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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Les revenus des plus riches ont explosé

Projet de loi de finances pour 2022 (question préalable) -

Par / 18 novembre 2021

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici arrivés au jour de l’ouverture de l’examen du projet de loi de finances pour 2022.

Il s’agira du dernier budget du quinquennat de M. Macron, aussi nous paraît-il judicieux de tirer un bilan global de ces cinq années. Nos collègues de la majorité sénatoriale eurent, il y a quelques semaines de cela, des mots très durs à l’endroit du présent budget. Voici, en effet, ce que vous déclariez, mes chers collègues : « Le Gouvernement n’envisage plus le projet de loi de finances que comme un bout de torchon et il ajoute ensuite des mesures au fur et à mesure. Mais la réponse est non. Ce n’est pas comme cela qu’on gère la France. »

J’ajoute cette seconde déclaration : « C’est vrai qu’on peut se poser la question de savoir si cela vaut la peine de perdre trois semaines pour corriger les imperfections d’un budget indécent ».

Notre groupe, lors de la discussion générale, déclinera ses propositions par la voix de nos collègues, Pascal Savoldelli, d’une part, et Céline Brulin, d’autre part, pour le volet particulier des collectivités.

Pour l’instant, afin d’expliquer ce qui nous a motivés à déposer cette question préalable, je tâcherai d’établir l’état des lieux de notre pays et de la société française au terme de ce quinquennat.

Notre pays reste profondément fracturé sur le plan social. La décision très emblématique du Gouvernement de supprimer l’ISF a finalement été un échec politique cuisant. C’est une étude récente de France Stratégie qui nous le dit. Le ruissellement annoncé ne s’est pas produit. Par contre, les revenus des 0,1 % les plus riches de notre pays ont explosé. Or cette mesure était censée « favoriser la croissance de notre tissu d’entreprises, stimuler l’investissement et l’innovation ».

S’il y a bien eu croissance, elle a surtout concerné le patrimoine des 500 plus grosses fortunes de France, qui a quasiment doublé sous le quinquennat de M. Macron, ce qui permit au magazine Challenges, en juillet dernier, de titrer : « Classement des fortunes de France : cru record en pleine année Covid ». Plus on est riche en France, plus on s’est démesurément enrichi. Si la fortune des 500 premiers milliardaires a crû de 30 %, celle des cinq premiers a grimpé de 45 % !

L’instauration du prélèvement forfaitaire unique a incontestablement eu des effets, puisqu’elle a entraîné une hausse de 60 % des dividendes distribués, les faisant passer de 14,3 milliards en 2017 à 23,2 milliards d’euros en 2018, et la hausse s’est poursuivie en 2019.

De plus, l’étude précitée indique que cette augmentation des dividendes est de plus en plus concentrée sur la population. En 2018, 0,1 % des foyers fiscaux, soit 38 000 personnes environ, a perçu les deux tiers des montants totaux et les ultrariches, soit 0,01 % des foyers fiscaux ou 3 800 personnes, qui en captaient un cinquième, en ont reçu le tiers.

Tel est, mes chers collègues, le bilan vu du côté des patriciens ; tournons-nous désormais du côté des plébéiens. Voyons où en est la France des fins de mois difficiles, celle où la moindre dépense imprévue peut faire basculer dans la précarité.

Dans notre pays, en effet, un Français sur cinq a du mal à joindre les deux bouts. Est considéré comme pauvre celui dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit aujourd’hui 1 063 euros pour une personne seule, à un peu moins de 200 euros du montant net du SMIC quand on y songe, mes chers collègues… Pas moins de 14,6 % de la population survit dans ces conditions.

Au-delà des statistiques froides, ce sont des situations humaines difficiles, parfois dramatiques, qu’il nous faut considérer. Un tiers de la population française puise dans ses économies pour boucler son budget et la moitié se déclare au moins en difficulté de logement, selon l’Insee.

En France, 2,3 millions de personnes vivent avec au mieux 735 euros par mois pour une personne seule et 4 millions de ménages doivent se contenter de minima sociaux, ce qui représente plus de 6 millions de personnes si l’on inclut les conjoints et les enfants.

Il y a aussi toutes celles et tous ceux qui connaissent l’insécurité alimentaire. Cette année, 5 millions de nos concitoyennes et concitoyens ont eu recours à l’aide alimentaire. La Fondation Abbé Pierre indiquait, dans un rapport publié la semaine dernière, que deux Français sur dix ont froid chez eux.

Certains allument le chauffage quand la température des chambres tombe sous les 14 degrés. Les 20 % des ménages les plus modestes consacrent 16 % de leurs revenus aux dépenses énergétiques, quand pour les 20 % des ménages les plus aisés le chiffre tombe à 4,5 %.

Certes, le Gouvernement se targue d’avoir rendu 24 milliards d’euros aux ménages. Il nous faut analyser ces données avec beaucoup de précision. En valeur absolue, ce sont bien les ménages les plus aisés qui ont bénéficié de ces gains, les ménages modestes n’étant pas ciblés par la suppression de la taxe d’habitation notamment, puisque, parmi les 20 % des ménages les plus pauvres, environ la moitié ne payait pas cette taxe.

Quand on examine la situation des retraités, on découvre des perdants qui ont subi l’augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) en début du quinquennat et le quasi-gel des pensions. Précarité et pauvreté restent à un niveau très élevé dans notre pays. Peu de personnes arrivent à en sortir durablement et une partie importante de la population éprouve de plus en plus de difficultés à faire face aux dépenses courantes.

