Finances
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Il s’agit d’un rattrapage : les augmentations successives sont insuffisantes
Loi de finances pour 2021 : justice -
Par Cécile Cukierman / 4 décembre 2020Avec 8,2 milliards d’euros pour la justice cette année, c’est un budget « exceptionnel » et « historique », avez-vous affirmé, monsieur le garde des sceaux, lors de sa présentation à la presse le 29 septembre dernier. En soi, nous ne pourrions que nous en réjouir, mais qu’en est-il vraiment d’un point de vue purement comptable et du point de vue de la répartition de ces crédits, autrement dit de ce qu’ils financent ?
Certes, le budget augmente pour la justice – comme depuis 2012, d’ailleurs –, et cette année de 8 % hors charges de pensions, mais, comme d’autres orateurs l’ont indiqué avant moi, il s’agit avant tout d’un rattrapage. Il n’est donc qu’à moitié réjouissant, et ce d’autant que l’augmentation continue des moyens depuis 2012 est insuffisante pour sortir la justice de la pénurie à laquelle elle est confrontée.
La comparaison avec nos voisins européens est à ce titre assez douloureuse : la France consacre moins de 70 euros par an et par habitant à son système judiciaire, quand l’Allemagne y consacre 122 euros, l’Autriche 107 euros et l’Espagne 79 euros. En parallèle, la France compte toujours deux fois moins de juges que la moyenne européenne pour 100 000 habitants.
En outre, la période de confinement a mis en relief l’indigence du ministère de la justice, en particulier son sous-équipement structurel en matière numérique. Pis encore, la majorité du contentieux civil a été abandonnée pendant cette période et le contentieux pénal qui a été maintenu a subi un profond affaiblissement et une dégradation des garanties accordées aux justiciables : juge unique, audience en visioconférence, voire par téléphone, procédure sans audience et jugement en l’absence des prévenus ou retenus faute d’extraction, publicité restreinte, voire parfois supprimée.
En outre, que signifient les chiffres si ce n’est ce qu’ils servent ? En l’occurrence, le premier poste budgétaire de la mission « Justice » demeure l’administration pénitentiaire, dont les crédits représentent plus de la moitié de l’enveloppe. Pourtant, l’Observatoire international des prisons souligne régulièrement l’inefficacité de l’augmentation du parc carcéral pour répondre à la surpopulation carcérale à laquelle nous sommes confrontés.
Le deuxième poste budgétaire de la mission, la justice judiciaire, n’est pas sans poser problème non plus, puisque la mise en œuvre de la réforme de l’organisation judiciaire se poursuivra en 2021. Rappelons que, par cette réforme, la carte judiciaire et les principes qui la gouvernent sont complètement bouleversés, ce qui marque un véritable tournant dans l’histoire de nos institutions judiciaires. La dualité tribunal de grande instance-tribunal d’instance disparaît au profit d’un tribunal judiciaire qui, par le biais d’une spécialisation accrue, instaure une hiérarchisation entre les juridictions d’un même département.
Nous défendons au contraire une véritable justice de proximité, qui implique le maintien des tribunaux d’instance comme juridictions autonomes. Bien ancrés sur le territoire français, les tribunaux d’instance étaient vecteurs d’une justice de proximité. Ils traitaient la plupart du temps des contentieux concernant les plus faibles : mesures de protection, surendettement, crédit à la consommation, baux, litiges du quotidien… Comment cette proximité avec les justiciables les plus précaires sera-t-elle maintenue ?
Enfin, j’aborderai rapidement la protection judiciaire de la jeunesse, puisque nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau au Sénat à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février 2021. Comme les 500 personnalités et professionnels de l’enfance qui se sont exprimés sur le sujet, nous demandons l’abandon du code de justice pénale des mineurs. En effet, la forme – établi sans consultation préalable des professionnels, ce texte procède par voie d’ordonnance –, autant que le fond – l’accélération de la répression pénale, au détriment du temps éducatif de l’enfant – sont contestables.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas les crédits de cette mission, qui sont bien en deçà des moyens que nécessite le bon fonctionnement de ce grand service public qu’est la justice.