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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce projet masque un recul sans précédent de la démocratie

Délimitation des régions (deuxième lecture) -

Par / 28 octobre 2014

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un constat s’impose : le changement de majorité de notre Haute Assemblée n’aura pas infléchi si peu que ce soit le rythme imprimé à l’examen de ce texte. La précipitation reste de mise et les engagements d’hier sont aujourd’hui bien oubliés par certains.

En effet, si le Sénat avait décidé de mettre en place une commission spéciale pour l’examen de ce projet de loi, ce n’était pas pour que cette commission se contente de débattre de la seule délimitation du territoire de nos régions. La commission des lois aurait pu se charger de cet aspect, et même très bien.

Compte tenu des enjeux liés au renforcement des futures régions, cette commission spéciale avait pour vocation d’examiner toutes les conséquences, sur les plans économique, social, culturel, financier, et, bien entendu, institutionnel et juridique, sans oublier le développement durable, d’une refonte de la délimitation des territoires régionaux.

Cet objectif, que nous nous étions alors majoritairement fixé, avait été mis en évidence, en particulier, par l’extrême indigence des éléments contenus dans l’étude d’impact.

Or, en deuxième lecture, nous avions la possibilité d’enrichir notre réflexion par des auditions supplémentaires, pour mieux éclairer ces enjeux, et surtout veiller au respect de la loi dans la procédure mise en œuvre.

Il n’en a rien été. La commission spéciale a même, en de telles circonstances, fermé les yeux sur la légalité, puisqu’elle n’a pas exigé l’application de l’article L. 4122-1 du code général des collectivités territoriales, lequel précise que « les limites territoriales des régions sont modifiées par la loi après consultation des conseils régionaux et des conseils départementaux intéressés. »

L’examen du regroupement des régions se sera donc fait sur un coin de table, en commission, à l’instar de ce qui avait été fait à l’Élysée, dans des conditions ubuesques, à la veille de la première lecture.

La droite, qui critiquait, en juin dernier, la méthode, la met aujourd’hui en œuvre sans état d’âme. Au passage, elle a oublié son vote en faveur de la motion référendaire demandant l’organisation d’un référendum sur ce texte de loi.

Chacun peut le constater, l’influence des baronnies régionales reste toujours aussi forte dans le projet de notre commission. C’est particulièrement vrai pour l’Alsace, dont les élus exercent une certaine pression au nom d’enjeux n’ayant rien à voir avec l’intérêt général.

Ces parlementaires vont même jusqu’à proposer de faire passer par la loi la fusion de leurs collectivités départementales et régionale, fusion qui a pourtant été rejetée par les citoyens alsaciens.

C’est devenu une manie, pour la droite, de faire avaliser par la loi ce que le peuple refuse par référendum. Elle l’a déjà fait en 2005 s’agissant du Traité européen.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Christian Favier. Ce refus de prendre en compte l’avis de la population n’est malheureusement pas l’apanage de la droite. En effet, le texte issu de la majorité socialiste de l’Assemblée nationale a été presque totalement repris par notre commission. Il est particulièrement marqué par son autoritarisme, son caractère technocratique et son refus du dialogue avec les élus et les citoyens.

Ainsi, après la non-consultation des conseils régionaux et généraux concernés par les fusions de régions, l’alliance de l’UMP et du PS est aujourd’hui de nouveau à l’œuvre, je suis bien obligé de la constater, pour ôter tout pouvoir d’intervention aux citoyens dans ce processus de modification des territoires de la République.

L’obligation de référendums locaux est ainsi supprimée. Pour notre part, nous refusons ce recul démocratique, tout comme nous refusons les fusions de régions fondées sur des visions dépassées, ne s’appuyant sur aucune réalité objectivement démontrée.

Chacun sait pourtant que tout regroupement, dans quelque domaine que ce soit, doit d’abord s’appuyer sur des relations existantes. Or aucun examen sérieux n’a été entrepris s’agissant des liens entretenus entre les différents territoires régionaux.

Pour se regrouper, il faut ensuite s’appuyer sur une relation souhaitée par les parties prenantes, en un mot se mettre d’accord sur un projet partagé. Or personne n’évoque cet aspect ! Les seuls arguments avancés sont des souhaits : devenir plus gros et dépenser moins !

Aux yeux de certains, développer de nouveaux services à la population serait presque devenu un objectif incongru. Pourtant, pour réussir un regroupement, il est nécessaire d’apprécier les éléments relationnels existants et ceux qu’il s’agit de construire.

En termes d’évolution des organisations, nous avons appris depuis longtemps que, si ce travail préalable n’est pas fait, l’échec est assuré. Il l’est également si l’ensemble des intervenants ne sont pas associés au processus de transformation.

Ainsi, sans une association étroite, sans une concertation approfondie avec les citoyens, des partenaires économiques et sociaux, des élus locaux et des personnels territoriaux, rien ne se construira durablement. Le risque est grand de voir se développer les concurrences, les appétits égoïstes et les réseaux identitaires de chaque territoire, en flattant finalement plus les différences que ce qui rassemble.

Cela commence malheureusement à se produire, chacun peut s’en rendre compte. Pour notre part, nous ne saurions nous résoudre à laisser éclater notre République sous les coups des égoïsmes et de la mise en concurrence des territoires.

