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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un texte dangereux permettant à quelques groupes financiers de réaliser de juteux bénéfices

Jeux d’argent et de hasard en ligne : question préalable -

Par / 23 février 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à compter du 11 juin prochain, un grand événement sportif d’intérêt planétaire se déroulera à quelques heures d’avion de notre pays, et sans décalage horaire : je veux parler de la Coupe du monde de football, organisée pour la première fois en Afrique, sur les terrains sud-africains.

Dans cette perspective, il conviendrait d’adopter au plus vite un texte dont la discussion par le Sénat n’a que trop tardé – il a été examiné en octobre dernier par l’Assemblée nationale –, au risque d’ôter tout son sens au droit parlementaire.

Aussi M. le rapporteur a-t-il émis le vœu, par voie de presse, bien que ce projet de loi ne fasse pas l’objet de la procédure accélérée, que l’Assemblée nationale adoptât conforme le texte issu des travaux du Sénat, en vue d’une promulgation rapide, avant même le coup d’envoi du premier match de la compétition en question…

Le problème est que ce texte est mal ficelé, qu’il recèle un grand nombre de dangers et semble ne constituer que le moyen, pour quelques groupes financiers, de réaliser de juteux bénéfices, à terme, sans avoir à supporter trop de contraintes, alors même que l’ensemble du secteur connaît une phase de relative stagnation, le volume des enjeux ne progressant plus, ni pour la Française des jeux, ni pour les paris hippiques, ni, a fortiori, dans les casinos. Tout se passe comme si la pratique des jeux d’argent avait atteint une sorte de palier.

Une partie importante du texte décrit par le menu la problématique du développement des jeux d’argent et de hasard. Qui pourrait décemment contredire les vertueuses déclarations de principe contenues dans les premiers articles ?

Non, les jeux d’argent et de hasard ne relèvent pas d’un commerce ou d’un service traditionnel ! Vendre du rêve et exploiter les illusions, ce n’est pas une activité ordinaire.

Oui, la pratique du jeu peut conduire à l’addiction, présenter des risques pour l’ordre public, favoriser le « lessivage » de sommes d’argent issues des trafics les plus divers.

Cela nous amène à rappeler que certains des casinos les plus actifs de France sont situés aux frontières de pays où le secret bancaire le dispute à l’hypocrisie s’agissant des dépôts effectués dans les établissements de crédit. Ainsi, les casinos de la Côte d’Azur sont proches de la principauté de Monaco et de l’Italie, tandis que la belle activité de ceux d’Amnéville, de Divonne-les-Bains ou de Haute-Savoie s’explique sans doute en partie par le voisinage du Luxembourg ou de la Suisse…

Cependant, une fois rappelés les grands principes, le texte présente une batterie complète et complexe de dérogations, c’est-à-dire que l’on se livre à l’un des exercices favoris de la loi française, consistant à oublier l’intérêt général au profit de certains intérêts particuliers.

Ainsi, pas de disposition relative à la mise en location, à titre onéreux, des actifs incorporels de nos grands clubs sportifs sans la volonté de quelques-uns – on peut penser à certains clubs dont je tairai les noms, mais que chacun dans cette enceinte devinera – de dégager une capitalisation nouvelle en louant leur nom et leur « image » à quelque opérateur de paris sportifs en ligne !

Pas de facilitation de la mise en place des jeux en ligne s’il n’y avait cette évidence, qui saute aux yeux au terme d’une « promenade cybernétique » sur les sites tant des principaux groupes casinotiers de notre pays que des opérateurs exclusifs, que ces acteurs sont d’ores et déjà fin prêts pour le moment où les jeux virtuels seront pleinement autorisés et ont décidé de nouer les alliances nécessaires à l’exploitation la plus rentable possible de cette nouvelle poule aux œufs d’or.

L’ouverture à la concurrence sera donc toute relative, parce qu’elle interviendra dans un univers où cette dernière est d’ores et déjà assez largement battue en brèche. Ainsi, le développement, ces dernières années, du groupe Lucien Barrière a tenu autant à l’obtention de l’autorisation d’exploiter des machines à sous qu’au rachat des actifs et des casinos du groupe hôtelier Accor, qui s’est désengagé de ce secteur. La même remarque vaut pour le groupe Partouche, qui a fait main basse sur la Compagnie européenne de casinos avant de racheter les cinq établissements détenus par Didot Bottin. Voilà comment se sont créés deux groupes pesant chacun 30 % du marché et qui, après avoir développé le poker sur table dans des salles dédiées de leurs établissements, s’apprêtent évidemment à le développer « en ligne ».

