Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité

Par / 1er octobre 2003

par Nicole Borvo

Monsieur Le Président,
Monsieur Le Ministre,
Mes chers collègues,

Les évolutions ou hésitations sur la dénomination de ce projet de loi sont à elles seules tout un programme ! « Loi sur la grande criminalité » au départ, aujourd’hui, « adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité » dont le premier chapitre vise la délinquance et la criminalité organisées. De quoi s’agit-il alors ? Hélas, la qualification de nouvelles formes de criminalité, et encore moins de bandes organisées n’est en aucun cas définie et donc restreinte. En réalité, c’est un texte - encore un à vocation d’affichage puisqu’il fait fi des dispositions déjà existantes en droit pénal concernant la criminalité organisée - déjà floue - et qui peuvent donc s’appliquer aux nouvelles formes de criminalité - mais que par contre il a bien pour objectif d’allonger les peines et d’amoindrir les droits de la défense et les libertés conditionnelles.

Vous avez vous-même, Monsieur le Ministre, énoncé quatre critères à une bonne justice pénale : elle doit être de son temps ; avoir des moyens adaptés à ses fins ; la justice pénale doit être rapide sans pour autant être expéditive ; enfin, la justice pénale doit avoir, en même temps qu’un objectif de régulation sociale, le souci de la victime.
Principes certainement à creuser et à évaluer au regard des .. de la justice ! Mais je voudrais dire ici principes « .. ».
En effet, le premier « principe » édicté, est de ce point de vue, un chef d’œuvre du genre. La justice doit être de son temps. Doit-on en déduire qu’elle doit épouser les politiques ? Et en l’occurrence, l’affichage sécuritaire ?

Je vois dans cette volonté constante d’alourdire les sanctions pénales, une consécration des discours des "spécialistes ès sécurité", tels que M. Rauffer, qui dépeignent à loisir une France à feu et à sang, en état de quasi-guerre civile faisant face à une criminalité de plus en plus jeune et de plus en plus violente : "le problème crucial en France aujourd’hui n’est pas un problème de délinquance mais de criminalité"(…) "la France vit aujourd’hui une grave crise criminelle (alors qu’on) s’acharne à parler de délinquance" (…) "il s’agit là d’une crise criminelle et non à une crise de délinquance" etc, etc… je vous renvoie à la lecture de son audition devant la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs.

En effet, cette vision de la sécurité traverse l’ensemble du présent projet de loi - ce qui n’est guère étonnant venant d’un texte dont l’inspiration revient, on le sait parfaitement, au ministère de l’intérieur. On la retrouve donc dans le caractère flou de la notion de criminalité organisée qui s’avère particulièrement extensive : outre le fait qu’aucune définition précise n’est donnée de la bande organisée, la liste des crimes concernés est particulièrement longue et les rajouts opérés par les députés ne peuvent que renforcer l’effet "captateur" et dévoreur de cette notion de crime organisé.

Ainsi, l’arrachage d’OGM par la Confédération paysanne sera désormais assimilé à un crime organisé car constitutif de "crime de destruction, dégradation et détérioration d’un bien commis en bande organisée" : j’ai d’ailleurs constaté le discours musclé à ce propos d’un membre éminent de votre majorité, M. De Rohan qui, lors des journées parlementaires UMP, a cru devoir rappeler que la loi est la même pour tous « en Corse, au Larzac et ailleurs », ajoutant, « ceux qui cassent doivent payer ! » Le rapprochement Corse et Larzac mérite .. - de quoi s’agit-il ? Et la loi est la même pour tous aussi ! Les casseurs d’outil de travail des patrons qui déménagent la nuit leur entreprise sont-ils punis ?

