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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Avec ce projet de loi, vous faites disparaître le fondement même de la justice des mineurs

Jurés populaires et justice des mineurs : conclusions de la CMP -

Par / 4 juillet 2011

Monsieur le garde des sceaux, l’immense majorité des professionnels de la justice, dans leur diversité, et des associations concernées, notamment, par la justice des mineurs ont vivement critiqué votre projet de loi, qui bouleverse de manière très préoccupante des pans entiers de la justice. Vous persistez à nous imposer de voter cette réforme en un temps record.

Lors de la lecture du texte au Sénat, le rapporteur, M. Jean-René Lecerf, avait quelque peu limité la portée régressive de certaines dispositions ; la majorité, à l’Assemblée nationale, a cru bon de l’aggraver, notamment en commission. Il est heureux qu’elle n’ait pu aller jusqu’au bout et imposer, en particulier, la réintroduction de la composition simplifiée de la cour d’assises ou le droit, pour les victimes, d’interjeter appel en cas d’acquittement ou de relaxe aux assises, ce qui aurait été contraire au principe élémentaire de la politique pénale. Fort heureusement, le Sénat et vous-même, monsieur le garde des sceaux, s’y sont opposés.

Cependant, les excès de l’Assemblée nationale correspondent tout à fait à l’instrumentalisation constante de la souffrance des victimes, qui fait de celle-ci le prétexte de la mise en œuvre, depuis 2002, d’une politique de la peur.

La commission mixte paritaire a rejeté l’introduction du droit, pour les parties civiles, de demander la levée du huis clos à la cour d’assises des mineurs. Il n’en reste pas moins que le texte élargit cette possibilité au ministère public, comme le prévoyait la proposition de loi Baroin-Lang, dont le dépôt a fait suite à la médiatisation détestable du procès des coaccusés de Youssouf Fofana. Cette dernière, je le rappelle, n’a jamais été débattue au Sénat : c’est une nouvelle illustration des dérives de la procédure accélérée, qui ne permet pas un examen sérieux des textes.

En tout état de cause, le projet de loi, tel qu’issu des travaux de la commission mixte paritaire, intègre des aggravations votées par l’Assemblée nationale. Cela ne peut donc que renforcer notre opposition à ses dispositions, qu’elles concernent la cour d’assises, l’introduction de citoyens assesseurs ou la justice des mineurs.

En ce qui concerne les citoyens assesseurs, vous avez, tout au long des débats, affiché le souci de rapprocher les citoyens de la justice. Au passage, vous diminuez leur nombre en cour d’assises, et vous écartez ceux qui interviennent aujourd’hui dans les tribunaux pour enfants.

Quant aux deux assesseurs que vous allez introduire dans les deux tribunaux correctionnels faisant l’objet de l’expérimentation, nous ne sommes pas dupes : vous entendez signifier que, en matière de violences, les magistrats sont laxistes et qu’il faut leur adjoindre des citoyens assesseurs, censés être plus sévères.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’ai dit le contraire !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ces derniers ne seront d’ailleurs pas compétents pour juger d’autres délits correctionnels, en particulier, bien entendu, les délits financiers… Le directeur de l’Institut de criminologie de Paris lui-même, M. Philippe Conte, s’interroge : « Le citoyen aurait assez de bon sens pour juger des vols avec violence, mais pas la corruption ? »

En tout état de cause, comment ces deux assesseurs vont-ils pouvoir exercer leur mission ? Ils ne siégeront que quelques jours par an et seront simplement informés du fonctionnement de la justice pénale : leur seule « formation » se fera au sein de la juridiction, par des personnels déjà débordés. Quand on connaît la complexité du droit et vos projets de modifier encore la législation pénale, on est en droit de douter sérieusement de l’efficacité d’une telle démarche…

De plus, les citoyens assesseurs seront minoritaires par rapport aux magistrats professionnels. Évidemment, le fait de les introduire va forcément modifier la procédure ; sinon, cela ne servirait strictement à rien ! En réalité, il faut attendre de cette réforme une complexification du système judiciaire et des coûts supplémentaires. On va, au mieux, doubler la durée des procès correctionnels, ce qui nous renvoie aux moyens de la justice, qui, bien entendu, sont loin de suivre.

