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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une forme d’indulgence à l’endroit des fraudeurs fiscaux

Lutte contre la fraude -

Par / 3 juillet 2018

Monsieur le ministre, lorsque le Gouvernement auquel vous appartenez a annoncé en début d’année son plan de lutte contre la fraude, certains se sont pris à rêver du grand soir fiscal. Enfin ! Voilà un gouvernement proactif qui s’attaque au dossier de l’évasion fiscale, sans y être poussé par un nouveau scandale révélé par la presse ou les lanceurs d’alerte. C’est dire si nous attendions avec une certaine impatience vos propositions. (M. François Bonhomme s’exclame.)

À la lecture de votre projet de loi, nous voulons vous dire d’emblée que nous restons sur notre faim !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est étonnant ! (Sourires.)

M. Éric Bocquet. Ce texte est encore fortement marqué par une forme d’indulgence à l’endroit des fraudeurs fiscaux. Il reste très modeste dans ses ambitions, se contentant pour l’essentiel d’aménagements à la marge, de modifications cosmétiques et d’un renforcement des sanctions fiscales administratives. Il s’inscrit avant tout dans une volonté globale de marginaliser la poursuite pénale des auteurs de délits fiscaux, de maintenir la légitimité d’un traitement principalement administratif de la fraude fiscale et de tenter de rendre politiquement acceptable le maintien du « verrou de Bercy », qui constitue pourtant une spécificité difficilement défendable et tout à fait inacceptable pour l’ensemble de nos concitoyens.

Dans ce texte, il n’y a pas un mot sur les grands groupes du numérique, pas un mot sur une liste crédible des paradis fiscaux en Europe et dans le monde, pas un mot non plus sur les lanceurs d’alerte, qui ont pourtant joué un rôle essentiel ces dernières années dans les révélations de scandales d’évasion fiscale, très peu de mots, enfin, sur la dimension internationale du sujet.
Aux premières annonces du début d’année, à grands renforts de tambours et trompettes médiatiques, vous avez annoncé la création d’une police fiscale, une nouvelle équipe de trente agents, cinquante à terme. C’était la mesure phare de ce projet.

Il m’est impossible à ce stade de ne pas rappeler ici les 38 000 suppressions d’emplois décidées par les gouvernements successifs depuis vingt ans.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cela n’a rien à voir !

M. Éric Bocquet. C’est le chiffre que donnait M. Bruno Parent, le directeur général des finances publiques, le 6 juin dernier, lors de son audition devant la commission des finances. Quoi que l’on puisse dire, ces suppressions d’emplois ont des conséquences directes sur les conditions d’exercice du contrôle fiscal. Regardons un peu les chiffres de Bercy pour l’exercice 2017 : une baisse de 2 % des vérifications de comptabilité pour l’année, une baisse de 5 % des droits et pénalités des opérations répressives.

Tandis que le nombre d’entreprises a augmenté de 15 % entre 2010 et 2016, le nombre de vérifications n’a cessé de diminuer. Pendant que l’on parle de lutte contre la fraude fiscale, le taux de couverture des services du contrôle fiscal sur les entreprises a reculé de 22 % en quelques années seulement.

Enfin, cette police fiscale viendrait s’ajouter aux multiples services en charge de la lutte contre la fraude à compétence nationale, soit pas moins de sept services concernés, auxquels il faut ajouter la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.

Pour notre part, nous pensons que l’urgence consisterait à réaffecter les moyens humains, techniques et financiers à tous les services existants, afin qu’ils puissent encore augmenter leur efficacité.

Monsieur le ministre, l’article 11 de ce projet de loi prévoit d’intégrer la liste des paradis fiscaux de l’Union européenne à la liste française. Cette disposition pourrait prêter à sourire si elle ne traitait pas d’un sujet aussi grave pour les finances publiques.

Pour mémoire, rappelons la maigreur de la liste française, qui comporte sept États : le Botswana, Brunei, le Guatemala, les Îles Marshall, Nauru, Niue et le Panama, ce dernier État ayant été rétabli en catastrophe dans la liste en avril 2016, au lendemain des révélations fracassantes des « Panama papers », par le consortium international des journalistes d’investigation. Quant à la liste noire commune de l’Union européenne, telle qu’elle a été établie au 23 janvier 2018, elle comporte huit pays, dont Guam, Samoa et Palaos.

Cette liste est véritablement celle des paradis perdus. Aucun État membre de l’Union européenne n’y figure par décision politique. Pourtant, la planète « évasion fiscale » y tourne très bien. Depuis 2016, année de la révélation de l’affaire dite « LuxLeaks », qui dénonçait ces accords fiscaux très avantageux pour les grands groupes, le Grand-Duché du Luxembourg a conclu 599 accords fiscaux de ce type, tout comme la Belgique voisine, qui en a signé 1081 pour sa part.

Au sein de l’Union européenne, la multinationale Apple a payé des impôts à des taux compris entre 1,7 et 8,8 % entre 2015 et 2017. Les spécialistes estiment que la société Apple est parvenue à éviter de payer jusqu’à 21 milliards d’euros à l’Union européenne !

Ce texte nous laisse également sur notre faim, compte tenu du maintien du « verrou de Bercy ». Nous avons vraiment le sentiment que Bercy s’agrippe à son pouvoir. Il s’agit d’une exception française qui, au fond, institue une justice à deux vitesses. On nous rétorque invariablement que le dispositif actuel est plus efficace en termes de montants et de rapidité. Cela reste bien évidemment à vérifier.

Quand une présomption se fait jour, elle ne peut être établie qu’en recourant à des moyens coercitifs qui, dans un État de droit, ne peuvent être autorisés que dans le cadre d’une procédure judiciaire. C’est ainsi qu’il peut arriver que des indices ne soient ni traités ni transmis à la justice.

Pour véritablement rétablir la confiance chez nos concitoyens, l’heure est à la transparence et à la justice.

Mes chers collègues, M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, déclarait à l’Assemblée nationale le 6 novembre dernier, au lendemain des nouvelles révélations des « Paradise papers » que « l’évasion fiscale est une attaque contre la démocratie ». Il est très regrettable que ces propos n’aient pas été suivis d’effets véritables. Depuis trente ans, des politiques de dumping fiscal ont été menées par certains pays, y compris au sein de l’Union européenne.

Ces politiques trouvent leur origine dans la liberté complète de circulation des capitaux, décrétée dans les années 1980, et érigée en véritable dogme depuis. Une guerre sans merci s’est alors développée pour attirer les capitaux. Dès qu’un État assouplit sa législation fiscale, les capitaux bondissent vers le pays d’accueil. Je ne suis pas de ceux qui se résignent à cette injustice ! Dès lors qu’il y a un impôt, certains cherchent à s’en affranchir. C’est tout à fait inacceptable !
La différence entre évasion et fraude fiscale me laisse toujours un peu pantois. Dès lors que vous élaborez des systèmes particulièrement opaques pour ne pas payer l’impôt, qu’un certain nombre de manœuvres sont accomplies, qu’une ingénierie est mise en place dans une très grande opacité, les jurisprudences et la perception que l’on en a aujourd’hui pourront évoluer... un jour.

Mes chers collègues, les élus, la République, sont au pied du mur pour réaffirmer ici le primat de l’intérêt général. Ce texte en l’état ne nous y conduit pas. Puisse le débat en enrichir la portée !

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