Nous voici donc confrontés au premier élément clé du débat : l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent et de hasard, le développement du poker virtuel, des courses de chevaux simulées et des paris sportifs à cote auraient une origine européenne, découleraient des textes fondateurs de l’Union européenne, et singulièrement de leur dernière mouture, le traité de Lisbonne.

Une fois encore, au motif que notre pays a ratifié ce texte, sans consultation de la population, et même en effaçant, par le biais d’un Congrès, vite expédié d’ailleurs, le sens du vote des Françaises et des Français du 29 mai 2005, nous devrions nous plier à l’application pleine et entière du sacro-saint principe de la concurrence libre et non faussée, dont les contours sont précisés par l’article 49 du traité de l’Union consolidé, relatif à la liberté d’établissement.

Toutefois, il existe malgré tout une exception à ce principe, exception rappelée à l’article 52 dudit traité : « Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l’applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. »

En clair, l’Union européenne reconnaît aux États membres la possibilité de s’opposer légalement à la publicité pour la consommation d’alcool ou de tabac – la loi Évin est « eurocompatible » de ce point de vue – ou à l’établissement d’une entreprise étrangère, qu’il s’agisse d’une société de personnes ou de capitaux, dès lors que l’ordre, la sécurité ou la santé publics seraient en jeu.

Nous sommes ici au cœur du sujet, avec l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent et de hasard ! Vendre du rêve peut, hélas ! conduire certains joueurs aux dernières extrémités, ce qui crée de sérieux problèmes, bien réels, eux, pour leur entourage ou la société dans son ensemble. Et c’est bien de cela dont il est question en matière de jurisprudence européenne sur les jeux.

Le moins que l’on puisse dire, en effet, c’est que la législation européenne, si elle avance souvent pas à pas vers l’indépassable horizon radieux de la concurrence libre et non faussée à coups de directives et de sommets intergouvernementaux, progresse aussi avec les décisions de la Cour européenne de justice.

En effet, depuis le 30 mars 2009, jour où le projet de loi fut déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, la jurisprudence européenne s’est enrichie de l’arrêt Santa Casa da Misericordia, relatif aux jeux et paris pratiqués au Portugal. Comme la France, le Portugal est un pays à droits exclusifs en matière de gestion et d’organisation des jeux : une structure unique y gère l’ensemble des jeux de hasard autorisés, qu’il s’agisse de la loterie nationale, de l’équivalent de ce que l’on appelle l’Euro Millions ou encore des paris sur les matches de football. Quand on connaît l’intérêt des Portugais pour le jeu de balle au pied, leur attachement fréquent aux destinées d’un des trois ou quatre grands clubs du pays, on mesure de quoi il s’agit !

Comme son nom l’indique, Santa Casa da Misericordia est, d’abord et avant tout, une œuvre sociale d’origine religieuse, créée au xviie siècle par autorisation royale pour exploiter les jeux de loterie alors existants afin de financer, faute d’autres moyens et de dépenses publiques dédiées, les œuvres de charité au profit des plus pauvres. Ses droits exclusifs ont perduré, malgré les aléas de la vie politique portugaise et les attaques des opérateurs de paris sportifs, singulièrement Bwin, intéressés par le fructueux marché des paris sur les matches de football organisés par la Liga Portuguesa.

L’arrêt de la Cour de justice européenne rendu le 9 septembre dernier constitue de fait, qu’on le veuille ou non, l’affirmation d’une exception manifeste au principe de libre concurrence qui habite la construction européenne. Qu’il ne figure pas dans les précédents rapports de notre collègue François Trucy est évidemment logique, même si ceux-ci font état de décisions antérieures, dont l’application est au demeurant variable – je ne reviendrai pas ici sur les arrêts Gambelli ou Schindler.

Il est moins logique, en revanche, que l’on ne procède pas, en l’absence d’une législation cohérente, à une analyse plus complète d’une jurisprudence qui ne nous est présentée que comme « complexe » – alors que cela participe de la nature même d’une jurisprudence, puisqu’elle découle d’une exégèse des principes. Qu’attend donc la France pour se placer au premier rang de l’action en vue d’une harmonisation de la législation sur les jeux d’argent et de hasard, affirmant avec plus de force encore le droit des autorités publiques nationales à déroger au principe communautaire de concurrence libre et non faussée ?

