Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Travail, emploi et pouvoir d’achat

Par / 25 juillet 2007

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le projet de loi dont nous entamons la discussion est un texte « de la plus haute importance et d’une portée inégalée » : c’est en tout cas ainsi que vous avez voulu le présenter, madame la ministre.

Le « paquet fiscal », dites-vous dans la presse, « va permettre de créer, comme l’a souhaité le chef de l’État, un choc de confiance. Son financement à hauteur de plus de 10 milliards d’euros, dès 2008, illustre notre volonté de redonner du pouvoir d’achat aux ménages tout en menant une politique claire de l’offre, comme l’allégement du coût des heures supplémentaires ou la possibilité offerte aux redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune d’investir jusqu’à 50 000 euros dans les petites et moyennes entreprises. Nous tenons les promesses de Nicolas Sarkozy, faisant le pari qu’un environnement fiscal plus favorable aux entreprises et l’allégement des contraintes pesant sur le travail feront surgir et se développer des forces créatrices de valeurs. »

Ainsi donc, pour favoriser l’emploi, le travail et développer le pouvoir d’achat, vous auriez miraculeusement découvert la solution : baisse des impôts, réduction des prélèvements obligatoires, accumulation des incitations fiscales et sociales les plus diverses !

Ces prétendues solutions me semblent relever étrangement de la reprise d’une sempiternelle rengaine : le coût du travail - ce terme recouvre, bien sûr, les salaires et les charges sociales - serait trop élevé, ce qui limiterait la compétitivité de nos entreprises. Pourtant, les exonérations de charges sociales existantes sont déjà importantes, et la Cour des comptes elle-même considère qu’elles n’ont pas eu d’effet sur l’emploi.

M. Jean Desessard. Eh oui !

Mme Marie-France Beaufils. Vous employez aussi une formule différente de la rengaine que j’évoquai à l’instant, mais proche : il faut que les heures travaillées soient moins chères pour l’entreprise, mais sans que cela implique de créations d’emplois.

M. Jean Desessard. Bravo !

Mme Marie-France Beaufils. Je ne vois pas en quoi vous apporteriez ainsi une réponse à l’ambition inscrite dans le titre du projet de loi.

Pendant la campagne électorale, nous avons régulièrement entendu des appels à la sagesse. Le spectre de la dette publique a souvent été agité pour expliquer l’impossibilité de répondre à certaines exigences des électeurs, en particulier de ceux d’entre eux qui n’en peuvent plus de vivre avec des salaires de misère.

Aussi n’est-il pas étonnant, dans ce contexte, que vous nous présentiez aujourd’hui un projet de loi qui, faisant fi de cette réalité pourtant prégnante, prévoit ni plus ni moins de consacrer entre 10 milliards et 15 milliards d’euros par an à l’allégement des impositions pesant, pour l’essentiel, sur les revenus et patrimoines les plus élevés, et au développement des modalités les plus éculées d’organisation du travail.

Dans le cadre de la communication, ou plutôt de la propagande qui accompagne depuis le début la présentation de ce projet de loi, vous avez, madame la ministre, fait particulièrement fort. Sur une chaîne de télévision, vous avez ainsi déclaré :

« Moi, je suis en faveur de l’indépendance, de la liberté et de la responsabilité. Quand une entreprise a une grosse charge de travail, une grosse commande, un surcroît d’activité, il faut quelle puisse, sans contrainte excessive, recourir à plus de travail de la part de toute l’équipe. [...] C’est pour ça que le carcan des 35 heures me paraît désuet et daté d’époque. »

Bien évidemment, vous avez atténué votre propos en ajoutant ces mots : « Il faut bien entendu qu’il y ait un chiffre maximal [...], il ne faut pas dépasser les heures maximales prévues au niveau européen [...]. »

Si l’on suit votre raisonnement, le salut de notre pays passerait donc par une flexibilité accrue des horaires de travail, qui seraient systématiquement adaptés aux variations d’activité.

La précédente législature a déjà profondément modifié les conditions générales d’organisation du temps de travail, notamment par le biais de la loi du 17 janvier 2003, texte qui fut défendu par un ministre des affaires sociales nommé François Fillon. Les 35 heures, madame la ministre, ne sont pas le lot commun des personnels des entreprises de moins de vingt salariés, elles ne sont pas le quotidien des travailleurs du secteur de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration, elles ne sont pas la réalité vécue par les cadres moyens et supérieurs, soumis au régime du « forfait jours » !