Voilà longtemps, pour ce qui nous concerne, que nous sommes favorables à la participation des citoyens à la justice. Mais pourquoi ne pas avoir regardé du côté de ce qui fonctionne : tribunaux pour enfants, conseils de prud’hommes, tribunaux paritaires des baux ruraux, tribunaux de commerce, bref tout ce qui relève de ce que l’on appelle en général l’échevinage, qui permet vraiment à des citoyens de s’immerger dans les procédures judiciaires et d’apporter leur expérience sur la durée aux magistrats professionnels ?

Votre politique d’affichage consiste à créer à titre expérimental, dans le ressort de deux cours d’appel, des citoyens assesseurs qui ne sont que des alibis et disparaîtront peut-être ensuite du paysage judiciaire ! Cela étant, un an après son discours de Grenoble, le Président de la République pourra se targuer d’une nouvelle réforme !

Comme le souligne le juge Denis Salas, « la répression et la peur s’autoalimentent sans cesse, d’où l’appel compulsif à des lois nouvelles ». Nous ne sommes donc pas au bout de nos peines, à moins que les électeurs n’en décident autrement bientôt ! Cela explique aussi le recours de plus en plus fréquent au concept de « dangerosité », comme en témoignent par exemple les articles 9 bis et suivants du présent texte.

J’ajoute que votre respect des jurys populaires a des limites : non seulement vous diminuez le nombre de jurés en cour d’assises, mais vous avez accepté que la motivation des arrêts de la cour d’assises – mesure que nous jugeons positive – soit rédigée trois jours après le procès par le président ! Cela nous laisse perplexes…

Quant au troisième volet du projet de loi, relatif à la justice des mineurs, il est proprement inacceptable. Vous l’avez introduit ici selon la procédure accélérée, alors que tous les professionnels, les organisations représentatives des droits des enfants et la très officielle Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, s’y opposent. Et pour cause : ce texte procède à un renversement des valeurs qui prédominaient lors de l’élaboration de l’ordonnance de 1945.

De loi en loi, le primat de l’éducatif, c’est-à-dire le pari d’une sortie de la délinquance, s’efface devant la montée de la répression. À juste titre, la CNCDH exprime son inquiétude de voir se développer des « mécanismes ayant pour vocation de prévenir une hypothétique dangerosité ». Ce projet de loi est effectivement porteur de cette conception.

Ainsi, le dossier unique de personnalité va se transformer en outil de repérage. (M. le garde des sceaux proteste.) Il est inquiétant que, contrairement à ce que prévoyait la rédaction adoptée par le Sénat, il puisse en être remis copie aux avocats.

Selon vous, il y aurait chez certains jeunes délinquants une sorte de prédisposition, susceptible d’orienter leur vie entière. En les cantonnant dans leurs actes, vous leur déniez toute capacité à évoluer. Vous multipliez ainsi les mécanismes de mise à l’écart, y compris pour les primo-délinquants : développement de la surveillance électronique, élargissement des motifs de placement en détention provisoire, création de centres éducatifs fermés extrêmement coûteux, au détriment de la mise en place d’autres structures éducatives…

Vous vous en prenez directement au juge des enfants, sans doute encore une fois considéré comme laxiste, ce qui est une contre-vérité. Le rôle du tribunal pour enfants va être affaibli, au profit du nouveau tribunal correctionnel pour mineurs, dont relèveront les jeunes âgés de plus de 16 ans, passibles d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement et se trouvant en état de récidive légale : ces critères sont aujourd’hui très facilement remplis.

Vous donnez aux procureurs des pouvoirs accrus, par exemple en matière de comparution immédiate, alors même que le Conseil constitutionnel a récemment censuré une disposition très similaire.

Pour vous, seule la sanction compte, qui doit être aussi sévère et rapide que possible ! Il en va de même à l’école, M. Chatel ayant préféré édicter un décret fixant un nouvel arsenal de sanctions plutôt que de stopper les suppressions de postes et de recruter les personnels nécessaires.

