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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Emmanuel Macron et son sparadrap de président des riches

Projet de loi de finances pour 2018 -

Par / 23 novembre 2017

Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, au nom du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, permettez-moi de saluer à mon tour, très amicalement, M. le rapporteur général.

Nous entamons aujourd’hui l’examen du premier projet de loi de finances élaboré par ce nouveau gouvernement.

Il s’agit évidemment de donner à l’État un budget pour l’année prochaine. Mais, bien au-delà, ce premier projet de loi de finances fixe clairement les lignes directrices pour le quinquennat qui s’ouvre.

Messieurs les ministres, vous venez d’entrer dans la maison France : aussi pensons-nous qu’il eût été fort utile de procéder à un état des lieux exhaustif de notre société et de la République. Liberté, égalité, fraternité : aujourd’hui, cette magnifique devise est bien souvent remise en cause par la réalité de la vie quotidienne vécue par une très grande majorité de nos concitoyens.

Cet état des lieux eût été facile à établir, compte tenu des nombreux documents disponibles pour ce faire. Je pense aux rapports récents d’organisations non gouvernementales comme OXFAM, le Secours populaire français ou, plus récemment encore, le Secours catholique. Ces organisations sont unanimes, malheureusement, pour relater le constat qu’elles ont pu établir.

Vous nous rétorquerez peut-être, comme d’autres le firent avant vous, que nous ne sommes plus à l’époque de Zola. Certes, et c’est bien là que le bât blesse ! Les données pour 2017 sont absolument effarantes pour un pays comme le nôtre, qui, à ce jour, est encore la sixième puissance du monde.

Nous ne pouvons pas faire l’économie de quelques chiffres. En 2016, les 10 % des Français les plus riches détiennent 56 % des richesses, quand les 50 % les plus pauvres se partagent 5 % de l’ensemble. Plus d’un tiers des Français a « expérimenté » la pauvreté. Le seuil de pauvreté perçu est à un niveau toujours plus élevé, 1 015 euros, et se rapproche dangereusement du niveau du salaire minimum, qui s’établit aujourd’hui à 1 140 euros.

Cette pauvreté qui prend racine dans notre pays a évidemment des conséquences concrètes dans la vie de nos concitoyens : 20 % d’entre eux déclarent avoir renoncé à des soins dentaires du fait de leur coût, 12 % à l’achat de lunettes et 16 % à une consultation chez un médecin spécialiste.

Le concept d’égalité, disais-je en préambule, est quelque peu mis à mal dans notre République : lorsqu’on porte le regard vers le haut de la pyramide, vers les « premiers de cordée », on se dit qu’il y a effectivement quelque argent en ce bas monde.

Un magazine économique aux feuilles de papier glacé publie chaque année, en juillet, un numéro spécial nous présentant le palmarès des 500 premières fortunes de France. Il suffira ici de citer un extrait de l’éditorial du numéro de cette année : « Le constat saute aux yeux, à voir l’évolution du classement des 500 fortunes professionnelles depuis [la] première édition [du magazine] en 1996, le patrimoine des ultra-riches en France a considérablement progressé depuis deux décennies. Les chiffres attestant de leur prospérité impressionnent. Le nombre des milliardaires a explosé, de 11 à 92, et, au total, la valeur des 500 fortunes est passée de 80 à 570 milliards, multipliée par sept. »

En janvier 2015, le ministre Emmanuel Macron conseillait aux jeunes Français d’avoir envie de devenir milliardaires.

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. Millionnaire, ça suffit ! (Sourires.)

M. Éric Bocquet. Au regard de ces chiffres, l’opération risque, me semble-t-il, de prendre un certain temps…

Nous pourrions également citer, à titre d’exemple, le cas des 3 250 ménages les plus riches de France qui ont transféré 140 milliards d’euros dans les paradis fiscaux de par le monde. C’est l’occasion de rappeler ici le scandale de l’évasion fiscale.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Éric Bocquet. Ce dernier est régulièrement révélé de manière spectaculaire dans les médias. Puis, quand le tumulte médiatique s’apaise au bout de quelques jours, le silence se fait, et le scandale continue.

Mes chers collègues, rappelons-le sans cesse, la République perd chaque année entre 60 milliards d’euros et 80 milliards d’euros : c’est l’équivalent du déficit que vous vous apprêtez à voter.

Mes chers collègues, ce combat doit nous rassembler au-delà de nos sensibilités propres, et il doit être mené sans faiblesse, sans compromission. C’est la mère des batailles, au nom de la République et de la démocratie !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Éric Bocquet. Messieurs les ministres, nous ne pensons pas que votre budget soit la bonne réponse au constat que nous venons d’évoquer.

Nous constatons d’abord qu’il s’inscrit dans la lignée des budgets antérieurs – Éliane Assassi l’a rappelé –, enserré dans les carcans que vous vous êtes donnés, après la révision générale des politiques publiques, la RGPP, la modernisation de l’action publique, la MAP, ou encore le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG. Le dogme de la réduction de la dépense publique a encore été réaffirmé ce matin : comme si celle-ci était nuisible par nature, comme si elle ne contribuait pas, elle aussi, à la croissance et au développement ! Aussi cette continuité se traduit-elle dans vos choix budgétaires.

