière ’ qui sont, qu’on le veuille ou non, à la source de ce projet de loi.

Et manifestement, la mise en œuvre de la loi sur la modernisation des activités financières n’a pas empêché, Monsieur le Rapporteur, que nous connaissions ces problèmes.

Nous avons en ces matières nombre d’exemples qui tendraient presque à prouver que peu de choses se déroulent dans la transparence requise.

Rappelons - nous par exemple de l’affaire Eurotunnel, où des centaines d’actionnaires personnes physiques, alléchés par la publicité éhontée faite au développement ’ potentiel ’ de la liaison Transmanche, ont fini par y perdre leurs économies, occasionnant d’ailleurs la mise en place d’une réflexion sur la question de l’information des actionnaires.

Évidemment, les exemples étrangers parlent d’eux - mêmes et je ne peux manquer de les rappeler, y compris parce que les législations et les procédres de régulation qui y ont cours sont souvent montrées en exemple pour justifier de nos propres évolutions juridiques.

Comment en particulier ne pas souligner par exemple le cas d’Enron, entreprise qui s’était positionnée sur le marché de la distribution d’électricité ( ce qui pourrait nous interroger d’ailleurs sur le sens que l’on souhaite donner à l’ouverture à la concurrence des grands marchés de services publics ), et qui a, avec la complicité d’un grand cabinet d’audit comptable, pourtant mondialement reconnu, présenté à ses actionnaires de faux bilans et de faux résultats comptables, alors même que la situation réelle de l’entreprise ne faisait qu’empirer ?

On ne peut d’ailleurs oublier dans ce débat que l’un des principaux intéressés dans cette affaire est aujourd’hui en position de jouer les apprentis sorciers dans la crise du Moyen Orient, d’autant qu’il est Président ( mal élu ) des États Unis d’Amérique.

Revenons quelque peu sur le territoire français.

Nous disions que l’actualité économique récente avait été marquée par de multiples exemples des dérives des activités de marché.

La réalité est que la confiance en l’économie financière et notamment dans la solidité de la Bourse est pour le moins ébranlée dans l’opinion publique.

S’il en fallait une preuve, il conviendrait peut être de revenir sur la discussion initiale de la loi sur la modernisation des activités financières.

Il s’agissait alors, selon vous, Monsieur le rapporteur, ( je cite ) de « parvenir ensemble à donner à la place, aux épargnants et aux gérants de capitaux, les signaux dont ils ont besoin pour avoir confiance.

Car c’est bien de confiance dont il s’agit ici.

La confiance, vous le savez fort bien, Monsieur le Ministre, ne se décrète pas, elle se constate et consacre une certaine évolution des situations et, surtout, des esprits.

Ce que nous faisons aujourd’hui est particulièrement important pour le devenir de l’industrie financière sur la place de Paris ( fin de citation ).

Ce discours qui a environ six ans, vu qu’il a été prononcé le 13 mars 1996, doit encore être apprécié à l’aune des faits et des réalités.

Le CAC 40 a ainsi connu, pendant la phase de croissance économique des années 1997 - 2001, un développement réel, manifestement excessif pourtant au regard de la réalité de la croissance économique, conduisant notamment à battre, jour de Bourse après jour de Bourse, des records de capitalisation.

Nous sommes en particulier parvenus à un indice dépassant les 4000 points, porté entre autres par des valeurs comme Alcatel ou France Télécom.

Le problème est que l’actualité la plus récente est tout à fait différente.

Le CAC 40 bat désormais des records de faiblesse, flirtant dangereusement pour les investisseurs avec le niveau de 2500 points, consacrant pour nombre d’entre eux des moins - values conséquentes.

Et l’on ne peut oublier ici que, pour venir au secours de ces marchés soudain frappés par la déprime, c’est encore vous, Monsieur le rapporteur, qui nous avez proposé, lors de la discussion de la loi de finances pour 2003, et l’imputation sur dix ans des moins values boursières et l’ouverture de nouvelles possibilités d’alimentation des PEA touchés par les moins values.
Ce qui ressort aussi de cette expérience récente, c’est que nombre de ménages moyens, disposant de quelques économies qu’ils ont engagé dans le cadre de la bulle boursière, ont connu bien des désagréments et bien des pertes de revenus significatives.