Par contre, les associations de droit des étrangers pourront avec le présent texte être poursuivies pour délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France au titre de "criminels organisés". Crime de solidarité - ça oui !
Lorsque, curieusement, on constate que les délits en col blanc et singulièrement la corruption ont échappé à la liste, on peut s’interroger sur l’arbitraire de cette notion alors même que la bande organisée est déjà prise en compte dans le code pénal au titre de circonstance aggravante et constitue le délit d’association de malfaiteurs.
La dé-hiérarchisation des délits emporte selon nous, un double effet négatif : d’une part elle minore l’importance des atteintes aux libertés individuelles parce que "tout est gravissime" , mais en même temps, de l’autre côté, elle contribue à déprécier les crimes les plus odieux, parce que "tout étant gravissime, rien n’est grave".

Cette « inflation pénale » n’est certes pas nouvelle et s’inscrit à mon sens dans la tendance très marquée ces dernières années de faire du droit pénal le mode de régulation central sinon univoque de la société, que de nombreux spécialistes et acteurs de terrain on dénoncé. Je pense en particulier au groupe de travail mené par M. MASSOT sur la responsabilité pénale des décideurs publics, qui réclamait "un moratoire sur la création de nouvelles infractions pénales" dans les termes suivants : "On constate une propension, tant du législateur que du pouvoir réglementaire à assortir d’une sanction pénale toute méconnaissance d’une obligation. Comment s’étonner ensuite de la pénalisation croissante de la société et de la tendance à rechercher de plus en plus systématiquement l’intervention du juge pénal ?".
Car, par un mouvement de domino, l’augmentation des infractions pénales entraîne une aggravation généralisée des sanctions : les incivilités deviennent des contraventions, lesquelles deviennent des délits, lesquelles deviennent des crimes : sans que l’efficacité en soit réellement démontrée ni qu’une quelconque évaluation soit menée.

Cette évaluation serait d’autant plus nécessaire que le mouvement d’aggravation pénale sert de justification, dans le texte, au développement de procédures exceptionnelles, dérogatoires au droit commun, dans lesquelles les droits et libertés fondamentales apparaissent largement écornés : développement de juridictions spécialisées, dont il est à craindre qu’elles deviennent des juridictions de droit commun, alors même qu’existent déjà des pôles spécialisés, légitimation des procédures policières occultes, telles l’infiltration, ou la pose de micros en tous lieux, délais de garde à vue démesurés, extension de la procédure du repenti … tous les ingrédients d’un bon état policier. Pourtant, l’histoire nous enseigne que les systèmes d’exception ne sont pas une espèce de respect et de développement de la démocratie.

On remarquera, a fortiori que le texte ne se limite pas à instituer des règles particulières aux délits et crimes relevant de la (non)définition du crime organisé : elle tend encore dans l’alignement de la procédure pénale de droit commun sur les procédures d’exception - l’enquête de flagrance étendue à 15 jours, délais déférés pour l’information du procureur, garde à vue allongée…
C’est ainsi, que, du point de vue du respect des libertés individuelles, mon collègue Robert Bret y reviendra dans la question préalable, le projet de loi prend le contre-pied de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes laquelle opérait - faut-il à nouveau le souligner ?- une remise à niveau de notre procédure pénale avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme.

Encore une fois, ceux qui pourtant avaient voté la loi du 15 juin mais qui se sont laissés entraîner dans la déferlante sécuritaire ne renoncent pas à le mettre en cause. Alors certes, notre Rapporteur de la commission des lois du Sénat a du opérer un lissage indispensable afin de passer le "barrage" du conseil constitutionnel - mais peut-être faudrait-il d’ailleurs parler de "barrière de papier" au vu des dernières décisions de la haute instance.
Tel est le sens des amendements qui rétablissent l’information du parquet dès le début des mesures portant atteinte à la liberté individuelle telle la garde à vue et non pas "dans les meilleurs délais" tant il est vrai que l’information fait perdre au contrôle judiciaire tout son sens ; il en est ainsi également des dispositions qui rétablissent en partie des droits de défense sérieusement écornés par le présent texte.

