Finances
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Ce budget ne répond pas à l’objectif républicain du droit au logement
Loi de finances pour 2021 : cohésion des territoires -
Par Marie-Noëlle Lienemann / 1er décembre 2020Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise du covid a mis au jour l’ampleur des problèmes préexistants et récurrents dans notre pays.
D’abord, il faut évoquer l’ampleur du mal-logement : 150 000 sans domicile fixe (SDF), plus de 900 000 personnes sans logement personnel, et 12 millions de personnes fragilisées, qui sont en situation d’impayés, de surpeuplement, ou ont un taux d’effort excessif pour régler leurs loyers. Le confinement a également mis en évidence des inégalités insupportables au regard des conditions de logement. Enfin, la crise sociale a accru les problèmes de pouvoir d’achat des Français modestes, des classes moyennes et, surtout, aggravé la pauvreté.
Or le coût du logement occupe une part croissante dans les dépenses des Français. En moyenne, il représente plus de 25 % du total, mais beaucoup plus pour les plus jeunes et encore davantage pour les plus modestes. Le logement coûte trop cher aux Français et nécessiterait une politique volontariste de régulation des prix, tant des loyers que du foncier.
Mais il n’en est rien. À défaut, on devrait fortement renforcer les amortisseurs sociaux. Les aides personnalisées au logement (APL) sont parmi les plus efficaces de ces dispositifs. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, et bien avant la crise du covid, la pauvreté s’est accrue en France. Les études montrent que la baisse des APL en constitue l’une des causes majeures. Si les Français n’ont pas vu les effets du ruissellement, beaucoup ont subi une douche froide ! (Sourires.)
Notre groupe a déposé une proposition de loi sur la revalorisation des APL et la suppression du mois de carence. Le Sénat l’a votée, mais nous regrettons que nos commissions n’aient pas osé inscrire les montants correspondants dans ce projet de loi de finances.
En tout cas, le Gouvernement aurait dû prendre la mesure de la gravité de la situation. Or c’est l’inverse qui s’est produit, en particulier avec la réforme de la contemporanéisation des APL, dont on peut discuter le principe – qui pourrait paraître juste –, mais dont les conditions de mise en œuvre ont constitué un grave recul pour bon nombre de nos concitoyens. L’État fera une économie de 750 millions d’euros, même si l’on prend en compte la dégradation des ressources liée à la crise. Ces 750 millions d’euros seront prélevés sur les familles modestes : c’est une véritable injustice !
La baisse du nombre de logements neufs construits ne date pas de la crise, puisqu’elle a débuté dès 2017. Elle est pour une large part la conséquence de choix gouvernementaux. La ponction opérée par le Gouvernement sur les organismes HLM au travers de la réduction de loyer de solidarité (RLS) a provoqué une baisse de la production de logements sociaux, qui passera sous la barre des 100 000 cette année. Désormais, le budget de l’État ne met plus un euro dans le Fonds national des aides à la pierre (FNAP), faisant porter l’essentiel de la charge sur Action Logement. Je n’insisterai pas davantage sur les menaces qui pèsent sur cet organisme, car nous partageons, comme la quasi-unanimité de nos collègues, les conclusions du rapport élaboré par notre commission des finances sur le sujet.
Quoi qu’il en soit, le compte pour l’aide à la pierre n’y est pas. Or, disons-le haut et fort, la France a massivement besoin de logements sociaux en locatif et en accession.
Zéro euro pour l’aide à la pierre destinée au logement social, d’un côté ; 1,2 milliard d’euros inscrits au budget au titre des aides fiscales de type Pinel, de l’autre. Et cela ne vaut pas uniquement pour cette année, puisque cette charge pèsera sur les comptes au minimum jusqu’en 2033. La Cour des comptes relève que les logements ainsi produits sont quasiment au prix du marché et estime que de tels dispositifs sont chers pour l’État et les Français.
En tout cas, le Gouvernement ne met pas l’argent prioritairement là où il le faudrait. La chute des aides à la pierre pour les HLM non seulement obère la construction, mais conduit à fixer des loyers de sortie trop élevés au regard des ressources de nos concitoyens. Il faudrait baisser le taux de TVA à 5,5 %, supprimer la RLS et créer une prime pour l’accession vraiment sociale : tout cela, hélas, n’est pas dans ce budget. C’est pourquoi nous défendrons des amendements en ce sens.
Enfin, la situation exigerait une mobilisation sans précédent de l’État pour la politique de la ville et en direction des quartiers populaires, que la crise percute de plein fouet, mais qui étaient déjà en terrible difficulté et trop négligés auparavant. Ils ont impérativement besoin d’investissements publics massifs, des moyens humains, éducatifs, des aides à l’insertion, à l’emploi, des initiatives associatives, citoyennes et économiques ; ils ont besoin d’un retour des services publics et d’un « booster » en matière de renouvellement urbain. C’est ce que demandent les maires à travers l’appel qu’ils ont lancé il y a peu. Nous soutenons pleinement leurs revendications.
Monsieur le secrétaire d’État, madame la ministre, ils doivent être entendus : les promesses qui leur sont faites doivent être vraiment tenues, en particulier le milliard d’euros du plan de relance ; et surtout, l’argent doit parvenir réellement et vite sur le terrain. Cela changera ! C’est d’ailleurs le sens de notre proposition visant à créer un fonds spécifique de la ville, un fonds souple, géré au plus près du terrain. (M. Bruno Belin tape sur son pupitre pour signifier à l’oratrice qu’elle a épuisé son temps de parole.)
Je conclurai, mes chers collègues, en disant que ce budget ne répond pas à l’impératif républicain, qui exigerait que la Nation se mobilise fortement, à la fois pour le droit au logement et pour une politique de la ville ambitieuse. Le groupe CRCE ne votera donc pas les crédits de cette mission.