Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Autorité parentale
Par Josiane Mathon-Poinat / 21 novembre 2001par Josiane Mathon-Poinat
Petit à petit la réforme de la famille se dessine à travers l’addition de textes successifs : hier, prestation compensatoire en matière de divorce, adoption internationale et droits du conjoint survivant ; aujourd’hui, autorité parentale et accès aux origines ; demain, réforme du divorce et du nom patronymique. C’est un droit aux contours encore flous et incertains qui prend forme, le législateur balançant entre rattraper et devancer une réalité sociale qui a changé radicalement depuis une vingtaine d’années. C’est pourquoi je regrette que le gouvernement n’ait pas présenté dans un texte global sa réforme, même si la conférence de la famille a tardivement synthétisé les propositions.
Le groupe C.R.C. porte un regard très favorable sur la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale ; les quelques réserves que je ferai n’impliqueront aucune réticence à son adoption.
Cette relecture du droit de l’autorité parentale parachève l’évolution amorcée en 1987 et poursuivie en 1993 : en prenant l’intérêt de l’enfant comme fondement de la coparentalité comme objectif, le législateur tente de répondre à des évolutions majeures de la société. Les familles sont aujourd’hui très diverses : mariage, concubinage, Pa.C.S., séparation, recomposition, familles monoparentales, homosexuelles… Le législateur n’a plus de modèle de référence à l’aune duquel devrait se construire le droit et en particulier celui de la filiation.
Face à cette précarité, on comprend la nécessité de réintroduire de la stabilité. Comme le constate la Délégation pour le droit des femmes, c’est désormais, « l’enfant qui fait la famille », c’est autour de lui qu’on cherche à créer le pôle de stabilité de la famille, au-delà des vicissitudes du couple.
Nous approuvons cette relecture du droit de la famille au travers du prisme de l’intérêt de l’enfant, qui va dans le sens des conventions signées en France et au premier titre de la Convention de New York du 20 novembre 1989 sur les droits de l’enfant. Elle nous prémunit contre le glissement insidieux vers la reconnaissance d’un droit à l’enfant : il doit être entendu que le principe de coparentalité constitue un droit de l’enfant à être élevé par ses deux parents, au sens où l’entend la Convention de New York.
La coparentalité a à voir avec l’égalité des sexes, pour donner, une fois n’est pas coutume, une plus grande place au père dans la relation parentale. Elle s’inscrit également dans la logique de la parité par la redistribution des rôles, le rééquilibrage des responsabilités entre les hommes et les femmes, au bénéfice de toute la structure familiale. On évoque souvent, à juste titre, la douleur des pères réduits à quelques week-ends ; on oublie parfois que cette situation n’est pas tout bénéfice pour les mères qui supportent seules la responsabilité éducative. La fragilisation de la relation père/enfant est aussi préjudiciable à la mère.
Néanmoins, cette autorité parentale constitue une « fonction-obligation » constitutive de droits et d’obligations, vis-à-vis de l’enfant - au premier chef son entretien et son éducation. Il est donc logique que cette fonction ne cesse pas à la majorité de l’enfant. La position de la commission des Lois, limitant le devoir d’entretien, après la majorité, aux étudiants, est dangereuse et discriminante pour les jeunes qui entrent dans la vie active moins diplômés ! Elle exclut les enfants qui suivent des stages non rémunérés et ceux qui ne bénéficient pas encore du R.M.I. Les enfants handicapés sont aussi oubliés !
Centré autour de l’intérêt de l’enfant, le concept de coparentalité doit être apprécié au regard des évolutions au sein de la famille. Alors qu’il est apparu au moment d’une certaine fragilisation de la fonction paternelle consécutive à l’émancipation des femmes, beaucoup reste à faire pour conforter les hommes dans leur rôle de père. La coparentalité ne se décrète pas ; elle résulte d’un vécu, et doit être mise en œuvre bien avant la séparation. Le congé de paternité de quinze jours est une avancée significative, que nous réclamions depuis longtemps, et devrait contribuer à faire évoluer les entreprises, parfois réfractaires au changement.