Néanmoins, ces améliorations de la commission des lois ne peuvent occulter le développement des procédures expéditives qui ne garantissent nullement les droits de la défense et donnent le ton de la conception qu’a le gouvernement de la justice de son pays : la généralisation de la médiation et de la composition pénale - laquelle serait applicable désormais à toutes les contraventions si la position de la commission des lois est suivie et aux délits punissables jusqu’à 5 ans de prison, comme l’institution du plaider-coupable qui fait de la tractation judiciaire un mode normal de règlement des litiges et dont l’objectif de désengorgement des tribunaux est à peine volé : tout concoure à la mise en place d’une justice d’abattage. Si on rapproche ces dispositions de celles qui ont institué les juges de proximité - dont les difficultés de recrutement entraînent une pagaille sans nom chez les juges d’instance- mais également de l’institution programmée d’une prime au rendement pour les magistrats : on a ainsi un portrait inquiétant de la justice de demain : une justice productiviste, bien éloignée des exigences de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. On comprend maintenant pourquoi le critère de la "qualité" ne figure pas au nombre des principes d’une bonne justice pénale !

Mais, me rétorquerez-vous certainement avec d’autres ici, il en va de l’efficacité de la justice… ou de la police, on se sait plus très bien. Mais même cet argument n’est guère convaincant. A l’inverse de notre rapporteur, je suis rien moins que certaine que cette nième modification du code de procédure pénale réponde à un besoin - sauf peut-être pour ce qui est de l’entraide judiciaire, compte tenu des réserves que nous avions déjà pu exprimer en d’autres lieux. Au contraire, ces acteurs de terrain déplorent on le sait beaucoup plus souvent les problèmes d’application né tant de l’insécurité juridique résultant de réformes qui se succèdent à un rythme de plus en plus effréné, que de l’absence de moyens pour y faire face. Là encore, ce n’est pas par l’économie de moyens qu’on aura une justice de qualité : la suppression de l’exigence d’un greffier dans le cadre des commissions rogatoire en est l’illustration !

L’efficacité de ce texte peut encore être mise en cause lorsque la surpopulation carcérale née des différents textes votés depuis le début de la législature devient réellement dramatique. Certes vous affichez tout à coup un grand souci de prendre en compte la situation des détenus en France, avec un soudain rapport sur les peines alternatives à la détention. Néanmoins, cette décision apparaît largement conjoncturelle, voire opportuniste, face à une situation particulièrement dégradée dans les prisons : j’en veux pour preuve, à la fois, la relative faible prise en compte dans le texte adopté par l’Assemblée des préconisations de ce rapport qui, quoiqu’il en soit restait somme toute modeste au regard de la richesse des conclusions des commissions d’enquête parlementaire sur les prisons.

Car, il ne suffit pas d’afficher une volonté de recourir aux peines alternatives, encore faut-il savoir dans quel objectif on y recourt. Comme le soulignait récemment le sociologue Loïc Wacquant, il convient de savoir si les peines alternatives ont pour principal objectif un traitement rénové de la peine ou permettre de nouvelles incarcérations. Or, au regard de votre politique de régulation pénale de la société, on peut douter sérieusement que les alternatives ne visent à autre chose qu’à la gestion purement comptable des flux de prisonniers.

Telle n’est pas notre conception des travaux d’intérêt général ou des jours-amendes qui doivent constituer des modes d’exécution à part entière de la peine et justement ne pas constituer de simples "alternatives" à la prison autour de laquelle continue de s’organiser le système pénal mais cela nous renvoi de facto au sens de la peine que le Gouvernement ne semble rien moins que disposé à aborder. Quant à la prison, nous vous proposons, par voie d’amendement de reprendre ici les dispositions de la proposition de loi déposés par MM. Hyest et Cabanel sous la précédente législature, notamment sur l’institution d’un contrôleur général des prisons qui devrait recueillir le plus large soutien dans cette enceinte puisqu’elle avait été votée à l’unanimité. Evidemment, cette proposition ne saurait à elle seule épuiser le débat, mais c’est une base de travail minimum.
Pour finir, vous me permettrez ici de faire le lien avec le fichier des délinquants sexuels que la commission des lois nous propose ici de créer "sans attendre". Il paraît aujourd’hui difficile de faire part de ses réserves sans voir apparaître une levée de boucliers qui vous suspecte de soutenir les pédophiles.