Nous détaillerons notre propos au cours des jours à venir dans cet hémicycle. Aujourd’hui, nous nous contenterons d’évoquer trois mesures fortes de votre projet, au premier rang desquelles la suppression de la taxe d’habitation.

Le fait de commencer par cette question en cette Haute Assemblée a bien sûr un sens très particulier.

Le sujet a été abondamment débattu lors de la récente campagne des élections sénatoriales, et pour cause, il suscite toujours beaucoup d’inquiétude chez les maires et les élus locaux.

Il y avait certainement une réforme à mener en matière d’impôts locaux : cela ne fait aucun doute. Mais elle ne doit évidemment pas éluder le sujet épineux de la valeur locative.

À nos yeux, cette annonce est démagogique. Qu’en sera-t-il demain de la taxe foncière ? Nos concitoyens auront-ils à subir en conséquence des hausses des taxes locales et des tarifs des services publics locaux ? Cette suppression signifie aussi que, à terme, 20 % des contribuables se retrouveront seuls à payer.

Certes, on évoque les compensations par l’État, mais les élus locaux conservent en mémoire la décision de suppression brutale, unilatérale, de la taxe professionnelle, prise il y a quelques années. Cette suppression devait, elle aussi, être compensée à l’euro près : vous le savez, tel ne fut pas le cas. Le compte n’y est pas.

Que se passera-t-il après 2018 ? Les communes seront privées, à terme, de 10 milliards d’euros de ressources. Or, chacun le sait ici, la taxe d’habitation représente environ 35 % de leurs rentrées fiscales. Ces préoccupations se sont largement exprimées cette semaine dans les travées du congrès des maires de France.

Messieurs les ministres, les collectivités territoriales représentent encore plus de 70 % de l’investissement public dans ce pays et seulement 9 % de la dette globale de la France. Nous vous suggérons de les solliciter comme un levier de sortie de crise et non comme une variable d’ajustement budgétaire.

Enfin, cette mesure est combattue par nombre de personnes, car elle est contraire à l’article 72 de la Constitution, qui sanctuarise le principe de la libre administration des collectivités territoriales en leur garantissant leur autonomie financière.

Oui, il faut une réforme de la fiscalité locale, mais une réforme globale et en concertation. Pour ces raisons, nous proposerons la suppression de l’article 3.

J’en viens à l’article 11, qui met en place le prélèvement forfaitaire unique, ou PFU. Là encore, point de nouveauté : cette disposition figurait par exemple dans les propositions de M. Fillon, candidat du parti Les Républicains lors de la dernière élection présidentielle.

Cette taxation unique à 30 % a pour première conséquence de revenir sur le principe de progressivité de la fiscalité, en vigueur jusqu’à présent. Ainsi, il n’y aura plus de variation en fonction des revenus. Comme tout impôt à taux unique, le PFU sera donc inégalitaire et profitera aux plus aisés.

Cette taxe a deux sources, un taux de cotisations sociales de 17,2 % et un taux forfaitaire d’impôt sur le revenu de 12,8 %. À terme, ce dispositif peut donc susciter une forme d’optimisation fiscale, car les revenus du capital seront moins taxés. En conséquence, il s’agit d’une véritable bombe à retardement pour les finances publiques. Le PFU transformera durablement une fiscalité déjà favorable aux plus aisés en une grande machine à redistribuer à l’envers.

Quant à l’article 12, il supprime l’ISF et met en place l’IFI.

Je relève déjà que, symboliquement, le mot « solidarité » disparaît : dans le contexte d’inégalités aggravées que j’ai précédemment évoqué, ce choix prend un sens très particulier. Ni Jacques Chirac ni Nicolas Sarkozy n’avaient osé toucher à l’ISF : M. Macron le fait.

Selon nous, ce n’est pas en supprimant un impôt socialement juste, ce n’est pas en cédant à une « lubie » du MEDEF, comme le disait lui-même Emmanuel Macron en 2014, que la France deviendra plus attractive. Mais, autres temps, autres mœurs !

Notre gouvernement propose de transformer l’ISF en IFI en sortant de l’assiette de l’ISF les valeurs mobilières, détentions d’actions, d’entreprises, d’obligations, de plans d’épargne en actions, ou PEA, d’assurances vie, etc. Le but est de diriger l’épargne vers les investissements productifs et, nous dit-on, de dynamiser l’économie. La perte de ressources pour l’État est estimée à 3,2 milliards d’euros par an.

L’effet combiné de cet impôt sur la fortune immobilière et du prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes sera absolument hallucinant pour les bénéficiaires de ces dispositifs.

Messieurs les ministres, je m’en réfère à la réponse faite par vos services au courrier que vous a adressé le président de notre commission des finances, Vincent Éblé, le 26 octobre dernier. Le président de la commission vous interrogeait quant aux conséquences de la mise en œuvre et de l’IFI et du PFU. Les éléments de réponse sont tout à fait édifiants. Nous en citerons quelques-uns.