La proposition de loi met dans la promotion de la résidence alternée le principal facteur de réalisation de la coparentalité en cas de séparation. Pourtant, là encore, il faudra composer avec le poids des représentations sociales qui, comme le remarque la Délégation, intériorisent le principe de la garde de l’enfant donnée à la mère. La résidence alternée doit pourtant être encouragée parce qu’elle permet le maintien des liens de l’enfant avec ses deux parents et parce qu’elle correspond à une demande de plus en plus fréquemment exprimée par les parents eux-mêmes.
Il faut faire confiance aux parents pour aménager leurs relations après la séparation. Nous approuvons donc les accords parentaux, qui deviennent le mode de règlement principal de la séparation : les parents seront ainsi responsabilisés et leur rôle parental sera valorisé, l’échec du couple minoré c’est donc un gage pour l’avenir de la famille.
De même, nous approuvons le recours à la médiation même si aucun texte relatif à son statut n’a encore été annoncé.
L’injonction à la médiation nous inquiète : pour qu’elle ait un sens et qu’elle se distingue d’une procédure judiciaire, elle doit être volontaire. Il ne faut pas forcer les gens à l’entente : sinon du médiateur, nous ferons un moralisateur. Nous sommes aussi réservés sur le recours obligatoire à la médiation en cas de violences familiales graves.
Ce présupposé moralisateur en faveur du dialogue n’est pas toujours réaliste, comme l’a dit notre rapporteur.
Nous ne voulons pas que le droit stigmatise les comportements de ceux qui n’arrivent pas à s’entendre, décrétés asociaux. De même que pour le divorce, on a parfois l’impression avec ce texte qu’il y aurait d’un côté un comportement parental socialement correct reposant sur une entente raisonnable et conciliante et de l’autre celui des gens pauvres ou inaptes pour qui la séparation se passerait mal parce qu’elle induirait une précarisation extrême ou des conflits sans fin.
Nous ne voudrions pas d’un droit de la famille pour les plus aisés.
Certes, la fin des discriminations vis-à-vis des enfants adultérins et l’apport symbolique d’un chapitre commun sur le droit de l’autorité parentale quelque soit la nature de la filiation sont appréciables.
Mais cette égalité juridique laisse perdurer une réelle inégalité économique des familles qui rend l’accès à ces nouveaux droits parfois largement théorique.
La sociologue Théry Frène a montré que l’appartenance sociale pèse sur la capacité de maintenir le lien avec l’enfant après une rupture du couple : la proportion des enfants qui ne voient plus leur père un an après la séparation est particulièrement importante dans les familles à faibles revenus. « Le travail ne met pas à l’abri de la pauvreté, les familles fragilisées, qui sont à la merci d’un dérapage, d’un crédit qui étrangle, d’une séparation qui précarise ». Il faut donc veiller à leur « rendre effectif l’accès au droit commun », sans les stigmatiser ni « les enfermer dans un arsenal de mesures spécifiques ». Telles sont les conclusions que nous approuvons du groupe de travail Famille et Pauvreté que vous avez mis en place l’année dernière.
La résidence alternée a un coût financier certain : deux logements suffisamment vastes, tous les équipements en double. C’est un problème pour les familles en situation de précarité.
Je rends hommage, madame la Ministre, à votre volonté de développer l’aide aux familles les plus démunies : accès au logement social, couverture sociale, réductions des tarifs des transports. Pouvez-vous nous dire quand elles entreront en vigueur ?
L’axe majeur de toute politique de la famille doit consister à soutenir toutes les familles et notamment celles qui sont fragilisées, de façon à restaurer leur autorité et à leur permettre d’exercer leurs responsabilités. Nous repoussons certains thèmes éhontés qui occultent la réalité sociale et se focalisent sur le mythe des « mauvais parents », qu’il faudrait sanctionner pour leur supposée incurie éducative en leur supprimant les allocations familiales.
Ce texte va dans le sens d’une réelle coparentalité et il encourage l’exercice réel par les deux parents de leurs droits et devoirs vis-à-vis de l’enfant. Nous souscrivons à ces objectifs et nous parviendrons sans doute à un large consensus en dépit des quelques désaccords qui pourront subsister. (Applaudissements à gauche.)