En effet, l’arrêt Santa Casa da Misericordia établit qu’un État est fondé à faire obstacle, en matière de jeux de hasard et d’argent, au libre établissement d’un opérateur soit pour des motifs de tranquillité et d’ordre publics, surtout si les transactions doivent s’effectuer en mode virtuel, soit pour des motifs d’intérêt général – ce que la Cour européenne de justice appelle « l’intérêt public » –, que cet opérateur soit installé dans un autre pays de l’Union ou sur notre territoire par le biais d’une succursale.

Or le Portugal, étant donné le rôle joué par Santa Casa da Misericordia, exploitant de jeux d’un genre certes un peu particulier, qui finance notamment des orphelinats, des hôpitaux, des œuvres au profit des personnes handicapées, relève à l’évidence de ce second cas de figure. La même remarque pourrait fort bien valoir pour l’Espagne, où la loterie nationale est organisée au bénéfice des aveugles. Je crois toutefois savoir que les paris sportifs y ont été largement ouverts à la concurrence…

De même, dans notre pays, ce n’est pas d’hier que les loteries et jeux d’argent servent de sources de financement pour des causes tout à fait estimables. Par exemple, à proximité du Sénat, la construction de l’église Saint-Sulpice et du Panthéon a été financée grâce à des loteries organisées par les autorités ecclésiastiques. Depuis lors, nous avons largement affecté les prélèvements sur les jeux à des missions d’intérêt général : je pense notamment à l’œuvre des Gueules Cassées – qui possède notamment le château de Moussy-le-Vieux, devenu l’un des principaux établissements de la Française des jeux –, au financement des Hôpitaux de Paris, de l’adduction d’eau en milieu rural et de l’élevage des chevaux de course, au développement des pratiques sportives.

Au demeurant, tout laisse à penser que l’on escompte de l’élargissement de l’offre de jeux un accroissement des sommes misées par les Français – devons-nous le souhaiter ? –, qui aurait le double avantage d’amortir les effets de l’ouverture à la concurrence et de fournir, en tout ou partie, de nouvelles sources de financement de missions d’intérêt général. À la vérité, on sait pertinemment, sur la base des plus récents chiffres disponibles, que les mises de nos compatriotes ne progressent pas sensiblement. Bien au contraire, l’évolution du chiffre d’affaires de la Française des jeux, du PMU ou des casinos donne le sentiment que nous sommes parvenus à un palier difficilement dépassable. L’ouverture à la concurrence risque donc de ne se traduire que par une redistribution des cartes entre les opérateurs, sans doute au détriment de l’équilibre général du secteur économique et des activités qu’il recouvre. En fait, nous pourrions assister non seulement à la dématérialisation des transactions, mais aussi à celle des emplois…

Les risques sont réels pour l’économie du secteur hippique, depuis les éleveurs jusqu’aux points-courses du PMU, qui sont bien souvent parmi les derniers commerces nos villages, ainsi que pour les communes ayant confié aux opérateurs de la profession la gestion de leur casino, dont le volume d’affaires pourrait souffrir du transfert des joueurs vers les casinos virtuels et les paris sportifs en ligne, et pour l’ensemble des bénéficiaires des prélèvements fiscaux et sociaux sur les jeux, notamment pour ce qui concerne le développement de la pratique sportive.

L’ensemble des emplois et des activités liés à l’existence des systèmes de droits exclusifs et de réglementation sont donc directement remis en cause par ce projet de loi, avec tout ce que cela implique.

Bien entendu, certains pensent que le développement du jeu virtuel, en particulier du poker en ligne et des paris sportifs, notamment sur les matchs de football, vise à toucher une nouvelle clientèle, correspondant grosso modo aux personnes âgées de 18 à 40 ans, de la même manière que l’installation des machines à sous a attiré vers les casinos un public qui n’y entrait pas jusqu’ici. En outre, certains estiment que l’ouverture à la concurrence permettra de « faire le ménage » dans une offre pour l’heure illégale. Pour notre part, nous ne sommes pas convaincus de l’utilité de voter une loi destinée à complaire à quelques personnalités choisies en haut lieu.

On risque fort de bouleverser, sans aucun avantage pour la collectivité, au contraire, un secteur dont l’activité est équilibrée, où la prévention du risque addictif est largement mise en œuvre, qui procure quelques ressources à des secteurs qui en manquent quelque peu par ailleurs – ne poussons pas trop loin la comparaison entre budget des sports et CNDS !

Appliquons donc les textes existants pour réprimer les comportements illégaux de certains opérateurs de jeux, mes chers collègues, et ne votons pas ce projet de loi ! Nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable

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