Avec le PFU, les 100 premiers contribuables à l’ISF gagneront chacun, en moyenne, 582 380 euros par an.

Pour les 1 000 premiers contribuables, le gain moyen lié au PFU s’élèvera à 172 220 euros par an. Le bénéfice lié à la mise en place du PFU apparaît ainsi extrêmement concentré : 44 % du gain total est capté par le 1 % des ménages dont le revenu est le plus élevé. Cerise sur le gâteau, dernier élément d’analyse, pour les 100 premiers contribuables à l’ISF, le gain total lié aux deux réformes peut être estimé à environ 1,5 million d’euros par an, soit un montant supérieur à l’ISF qu’ils acquittaient jusqu’à présent !

C’est aussi un symbole sidérant que la sortie des yachts et autres lingots d’or de l’assiette de l’impôt.

Messieurs les ministres, vous allez bientôt ressembler à Don Salluste dans La Folie des grandeurs !

M. Gérald Darmanin, ministre. « Et mes acclamations ? Mon enthousiasme ? » (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)

M. Éric Bocquet. Pour illustrer concrètement les effets de notre proposition, citons le cas d’un PDG du CAC 40. Cette personne, qui a souhaité garder l’anonymat, détient un bien immobilier de 1,5 million d’euros et 15 millions d’euros de valeurs mobilières diverses. L’ISF actuel lui vaudrait une contribution de 195 700 euros ; avec l’IFI, elle payera la somme de 3 900 euros.

Mme Éliane Assassi. Voilà !

M. Éric Bocquet. M. le Président de la République aura du mal à se débarrasser, pendant ce quinquennat, du sparadrap du « Président des riches, version 2 ! »

Enfin, je dirai un mot de l’article 15, qui réduit l’assiette de la taxe sur les transactions financières.

Par ce projet de loi de finances, le Gouvernement propose de revenir sur l’une des mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2017 : l’élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières française aux opérations dites « intra-day ». Ces opérations dénouées au cours d’une même journée sont considérées comme les plus spéculatives.

Cette extension du champ de la taxe sur les transactions financières avait été obtenue de haute lutte, après cinq années d’âpres débats dans l’hémicycle. Elle est censée entrer en vigueur au 1er janvier 2018 et contribuer à l’amélioration du rendement de ladite taxe : de 1 milliard d’euros environ actuellement, celui-ci atteindrait, après l’élargissement aux opérations « intra-day », entre 2 et 4 milliards d’euros.

Chacun se souvient aussi que, en juin dernier, la Cour des comptes a publié un rapport à charge tirant à boulets rouges sur la taxe sur les transactions financières et sur l’éventuelle extension de celle-ci. Sans doute convient-il de rappeler ici que ce sont bien les élus, dans cette République, qui fixent les règles et lèvent l’impôt pour financer l’intérêt général.

On comprend bien le sens de ce signal fort adressé à l’industrie financière européenne, notamment après le Brexit : rendre la place financière de Paris plus attractive – pour les financiers.

Vous nous expliquez, monsieur le ministre, qu’il faut encourager ceux qui prennent des risques et libérer la fortune d’un excès de taxes pour orienter les capitaux vers l’économie réelle.

D’illustres de vos prédécesseurs, en France et ailleurs, ont puisé aux mêmes sources du néolibéralisme. Pensons à Mme Thatcher, qui, dès les années 1980, tenait le même discours, dans les mêmes termes exactement, au sujet de la célèbre théorie du ruissellement que vous nous vendez aujourd’hui, devenue théorie des « premiers de cordée » dans sa version 2017. Premiers de cordée dont on apprend que beaucoup transfèrent leur richesse sous des cieux fiscaux plus cléments, aux Bermudes, à Jersey ou à l’île de Man – pas pour investir, mais pour fuir l’impôt…

Cette théorie du ruissellement n’a jamais fait la preuve de son efficacité. En effet, alors que la distribution des dividendes tend à diminuer partout dans le monde, la France reste championne d’Europe dans ce domaine.

Vous avez raison quand vous exprimez le souhait d’orienter l’argent vers l’économie réelle ; mais votre méthode ne répond pas du tout à cet objectif. Chacun sait pertinemment que moins de 2 % des transactions financières dans le monde ont un lien avec l’économie réelle !

Ce projet de loi de finances aurait dû être l’occasion de s’attaquer frontalement à la question criante des inégalités, au nécessaire renforcement des services publics et à la domination insolente des marchés financiers dans l’économie. Ce n’est pas le chemin que vous avez choisi.

Vos premières mesures montrent déjà leur nocivité. Songeons à la grande inquiétude des élus locaux à la suite des annonces de cet été sur les collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, votre budget va aggraver les inégalités. Allez-vous, demain, appliquer la double peine aux plus démunis ? Allez-vous persister dans vos choix généreux à l’endroit des plus aisés ?

L’état des lieux présenté au début de notre intervention n’étant pas pris en compte, vous comprendrez que le groupe CRCE ne puisse pas apporter son soutien à votre projet de loi de finances pour 2018 !

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