Finances
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Un pas de plus dans la financiarisation de notre économie
Proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France -
Par Eric Bocquet / 15 mai 2024Paul Lagneau-Ymonet et Angelo Riva écrivaient en 2012 dans leur Histoire de la Bourse : « La promotion des marchés financiers dans un espace déréglementé et sans frontières scelle le passage du régime économique d’après-guerre à l’économie financiarisée contemporaine ».
L’impératif de liquidité et la possibilité d’échanges infinis, désormais à la nanoseconde, voilà la recette d’une dérive boursière dont l’histoire nous avait prémunis jusque dans les années 1980.
Les Bourses elles-mêmes sont désormais cotées en Bourse, quittant la forme coopérative régulée. La frénésie financière fait perdre de vue l’objectif de financer l’économie productive et les États par la mise en relation d’un épargnant avec une entité publique ou privée.
Les agents de change ne sont plus des officiers ministériels, mais des traders. Ils passent toujours des ordres, mais sont habités surtout par la recherche du profit. Les enjeux financiers ne sont plus les mêmes : 500 milliards de francs au pic de 1930, contre plus de 7 000 milliards d’euros aujourd’hui ! Ils roulent pour des fonds d’investissement pour lesquels les salariés sont des obstacles, tout au plus.
Les marchés réglementés et les Bourses traditionnelles sont de surcroît en concurrence, depuis une directive européenne de 2007, avec des systèmes multilatéraux de négociation, par exemple pour les quotas carbone, considérés comme un actif comme un autre - quelle idée !
Un actif que l’on échange et sur lequel on spécule. Résultat : ce sont les plus gros opérateurs qui peuvent s’échanger des titres à la nanoseconde. Dans chaque faille se glisse un appétit, une prédation. Ces failles sont en fait l’intention des dirigeants libéraux : toujours plus d’échanges de capitaux, jusqu’à la prochaine folie, la prochaine crise... La confiance, dopamine des marchés, a une définition qui ne mérite aucun commentaire : « se dit de l’assurance qu’on prend sur la probité. »
La recherche d’attractivité, à laquelle le texte n’apporte aucune réponse, émane de la mise en concurrence des places comme Londres, Francfort ou Amsterdam. Euronext, fusion des opérateurs français, belges et néerlandais rejoints par quatre places boursières supplémentaires, est un opérateur de Bourse paneuropéen lui-même coté sur le marché français. C’est 513 millions de bénéfices en 2023 et 1 900 émetteurs, soit 6 600 milliards d’euros de capitalisation boursière. Faire la pluie et le beau temps, c’est sa mission. Cette Union des marchés de capitaux (UMC) avant l’heure a-t-elle produit les résultats escomptés ?
L’attractivité de la place française est secouée par l’annonce par Total d’une possible cotation à New York. Je suis tenté de dire « bon vent » à M. Pouyanné et à son groupe, si l’idée n’est pas de transférer le siège social de son groupe (M. Roland Lescure s’en offusque) - même si ce siège n’empêche pas l’évasion fiscale par le biais de filiales de trading de pétrole...
La recherche d’attractivité est un moyen de satisfaire les intérêts des grandes entreprises. Paris est le premier marché boursier européen, devant Londres. Les marchés se portent bien, les entreprises cotées aussi. Nul besoin de légiférer ; nous proposerons aussi de supprimer des dispositions contre-productives.
La seule question à se poser est la suivante : à quoi servent les marchés financiers ? Financer les entreprises et leurs capacités d’investissement. Or les marchés ont dérégulé l’économie ! Définanciarisons plutôt l’économie, en préférant des crédits bancaires rassemblés au sein d’un pôle public sur le modèle de la Caisse des dépôts. Les fonds de pensions et les capital-risqueurs n’ont que faire des projets industriels. Nous sommes résolument opposés à ce texte.