Quant au manque de flexibilité et de souplesse de notre droit du travail, faut-il encore mettre en exergue, madame la ministre, la part des contrats de travail à durée déterminée dans l’ensemble des emplois proposés aux salariés comme aux chômeurs ? Avez-vous oublié le contrat première embauche, dispositif auquel vous et vos amis avez été contraints, sous la pression du mouvement social, de renoncer ? Rappelez-vous aussi l’instauration du contrat nouvelles embauches, dont toute la jurisprudence la plus récente souligne le caractère dérogatoire au regard des normes fixées par l’Organisation internationale du travail !

Faut-il rappeler que, dans le domaine du travail, le premier carcan dont nous souffrons est celui d’un chômage de masse touchant, à des degrés divers, plus de quatre millions de nos compatriotes, si l’on en croit les travaux les plus sérieux en la matière, notamment ceux de l’Observatoire des inégalités ou du collectif « Les Autres Chiffres du chômage » ?

Cette vision du monde que vous défendez n’est pas moderne, madame la ministre. Le salut de la France, sa croissance, son développement économique résideraient, si l’on vous suit bien, dans la généralisation d’une flexibilité des horaires de travail et, de fait, dans la soumission complète des salariés aux seuls impératifs de la production.

Mais regardons la réalité en face, notamment celle des petites et moyennes entreprises. Si bien souvent elles cherchent à recourir davantage aux heures supplémentaires, si elles demandent plus de flexibilité, c’est pour mieux répondre aux exigences de leurs donneurs d’ordre.

Dans cette affaire, il n’y a donc pas de liberté ou de responsabilité, madame la ministre, il n’y a aucun véritable choix : il s’agit soit d’accepter les règles du jeu d’une libre concurrence forcenée mettant en danger, en permanence, la situation des salariés et celle de l’entreprise, soit de mettre la clé sous la porte. Comment peut-on appeler cela un choix ? Les risques imposés ainsi aux toutes petites entreprises permettent la plupart du temps aux grands groupes commanditaires de bénéficier d’une rentabilité bien supérieure à celle qu’ils obtiendraient par eux-mêmes. Les établissements bancaires en profitent pleinement et n’apportent que fort rarement l’accompagnement dont les entreprises de production, les petites entreprises, les artisans auraient besoin. Ce sont pourtant des secteurs créateurs d’emplois.

Un autre volet de votre projet de loi concerne l’allégement de la pression fiscale au profit des plus hauts patrimoines, allégement qui serait, selon vous, porteur d’espoir pour l’investissement dans l’économie de notre pays. Vous vous attaquez, avec la prolongation de la réforme des droits de mutation, celle de l’impôt de solidarité sur la fortune et l’extension du bouclier fiscal, à ce que vous appelez une « fiscalité confiscatoire ».

Le Président de la République a clairement expliqué qu’il voulait inciter les expatriés pour raisons fiscales à revenir dans notre pays. Vous nous dites qu’ainsi les plus favorisés de nos compatriotes pourraient, grâce à votre texte, investir directement le fruit des divers allégements fiscaux dont ils bénéficieront dans l’activité et la croissance. Or une telle expérience a déjà été tentée : en 2004, le ministre des finances de l’époque, M. Sarkozy, présentait un projet de loi pour le soutien à la consommation et à l’investissement qui comportait, entre autres mesures, la défiscalisation des dons manuels dans la limite de 20 000 euros par opération, la création d’un crédit d’impôt pour les intérêts des prêts à la consommation ou encore une aide au secteur de l’hôtellerie et de la restauration, sous forme d’une nouvelle compensation des cotisations sociales.

Je me permettrai tout simplement de rappeler ce que disait alors le Sénat :

« Les diverses mesures que ce plan met en oeuvre, bien que non négligeables d’un point de vue macroéconomique, sont adaptées à notre faible marge de manoeuvre budgétaire. Ce sont autant de signaux positifs de nature à rétablir la confiance. Le coût global pour l’État serait compris entre 0,4 milliard et 1 milliard d’euros sur deux ans.

« Le point central sur lequel ce texte veut agir est la relation entre épargne et investissement. De ce point de vue, les mesures potentiellement les plus efficaces consistent, d’une part, à inciter les générations âgées à transférer une partie de l’épargne vers les plus jeunes dans l’espoir que celles-ci consommeront plus et, d’autre part, à permettre le déblocage des réserves de participation.