Le séisme de la chute du CAC 40 est relativement méconnu mais il a en tout cas, aussi sûrement sur les économies de ces ménages, entamé la confiance qu’ils pouvaient avoir dans un système économique libéral soudain devenu vertueux.

C’est là de notre point de vue un exemple de ce qui peut nous attendre dans les années à venir.

Nous pourrions en effet nous accorder sur le contenu du champ de compétences de l’Autorité des Marchés Financiers, et lui conférer la personnalité morale, ce qui lui permettra d’ester en justice, mais nous ne pouvons oublier qu’une bonne partie de la véritable régulation que nous appliquerons viendra
des efforts demandés à la collectivité nationale pour prendre en charge les désagréments posés aux investisseurs.

Sur le fond, il apparaît cependant clairement que la création de l’Autorité des Marchés Financiers appelle naturellement de notre part une conclusion provisoire : celle de la constitution d’une autorité indépendante destinée fondamentalement, à partir d’un subtil équilibre entre représentants des grands corps de l’État et des professionnels de la place, à laisser croire autant que faire se peut à la transparence et à la déontologie d’une économie financière dont les événements les plus récents ont pourtant largement prouvé les limites.

Ces observations sur la question des règles de déontologie, des normes prudentielles et de la poursuite inexpugnable des manquements aux règles de bonne conduite en matière d’ingénierie financière nous amène naturellement à revenir sur le titre relatif au gouvernement d’entreprise.

Là encore, l’histoire récente est redoutable de ce point de vue.

La seule évocation de l’affaire Vivendi se suffit à elle - même pour pointer, dans l’exposé des faits, dans les choix de gestion opérés par l’équipe de Jean Marie Messier, bien que celui - ci eût été adoubé par le Président historique du Groupe Guy Dejouany, quels manquements ont pu être produits à l’information des actionnaires, et singulièrement des actionnaires minoritaires, personnes physiques, souvent bien peu au fait des us et coutumes de la gestion de groupes de cette importance.

Les dispositions qui nous sont proposées vont - elles suffire à prévenir à l’avenir ce type de situation ?

Posons - nous une question : quel est l’étrange processus qui conduit certains à défendre à tout crin la transparence de la gestion des entreprises face aux actionnaires, et qui les fait s’opposer à toute mesure permettant aux salariés des mêmes entreprises de mieux connaître de la réalité de la gestion ?

Nous pourrions presque apprécier positivement les mesures préconisées quant au gouvernement d’entreprise si elles étaient complétées utilement par des mesures relatives à l’information des salariés, et notamment aux droits ouverts aux comités d’entreprise et aux instances représentatives du personnel en général.

On nous dira peut être que cela n’a guère de place dans un projet de loi de cette nature mais, de notre point de vue, il n’en est pas de même.

Sur les autres dispositions du projet de loi, quelques observations.

La constitution de la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance ( CCAMIP ) participe, elle aussi, d’une évolution de ce secteur, évolution guidée en grande partie par la transposition de directives européennes, et l’affirmation d’une forme de prédominance de la logique du code des assurances sur le code de la sécurité sociale ou celui de la mutualité.

C’est évidemment en ce sens que nous reprendrons à notre compte, au cours de la discussion des articles concernés, certaines des propositions formulées par le mouvement mutualiste quant à la mise en œuvre et la définition du rôle de la commission de contrôle.

Il est par ailleurs évident que l’avenir risque de pousser progressivement cette commission de contrôle vers une assimilation aux autres autorités de contrôle du secteur financier ( on pense à la commission bancaire ), et vers la mise en œuvre de dispositions prudentielles proches de celles appliquées au secteur bancaire.

S’agissant des dispositions du texte portant sur les professions de l’expertise comptable, même si là encore nous pouvons évidemment partager le souci d’une plus grande probité de la profession et de la fixation de règles déontologiques acceptées et mises en œuvre par tous, on ne peut là encore que pointer le fait que cette orientation intervient alors même que, dans nombre de situations déjà évoquées, ce sont aussi les commissaires aux comptes qui ont manqué à la plus élémentaire prudence, devenant co -responsables des dérives constatées.

