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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Adaptation du droit des sociétés au droit communautaire

Par / 3 juin 2008

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a pour ambition, via la transposition de deux directives européennes, de faciliter la réorganisation des opérations des sociétés dont l’activité est transnationale.

Avant de traiter du fond, je voudrais faire un bref détour par la forme : je me permets de vous rappeler que le projet de loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie, qui a transposé en droit français le régime juridique de la société européenne, en application des règlements et de la directive du 8 octobre 2001, avait été examiné par la commission des affaires économiques de l’Assemblée.

Or, dans le cas présent, la commission des affaires économiques n’a pas jugé pertinent de se saisir, au moins pour avis, d’un texte qui n’est que le prolongement de cette loi de juillet 2005, ne serait-ce qu’en ce qui concerne les fusions transfrontalières et les sociétés coopératives européennes. (M. le président de la commission des lois manifeste son désaccord.)

De même, compte tenu des conséquences des dispositions relatives à la représentation des salariés dans les sociétés issues des fusions, il aurait été opportun que la commission des affaires sociales fût également consultée.

Il nous paraît incohérent qu’il n’y ait pas eu, sur ce texte, de collaboration active entre les trois commissions et que seule la commission des lois soit saisie.

Par ailleurs, l’urgence a été déclarée sur ce texte le jour même où il a été débattu à l’Assemblée nationale, et sans motif valable - mais c’est devenu une habitude ! Cette double contrainte sur le travail des parlementaires nous est intolérable, d’autant plus que le Président de la République déclare partout vouloir renforcer le pouvoir des assemblées.

M. Charles Revet. Cela va se faire !

M. Guy Fischer. On verra !

Mme Josiane Mathon-Poinat. J’en viens au fond.

Nous l’avons souvent dit ici, la construction européenne favorise largement, à notre sens, les intérêts capitalistes, bien souvent au détriment des citoyens, dont les droits sociaux et politiques sont négligés, voire ignorés.

Mais ce n’est pas votre avis, madame la garde des sceaux, puisque vous avez déclaré : « Les hommes, les idées et les biens circulent librement au sein de l’Union européenne. La contrainte des frontières n’existe plus. Le droit des sociétés reste, en revanche, encore trop enfermé dans le cadre national. » Et les propos que vous avez tenus ce soir s’inscrivent dans cette ligne.

De l’échec du référendum sur la Constitution européenne aux mobilisations contre l’adoption du « traité simplifié », des sondages exprimant l’insatisfaction des Européens vis-à-vis des institutions aux mobilisations contre une Europe trop libérale - ou libérale tout court ! -, tous les indicateurs sociaux et politiques laissent penser le contraire de ce que vous avancez, avec ce qui nous apparaît comme de la fausse naïveté.

Ce texte ne déroge pas à la règle. Afin de pouvoir concurrencer comme il convient les grandes entreprises de par le monde, le Gouvernement présente ici un projet de loi qui transpose la directive du 26 octobre 2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux au sein de l’Union européenne et la directive du 14 juin 2006 modifiant des directives comptables, qui adapte notre législation en matière de société coopérative européenne.

En matière d’opérations transfrontalières, si la société européenne permet déjà d’en réaliser, il reste que, selon le Gouvernement, elles sont à la fois trop complexes du point de vue juridique et trop coûteuses.

Cela nous amène à formuler plusieurs remarques.

En premier lieu, ce projet de loi est de nature à favoriser l’émergence de véritables trusts. En effet, il intéresse principalement les sociétés qui sont déjà en capacité de fusionner et, de ce fait, encourage les mouvements de concentration d’entreprises auxquels nous assistons d’ailleurs déjà aujourd’hui, et qui ne sont pas en voie d’extinction au vu des textes que nous votons, car ils ne font qu’en faciliter la pratique.

Ainsi, l’élargissement à toutes les formes de sociétés commerciales, dont la société à responsabilité limitée, et le versement d’une soulte éventuellement due après échange de titres supérieurs à 10 %, quelle que soit la nationalité de la société, illustrent bien la possibilité de concentration en permettant la fusion entre sociétés d’importance très inégale.

Les conséquences sur les salariés, notamment dans le cadre des fusions-absorptions, seront, il faut le souligner, catastrophiques. En effet, ces concentrations et ces fusions d’entreprises au niveau européen sont, de manière quasi systématique, le corollaire des délocalisations et du dumping social.

Ce projet de loi n’a donc d’autre objectif que de favoriser les trusts au détriment, bien évidemment, des petites entreprises.

En second lieu, si ce projet de loi a pour objet de transposer des directives favorables aux fusions transfrontalières, et donc aux entreprises susceptibles de procéder à de telles opérations, il ne prévoit rien en matière d’harmonisation européenne des bases de l’impôt sur les sociétés. Il nous semble que le complément indispensable de la société européenne aurait dû être une coordination des régimes fiscaux ainsi qu’une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.

Le fait que ces sociétés soient soumises à des normes comptables harmonisées, alors que les normes fiscales sont fragmentées et le plus souvent opaques, en dit long sur la philosophie de ce texte !

Sans harmonisation fiscale cohérente, un tel texte ne fera qu’encourager une concurrence malsaine et entraînera un risque de fuites fiscales, par le biais du choix de la forme de la société.

