Finances
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Le carcan européen étouffe les marges de manoeuvre nationales
Projet de loi de finances pour 2020 : article 36 -
Par Pierre Laurent / 21 novembre 2019Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat auquel nous appelle le vote de la contribution française au budget européen est l’occasion de mettre en lumière le grave déficit démocratique de l’élaboration des politiques budgétaires de l’Union européenne et la part de ce budget financée par la France.
Le sujet n’est pas de remettre en cause le principe d’une contribution directe des États membres, et donc de la France, au budget européen. Sans ces contributions, pas de budget européen ! Nous savons par ailleurs que nous recevons en retour une partie de l’argent versé à ce budget européen au travers des politiques mises en œuvre, comme la PAC ou les fonds structurels. Nous versons plus que ce que nous recevons : nous sommes l’un des contributeurs nets de l’Union européenne. Là encore, nous n’avons pas d’opposition à ce principe de solidarité, compte tenu du poids économique de notre PIB dans l’Union européenne.
Non, le problème est ailleurs. Il tient à la nature des politiques mises en œuvre avec cet argent.
En préambule, il convient de souligner que le budget européen repose aujourd’hui, pour l’essentiel, sur les contributions directes des États membres. La part tirée de la TVA et des droits de douane n’a cessé de s’effondrer depuis les années 1980 ; c’est la rançon du développement libéral et des accords de libre-échange. En conséquence, l’exercice budgétaire européen, alors que les besoins de cohésion ne cessent de croître en Europe, atteint ses limites. L’austérité budgétaire et le carcan du semestre européen étouffent les marges de manœuvre nationales. Des États, de plus en plus nombreux, rechignent à contribuer et alimentent un discours de rejet de la solidarité. En somme, le budget européen est mis en cause du fait de ses propres règles budgétaires.
Pourtant, le besoin de financer de grands projets européens grandit, par exemple pour faire face aux enjeux numériques, pour engager une nouvelle industrialisation, plus sociale et plus écologique, pour mettre en place de grandes politiques de service public réductrices d’inégalités. Manifestement, ce n’est pas avec le seul budget européen actuel que l’on pourra y répondre. C’est très au-delà qu’il conviendrait de mobiliser et de réorienter les richesses en Europe.
La politique de la Banque centrale européenne doit être revue de fond en comble, pour la mobiliser au service d’une transition socialement et écologiquement juste. La lutte contre l’évasion fiscale, contre le dumping fiscal des multinationales, pour une taxation ambitieuse des transactions financières, pour une taxation sociale et écologique des marchandises entrant sur le marché européen est aussi un axe de bataille essentiel. Elle pourrait rapporter des moyens nouveaux considérables.
Aborder le débat sur le budget européen à travers la seule question des contributions directes des États, c’est donc le prendre par le petit bout de la lorgnette. Je ferai toutefois quelques remarques sur la contribution de la France au budget européen et son utilisation.
Nous nous inquiétons des menaces pesant sur la PAC et nous renouvelons notre demande d’une consolidation et d’une réorientation de cette politique, pour la rendre moins favorable à l’agrobusiness anti-écologique, plus favorable à une agriculture soucieuse de la qualité de l’alimentation, de l’avenir de nos sols et de la biodiversité.
Nous nous inquiétons du recul de la part des fonds de cohésion dans le budget européen, alors qu’ils sont aujourd’hui l’un des rares instruments de solidarité de l’Union, même s’il faut retravailler les critères d’attribution de ces fonds.
Nous ne sommes pas favorables à la montée en puissance des dépenses sécuritaires et militaires. La multiplication par cinq d’ici à 2027 du nombre des agents de Frontex afin de cadenasser l’Europe ne correspond pas à l’Europe que nous voulons construire. Les dirigeants européens célèbrent le trentième anniversaire de la chute d’un mur au cœur du continent, mais ils en construisent un autre au moins aussi haut à ses frontières. La multiplication par huit du budget de Frontex est révélatrice du projet européen en matière d’accueil, ou plus exactement de non-accueil.
Dans le même esprit, où mène l’augmentation des budgets militaires ? Au renforcement de l’OTAN, à propos de laquelle le Président de la République parle de « mort cérébrale » ? Nous en rediscuterons plus longuement ici même, je l’espère, le 12 décembre, sur l’initiative de notre groupe. À la création d’une défense européenne indépendante ? Rien n’annonce pour l’heure la mise en œuvre d’un tel projet. Ainsi, nous augmentons les dépenses militaires sans qu’aucune vision commune de long terme ne voie le jour en matière de sécurité collective.
Avec les mêmes incertitudes, nous entraînons nos industries de défense dans des alliances capitalistiques qui mettent en danger notre indépendance de décision. Pour aller où ? Nous ne le savons pas. Par exemple, le rapprochement, souhaité par les gouvernements français et italien, entre Fincantieri et Naval Group s’apparente à un amour de façade, au vu des conflits qui opposent les deux groupes en Arabie saoudite, en Roumanie et au Brésil.
Quant aux atermoiements sur le lancement du système de combat aérien du futur (SCAF) et du Main Ground Combat System (MGCS), ils constituent un nouvel écho de l’absence de doctrine commune en matière de défense et d’industries de défense, après les critiques françaises concernant le moratoire allemand sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cela fait beaucoup trop de questions pour une ligne budgétaire dont nous contestons non pas le principe, mais l’utilisation. Nous nous abstiendrons sur cet article du PLF pour 2020.