Sur la prévention du surendettement, nous partageons une partie des préoccupations exprimées par les amendements de la Commission.

Je ne vous cacherais pas qu’il conviendra, dans un avenir relativement proche, de dégager encore de nouvelles pistes de réflexion sur ces questions qui risquent de frapper dans les mois et années à venir, compte tenu de la détérioration du contexte économique, nombre de ménages de notre pays.

Par ailleurs, nous sommes également attachés, transparence et sécurité financière nécessaires, au développement de l’information des clients des établissements de crédit.

Si le chapitre relatif à la déontologie du démarchage financier a tout son intérêt et mérite d’être regardé, on ne peut que regretter que la mise en œuvre des conventions de compte, prévue par la loi MURCEF, n’ait pas encore eu lieu, de par les manoeuvres dilatoires pilotées par la Fédération Bancaire Française.

Une telle situation ne nous apparaissant pas satisfaisante, nous interviendrons dans ce sens.

Au terme de cette intervention générale, comment se présente finalement le présent projet de loi ?

Il est, nous l’avons indiqué, fortement habité par l’exigence d’une plus grande rigueur dans la régulation des activités financières et la définition de règles suffisamment élaborées s’imposant à tous.

Il participe donc, dans les faits, de la poursuite d’un objectif politique que nous connaissons depuis quelques années déjà : celui de faire croire ou de laisser penser que le marché, malgré les désordres que l’on peut y constater, est suffisamment mûr et ’ adulte ’ pour se réguler lui - même, la puissance publique se contentant en quelque sorte de ne faire que donner le la au travers de l’exercice plus ou moins régulier du pouvoir législatif ou réglementaire, l’essentiel du travail étant effectué par les autorités indépendantes.

Cela suffira - t - il à rétablir la confiance des investisseurs, ou plus largement du grand public, envers une industrie financière dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle a connu, ces derniers temps, quelques désagréments, au travers notamment des multiples affaires dont nous avons parlé plus haut ?

On pourrait en faire le pari.

On pourrait même penser que l’affirmation plus ferme encore des règles de bonne conduite des prestataires de services financiers suffirait à libérer la place de Paris de quelques professionnels de l’indélicatesse, et à renforcer clairement l’activité des autres.

Mais, pour notre part, nous ne pensons pas que cela suffise.

Ce n’est pas uniquement parce que les marchés financiers seront en apparence mieux régis par des règles acceptées par tous que les choses iront nécessairement mieux.

Et, de surcroît, il convient de ne jamais oublier que l’activité boursière n’est qu’un élément d’approche de la situation économique réelle, une bonne part de la controverse existant sur la valorisation boursière procédant de la seule appréciation spéculative d’une situation donnée.

En ce sens, d’ailleurs, la baisse actuelle des indices boursiers parisiens n’est véritablement qu’une forme d’amplification des processus de récession économique que nous connaissons, et conduit par ailleurs à un certain nombre de choix de la part des investisseurs qui participent, sur les groupes les plus attaqués, d’une redistribution des cartes dont il est à craindre bien souvent que l’emploi fasse les frais.

Car c’est aussi l’un des éléments que l’on ne peut oublier.

Derrière l’amélioration ou la détérioration de la situation de telle valeur inscrite à la cote officielle, il y a souvent les plans sociaux, les suppressions massives d’emplois, la liquidation des brevets, des savoir - faire, la remise en cause des moyens du développement économique général de la Nation.

Et l’on pourrait ainsi citer de multiples exemples, là encore : qu’il s’agisse du plan Breton à France Télécom, des plans sociaux en cascade qui frappent désormais le groupe Vivendi ( et singulièrement son pôle audiovisuel ), de l’affaire Gemplus, des suppressions d’emplois chez Aventis ou Alcatel, il y a à chaque fois implication des batailles boursières, exigence de rentabilité de la part des investisseurs et notamment de ceux qui viennent se repaître des ordres de vente en cascade qui interviennent sur ces titres.

Le jour où l’éthique professionnelle que défend ce texte rejoindra une certaine éthique sociale, nous pourrons peut être l’adopter.

Pour l’heure, et sous le bénéfice de ces observations, cela ne nous est pas possible.

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