Il est vrai que, dans certains États de l’Union, le régime fiscal est beaucoup plus intéressant que dans d’autres. Or la mobilité rendue possible par les statuts de la société européenne permet à de nombreuses entreprises de s’immatriculer dans un autre État, l’Irlande, le Royaume-Uni, le Luxembourg, les Pays-Bas ou le Danemark, autant de pays où les régimes fiscaux, s’ils sont beaucoup plus intéressants pour les entreprises, sont aussi parfois beaucoup plus opaques.

Il conviendrait donc, plutôt que de continuer à favoriser l’évasion fiscale intracommunautaire, puisque l’Union abrite de véritables paradis fiscaux, de travailler dans le sens d’une harmonisation de la fiscalité, gage de sécurité pour l’économie et l’emploi au sein des entreprises européennes.

Ce texte met ainsi en place un beau montage juridique en faveur des sociétés, mais totalement en défaveur des salariés, malgré les quelques gages qu’il contient. En effet, dans le meilleur des cas, il y aura négociation entre les dirigeants de la société issue de la fusion et les représentants des salariés, via la création d’un « groupe spécial de négociation ». Mais rien n’assure une réelle protection de ces salariés, tant il est vrai qu’il n’existe aucune harmonisation claire de leurs statuts dans les sociétés nationales, dans les sociétés européennes et dans les sociétés issues de fusions transnationales.

Enfin, un amendement de la majorité a rendu optionnelle la constitution de ce groupe spécial de négociation avec les salariés. C’est ainsi que la négociation ne serait plus nécessaire dès lors que la représentation des salariés s’alignerait sur le régime dit « le plus favorable » en vigueur au sein des sociétés fusionnantes. Vues comme une perte de temps, ces négociations nous semblent pourtant importantes, voire indispensables, quelle que soit la situation.

Plus grave encore : le projet de loi prévoit même que la société issue d’une fusion transfrontalière ne sera pas tenue d’instituer des règles relatives à la participation des salariés si, à la date de son immatriculation, aucune société partie à la fusion n’en prévoyait. En d’autres termes, une telle société ne sera pas obligée d’instaurer, par exemple, un comité d’entreprise, ce qui revient à nier les avancées de notre droit du travail en matière de représentation des salariés.

Enfin, s’agissant de la partie relative aux sociétés coopératives européennes, un problème spécifique se pose pour les sociétés coopératives ouvrières de production, les SCOP.

Le texte que nous examinons ce soir se situe dans le prolongement de la loi du 30 janvier 2008 relative aux sociétés coopératives européennes, qui a finalement vocation à les faire entrer dans le moule des sociétés coopératives européennes, en niant leur spécificité liée à leur gestion par les salariés ; c’est là un élément que nous avions déjà dénoncé en octobre dernier.

On peut donc regretter que le présent projet de loi ne prenne pas la pleine mesure des spécificités des SCOP, notamment en matière de participation des salariés à la gestion même de l’entreprise.

En définitive, ce texte instaure un cadre favorisant toute évolution de nature à faciliter les phénomènes de concentration ou de répartition spatiale des activités à l’échelon européen. Aujourd’hui déjà, dans de nombreuses entreprises, les plans sociaux annoncés comme des appels aux sacrifices salariaux ont pour origine un projet de délocalisation.

Après le textile-habillement, l’automobile, l’assemblage des ordinateurs et les logiciels, ce sont des secteurs importants de la métallurgie tels que la plasturgie, la mécanique, les équipements de la personne et de la maison, mais aussi certains services, qui sont en cause.

Un formidable chantage se développe pour faire accepter les suppressions d’emplois, les fermetures de sites, de lignes de production ou de centres de recherche, le gel ou la diminution des salaires, l’augmentation du temps de travail et l’aggravation de son intensité. Dans bien des cas, il s’agit de remettre en cause, sans contrepartie, la durée du travail, en utilisant le chantage à la délocalisation dans les nouveaux pays membres de l’Union européenne, et toute production délocalisable est menacée.

Grâce au présent projet de loi, les firmes pourront pratiquer à loisir la mise en concurrence des salariés en Europe. En quelques années, le paysage économique de l’Europe a ainsi été totalement redéfini par une division sociale et territoriale du travail, de nombreuses activités ayant été déplacées vers les nouveaux entrants, qui sont également des pays à bas coûts salariaux.

Certains - je les entends déjà ! - rétorqueront que cela permet à ces nouveaux membres de se développer ; c’est totalement faux ! L’exemple de l’entreprise Renault est suffisamment parlant : l’entreprise a, il y a quelques années, délocalisé une partie de sa production en Roumanie, mais, maintenant que les ouvriers roumains demandent une augmentation de leurs salaires, elle menace de se délocaliser dans un autre pays !

En fait, un tel texte ne fera que favoriser l’implantation d’entreprises dans des États à la fiscalité attractive et avec un faible niveau de protection sociale, et ce au détriment non seulement des salariés français, mais aussi des salariés des pays qui accueilleront ces entreprises.

Parce que ce projet de loi ne contribue pas à la construction d’une Europe démocratique et sociale, mais ne fait qu’encourager le dumping social sur un marché transnational, nous voterons contre.

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