« Bien que l’on ne puisse exclure qu’une partie des sommes ainsi libérées reste épargnée, on a de bonnes raisons d’espérer qu’elles viendront contribuer à la consommation des ménages et donc stimuler la croissance. »

M. Philippe Marini, rapporteur général. Merci de cette citation !

Mme Marie-France Beaufils. Que doit-on constater ? Ces mesures n’ont pas eu les effets annoncés.

En 2004, le déficit budgétaire était de 44 milliards d’euros ; il a atteint une somme équivalente en 2005. Quant à la croissance économique, elle n’est pas davantage au rendez-vous, avec un taux de 1,7 % pour l’année 2005, contre 2,5 % en 2004 et 2 % en 2006.

Il me semble que tirer les leçons de l’expérience devrait être une règle de bonne gestion, en tout cas contribuer à nourrir la réflexion de notre assemblée.

Cependant, sur le fond, nous savons tous que ces propositions sont essentiellement un habillage qui, une fois de plus, permettra de faire profiter les plus riches d’une énième loi visant à priver l’impôt de solidarité sur la fortune de sa portée d’origine. Pourtant, l’impôt doit contribuer à assurer la solidarité nationale, à servir l’intérêt général.

Comme je vous le disais, madame la ministre, lors de votre audition au Sénat, je trouve votre projet de loi particulièrement immoral. Vous allez permettre aux plus riches d’augmenter leur patrimoine sans effort. Parallèlement, vous exigez des salariés qu’ils travaillent plus pour accéder à un salaire décent. Vous avez même refusé de donner un « coup de pouce » au SMIC cette année...

M. Guy Fischer. Eh oui !

Mme Marie-France Beaufils. Pendant la période électorale, vous avez opposé ceux qui vivent mal de leur travail et ceux qui survivent avec les minima sociaux. Vos projets, y compris le revenu social d’activité, ne leur ouvrent aucune perspective d’avenir.

M. Guy Fischer. C’est la vérité ! Deux poids, deux mesures !

Mme Marie-France Beaufils. Vous l’aurez compris, madame la ministre, les choix que vous faites au travers de ce texte ne sont pas les nôtres. Vous nous dites que ce projet de loi est présenté dans le respect du vote des Français. Les législatives ont toutefois permis de montrer que l’adhésion dont vous vous targuez est probablement moins large que vous ne voulez le croire. Je pense que votre texte montrera vite à ceux qui voudraient travailler mais ne trouvent pas d’emploi que le bluff autour du thème « travailler plus pour gagner plus » n’amènera pas la création de nouveaux emplois pour eux.

Les dernieres interventions

Finances Les injustices de la solidarité fiscale pour les femmes

PPL Justice patrimoniale au sein de la famille - Par / 19 mars 2024

Finances Médecine scolaire : l’État doit assumer son rôle

Proposition de loi visant à PPL visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires - Par / 18 mars 2024

Finances Et pour 13 000 milliards de dollars

Rapport de la Cour des comptes 2024 - Par / 13 mars 2024

Finances Non à l’économie de guerre

Financement des entreprises de l’industrie de défense française - Par / 7 mars 2024

Finances Les Départements dans le collimateur

Débat sur les finances des Départements - Par / 7 mars 2024

Finances Que faire d’EDF ?

Proposition de loi proposition de loi visant à protéger visant à protéger EDF d’un démembrement - Par / 24 janvier 2024

Finances Un budget, deux visions de la société

Explication de vote sur le projet de loi de finances pour 2024 - Par / 12 décembre 2023

Finances La chute de la démographie a bon dos

Débat sur les crédits de l’enseignement supérieur - Par / 4 décembre 2023

Finances Le logement est en urgence humaine, sociale et économique

Vote des crédits pour la cohésion des territoires - Par / 1er décembre 2023

Finances Les lois de la République contre celles des actionnaires

Débat sur la partie recettes du projet de loi de finances pour 2024 - Par / 23 novembre 2023

Finances Le budget de l’État à l’aune de la vie de Chantal

Question préalable au projet de loi de finances 2024 - Par / 23 novembre 2023

Finances 30 millions d’euros pour l’aide alimentaire

Vote sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 - Par / 20 novembre 2023

Administration