Alors, en préalable, je rappellerais que mon groupe a bataillé ferme dans cette enceinte particulièrement contre la prostitution enfantine - je vous renvoie aux textes sur le tourisme sexuel ou la pénalisation des clients de prostitués mineurs, dont les associations se souviennent qu’elle n’avait pas recueilli l’assentiment de tous. Dans le même sens, les sénateurs de mon groupe ont, tant dans la loi sur la modernisation sociale, que dans le texte sur les droits des malades demandé une protection renforcée des médecins qui signalent des faits de pédophilie ou d’inceste. C’est aussi, dans le même sens, particulièrement le souci de protection des enfants qui avait justifié l’interpellation du gouvernement précédent quant à la situation des mineurs en zone d’attente et leur demande tendant à les faire traiter comme des mineurs en danger.
C’est en ayant à l’esprit cet impératif de protection de l’enfance contre des actes particulièrement odieux que nous avons étudié les propositions du rapporteur.

Je dois dire qu’au delà de la question du respect des droits, nous regrettons que la question de la lutte contre la délinquance sexuelle s’épuise dans celle de la création d’un fichier : rien sur les carences en moyens et en structures de la psychiatrie, aucune évaluation sur le traitement en prison de ces détenus, alors qu’ils peuplent plus d’un tiers des prisons françaises pour des peines très lourdes et que la commission d’enquête sénatoriale sur les prisons s’interrogeait sur leur sort. Or, plus que pour n’importe quel crime, c’est bien la prévention de la récidive qui est au centre des débats et, sauf à lui imputer un effet dissuasif très incertain, la création d’un fichier de délinquants sexuels ne répondra pas à cet objectif.

Au final, les sénateurs de mon groupe ne peuvent approuver un texte profondément réactionnaire ; ils ne le voteront pas.

Les dernieres interventions

Lois Qui va payer les quotas gratuits sur le marché du carbone ?

Adaptation du droit de l’Union européenne - Par / 9 avril 2024

Lois Le nucléaire, quoi qu’il en coûte ?

Fusion de l’Autorité de sûreté du nucléaire avec l’institut chargé de l’expertise sur le nucléaire - Par / 8 avril 2024

Lois Nouvelle-Calédonie : le dégel du corps électoral ne passe pas

projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. - Par / 3 avril 2024

Lois Confisquons les biens criminels

PPL améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels - Par / 26 mars 2024

Lois L’autorité parentale n’est pas automatique

Proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales - Par / 13 mars 2024

Lois Un statut pour que chacun puisse devenir élu

Proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local - Par / 7 mars 2024

Lois Un vote historique pour inscrire l’IVG dans la Constitution

Liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse - Par / 29 février 2024

Lois Alerte sur l’habitat dégradé

Projet de loi sur la rénovation de l’habitat dégradé - Par / 27 février 2024

Lois Une colonisation de peuplement en Nouvelle-Calédonie

Projet de loi organique pour reporter les élections en Nouvelle-Calédonie - Par / 27 février 2024

Lois Une boîte noire pour les entreprises ?

Garantir la confidentialité des consultations juridiques - Par / 15 février 2024

Lois Coup de pouce pour les communes rurales

Dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales - Par / 13 février 2024

Lois Protéger les enfants, même des parents

Proposition de loi sur les violences intrafamiliales - Par / 6 février 2024

Lois Action de groupe : la conquête entravée du collectif

Proposition de loi sur le régime juridique des actions de groupe - Par / 5 février 2024

Lois Un maire sans argent est un maire sans pouvoir

Vote sur la proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales - Par / 25 janvier 2024

Lois Ne pas tomber dans le piège des terroristes

Proposition de loi instituant des mesures judiciaires renforçant la lutte antiterroriste - Par / 23 janvier 2024

Lois Outre-mer : une question de continuité intérieure

Débat sur les mesures du Comité Interministériel des Outre‑mer - Par / 10 décembre 2023

Administration