On sait jusqu’où certains sont prêts à aller pour afficher leur position : un certain député des Alpes-Maritimes a ainsi fait parler de lui et de son contrat de responsabilité parentale en exhibant une mère de famille éplorée, qui s’est révélée être son attachée de presse et n’avoir pas d’enfant ! Cette mesure est-elle si inefficace qu’il faille une telle mise en scène pour tenter de convaincre le téléspectateur de son bien-fondé ?

Ce texte traite d’ailleurs les parents en difficulté comme des délinquants : introduction de stages de responsabilité parentale en tant que punition, possibilité de les amener menottes aux poignets devant le tribunal… Croyez-vous vraiment, monsieur le garde des sceaux, que c’est ainsi qu’ils pourront recouvrer une autorité perdue ? Nul doute que c’est l’inverse qui se produira !

Avec ce projet de loi, vous faites disparaître le fondement même de la justice des mineurs : une justice de continuité, qui doit intervenir rapidement, c’est évident, mais qui doit aussi pouvoir prendre le temps de la réflexion et agir de concert avec la famille du mineur, son avocat et les personnels des services sociaux, afin de définir les mesures adaptées. Certes, pour l’heure les moyens manquent, mais il faut les mobiliser, car un long travail doit être accompli, avant le jugement, pour modifier le parcours d’un enfant et éviter qu’il ne récidive ou, pis encore, qu’il ne s’inscrive durablement dans un parcours délinquant en allant en prison.

L’adoption de l’article 29 bis prouve d’ailleurs que vous-même n’ignorez pas ce problème. Pourtant, vous n’avez de cesse de rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs : c’est tout le contraire de ce que voulaient ses fondateurs !

Vous – ce n’est pas votre personne que je vise à titre principal, monsieur le garde des sceaux ! – procédez par affirmations péremptoires et tautologies : les mineurs d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’en 1945 ; les mineurs sont particulièrement violents – c’est la conséquence de l’augmentation de la violence chez les adultes ; les juges des enfants sont trop indulgents – or la réponse pénale apportée par les tribunaux pour enfants est supérieure à la moyenne !

Certes, nous avons bien compris qu’il s’agissait là d’une méthode de gouvernement. Ainsi, le ministre de l’intérieur n’a pas craint d’affirmer que deux tiers des enfants d’immigrés étaient en échec scolaire, alors qu’ils ne sont en réalité que 16 % dans ce cas, mais il n’a pour autant pas présenté d’excuses pour cette contrevérité.

En matière de justice des mineurs, vous avez oublié que, pour la communauté internationale, on est un enfant jusqu’à 18 ans. En conséquence – je ne recule pas moi non plus devant les tautologies ! –, on n’est pas adulte avant 18 ans.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Nous sommes d’accord !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Président de la République a déjà revêtu ses habits de campagne. Il va encore nous promettre une France sans risques, sans crimes, peut-être même sans injustices ! Mais l’empilement de lois sécuritaires, de mesures de plus en plus radicales de ces dernières années débouche sur un échec, puisque vous ne parvenez pas à nous prouver qu’elles ont eu une quelconque efficacité ; vous dites vous-mêmes que la délinquance violente augmente.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que vous laissez sur le bord de la route les jeunes les plus fragiles, en renonçant à mettre en œuvre une véritable politique de la jeunesse. Le recours toujours accru à l’enfermement va certainement mener à leur propre enfermement dans la délinquance…

Autre constat, vous restez sourds aux avertissements des professionnels de la justice, qui, afin de redonner du sens à la sanction pénale, réclament à cor et à cri des moyens pour la prévention et l’aide à la réinsertion – celle-ci étant bien difficile, hélas ! que les personnes concernées soient majeures ou mineures. Imposer par exemple que ces dernières rencontrent un conseiller d’insertion et de probation dans les huit jours suivant leur libération – le Sénat, plus réaliste, avait proposé un délai de trente jours – ne réglera rien tant qu’il manquera 1000 postes dans les SPIP !

Notre groupe votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce texte, qui n’est pas acceptable !

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