Au surplus, la plupart du temps, les améliorations proviennent d’opérations reposant sur des primes ou des exonérations quand la vraie réponse passerait par une hausse durable et sensible des salaires et des pensions. Comment s’étonner, dans ce contexte, que la question des salaires et du pouvoir d’achat soit devenue la première préoccupation de nos concitoyens ?

Or vous choisissez ce moment pour mettre en œuvre la réforme de l’assurance chômage, en vue de réaliser des économies budgétaires !

Votre saupoudrage de mesures ne peut suffire à constituer une réponse efficace à la problématique du pouvoir d’achat.

L’augmentation des prix de l’énergie et le léger sursaut d’inflation inquiètent légitimement le pays. Ainsi, 56 % des Français estiment que leur pouvoir d’achat a plutôt diminué sous la présidence de M. Macron.

Entre des classes moyennes et populaires insatisfaites, à 64 % et 56 % respectivement, et des classes aisées qui le sont bien moins, à seulement 19 %, l’image du « président des riches » est un véritable sparadrap.

À l’évidence, il n’y a pas eu dans ce quinquennat de réelle volonté de s’attaquer aux profondes inégalités qui traversent notre société. Les laisser ainsi s’accroître, c’est courir un très grand risque social et politique.

Oui, nous restons convaincus que l’impôt juste, équitable et progressif est une arme efficace contre ces problèmes. Nous pensons utile de rétablir un ISF rénové et renforcé. À celles et ceux qui disent que ce n’est pas avec cette seule mesure que l’on va redresser la France, nous rappellerons que les 5,2 milliards d’euros de recettes que cet impôt produisait avant sa suppression sont à mettre en regard des budgets présentés dans ce projet de loi de finances pour 2022 : 2,7 milliards d’euros pour l’agriculture, 3 milliards d’euros pour la culture, 1,6 milliard d’euros pour la jeunesse et la vie associative, 2,4 milliards d’euros pour les outre-mer, ou encore 4,9 milliards d’euros pour l’aide publique au développement. Ce budget ne prévoit aucune mesure fiscale nouvelle, alors que les besoins auxquels nous devons faire face sont immenses.

La question de savoir qui va payer la dette publique ne peut que renforcer notre inquiétude. En effet, la dette est l’argument absolu utilisé depuis longtemps par les gouvernements successifs pour justifier ce qu’ils désignent comme « la maîtrise » de la dépense publique – en réalité, il faut comprendre qu’il s’agit de sa « réduction ».

Le Gouvernement, après avoir fait le choix incontournable du « quoi qu’il en coûte » face à la pandémie s’apprête à présenter la facture aux Français. Cela a commencé avec la réforme de l’assurance chômage. Emmanuel Macron, Président-candidat ou candidat-Président, a déjà donné des gages aux libéraux sur « l’incontournable » réforme des retraites, qu’il mettrait en œuvre, dit-il, dès 2022... Nous voilà tous prévenus !

Pour ce dernier budget du quinquennat, les choix attendus par le pays n’ont à l’évidence pas été faits. Vous n’abandonnez pas le dogme de la baisse draconienne des dépenses publiques, prévue dans le cadre du programme de stabilité, puisque celle-ci constitue la contrepartie aux réductions d’impôts qui profitent aux plus fortunés de nos concitoyens. Vous proposez donc d’économiser sur la santé, le logement, les aides personnalisées au logement (APL), l’assurance chômage…

Un État fort doit être capable d’agir grâce à des marges budgétaires importantes, issues des recettes fiscales qu’il voudra se donner. Les Pandora Papers viennent de braquer une nouvelle fois les projecteurs sur l’argent soustrait aux caisses de l’État. Le Gouvernement avait annoncé, lors de ces révélations, qu’il procéderait à des vérifications. Au même moment, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, réagissait vigoureusement face à ses homologues européens en donnant son accord pour que les Seychelles soient retirées de la liste des paradis fiscaux… Toujours cette ambivalence qui illustre le manque d’une véritable volonté politique du Gouvernement de s’attaquer radicalement à ce scandale de notre temps !

Pourtant, les sommes en cause dans ces différentes révélations sont absolument vertigineuses. Votre action, globalement, s’apparente davantage à un saupoudrage cosmétique qu’à une intervention en profondeur. Ce budget devrait mobiliser les crédits nécessaires aux grands investissements de la transition écologique. La récente COP26 de Glasgow a montré à quel point des moyens financiers considérables devaient être engagés.

Consacrer 10 milliards d’euros par an à la rénovation des bâtiments publics et des logements permettrait par exemple de réduire la consommation énergétique des ménages, donc leur facture.

Cinq années après le vote du premier budget de votre quinquennat, ce dernier projet de loi de finances s’inscrit dans les standards de la philosophie macroniste. En 2022, la baisse des impôts se poursuivra. Les plus riches gagneront encore 5 milliards d’euros grâce au dégrèvement de la taxe d’habitation et les plus grandes entreprises bénéficieront de l’abaissement à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés.

Nous savons que la possibilité de présenter une motion portant question préalable est une idée qui a traversé l’esprit de plusieurs de nos collègues de la majorité sénatoriale. Il ne s’agit pas de faire l’école buissonnière ; notre groupe soumet donc cette motion au débat. C’est toute la logique de cette construction budgétaire qu’il convient de rejeter. Il incombe désormais à chacune et chacun d’entre nous de s’exprimer sur le sujet, en pleine lucidité et en pleine responsabilité.

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