Avant même d’organiser cette nouvelle carte des régions, la logique aurait voulu que nous examinions en priorité les fonctions et les compétences de ces nouvelles collectivités régionales, pour déterminer l’espace qu’elles devraient occuper.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Christian Favier. Avant de réfléchir aux périmètres de ces nouvelles institutions locales, il aurait fallu également s’interroger sur les moyens financiers et humains dont elles pourront disposer pour exercer leurs nouvelles compétences.

En fait, avec ce texte bâclé, nous faisons le contraire de ce qu’il conviendrait de faire. Pour autant, à partir d’études sérieuses et d’objectifs clairement définis, des évolutions territoriales sont à l’évidence nécessaires et possibles. Mais, pour les mettre en œuvre, encore faut-il associer l’ensemble des forces sociales intéressées et organiser un véritable débat national, qui serait tranché par une consultation populaire à la hauteur des enjeux portés par une telle réorganisation de notre République.

Car il ne faut pas cacher aux citoyens, comme certains nous y invitent, que des régions de grande taille, disposant de compétences très élargies et d’un pouvoir réglementaire, portent le germe d’une organisation fédéraliste se substituant à notre République une et indivisible.

D’ailleurs, cette idée n’est-elle pas déjà dans de nombreuses têtes ? Certains passent en effet leur temps, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, à comparer nos régions aux Länder allemands, évoquant leur action et leur puissance respectives, mais oubliant de dire qu’ils sont non pas l’expression d’une République dont l’organisation est décentralisée, mais les structures politiques d’un État fédéral, où les lois ne sont pas les mêmes suivant que l’on habite à l’ouest ou à l’est du pays.

En fait, derrière ce redécoupage des régions, sous couvert de renforcer l’attractivité de leur territoire, se cache un projet politique bien plus vaste, celui d’une réorganisation complète de notre République.

C’est un chambardement de nos institutions locales qui se prépare. Il vise à faire disparaître à moyen terme bon nombre de collectivités locales, de la commune à la région, en passant par les départements, pour faire disparaître autant d’assemblées élues, lieux d’expression de la souveraineté populaire.

C’est un recul démocratique sans précédent et nous allons évidemment le combattre avec détermination.

En effet, personne ne peut croire que l’on va renforcer la démocratie dans notre pays, répondre à la crise de la représentation qui s’élargit, en réduisant le nombre d’assemblées élues, en réduisant le nombre d’élus locaux de proximité, pour la plupart bénévoles, en éloignant toujours plus les citoyens des lieux de décision et de pouvoir.

Au contraire, la concentration des pouvoirs annoncée favorisera, on le sait, la professionnalisation renforcée du mandat d’élu et réduira la possibilité des citoyens issus des classes populaires d’accéder à ces fonctions.

L’oligarchie financière et technocratique envahira peu à peu l’ensemble de la sphère politique, y compris au niveau local. Il deviendra alors possible de faire taire l’expression des besoins et des attentes de nos concitoyens pour permettre une réduction drastique de la dépense publique au profit de l’ouverture au marché de pans entiers de l’action publique actuelle.

Ce faisant, nous transformerons le citoyen usager actuel en client potentiel.

À l’objectif de tendre vers l’égalité et de répondre aux besoins de chacun se substituera une réponse inégalitaire : à chacun selon ses moyens. Voilà la France que vous nous préparez !

Ce sera destructeur pour notre pacte social, pour notre pacte républicain.

Déjà, nous voyons poindre en Europe cet éclatement du cadre national, en Italie du Nord, en Catalogne ou en Écosse. Notre pays n’est pas à l’abri.

Le danger est devant nous, avec ce texte bien sûr, mais aussi avec celui qui va suivre, le projet de nouvelle organisation des territoires de la République.

Reconnaissons que ce deuxième texte, par son intitulé, annonce la couleur. Mais il ouvre la porte à d’autres changements, qui, eux, ne sont pas encore annoncés, mais qui suivront.

Faisant suite à la loi Sarkozy de réforme territoriale de décembre 2010, la loi d’affirmation des métropoles, promulguée en janvier dernier, s’est inscrite dans ses pas, pour toujours plus réduire l’influence des institutions locales et ouvrir la porte à la disparition programmée des départements et des communes.

Notons à ce propos que la droite semble oublier que c’est elle qui a ouvert le ban de la disparition des départements, qu’elle fait mine de contester aujourd’hui.

En effet, le conseiller territorial, cet élu hybride siégeant au niveau départemental et régional, était alors institué pour mieux organiser – pour reprendre le bon mot d’Édouard Balladur – « l’évaporation » à venir des départements.

En revanche, et nous le regrettons, la filiation avec la commission Balladur se retrouve aussi – c’est évident – avec l’objectif gouvernemental de faire disparaître les départements à l’horizon 2020 en utilisant la même méthode : celle de la dévitalisation et de la mort à petit feu.

À cet égard, monsieur le ministre, vos propos ne nous ont pas rassurés.

Et pourtant, je me souviens qu’en 2009 le parti socialiste et l’association des élus socialistes s’étaient prononcés contre les propositions de cette commission Balladur et qu’alors, ensemble, nous avions combattu la réforme de 2010.

Cela, évidemment, c’était avant…

Mme Éliane Assassi. Eh oui !

M. Christian Favier. Une chose est ainsi plus claire. En effet, depuis plusieurs mois, certains élus et responsables socialistes nous ont fait le reproche d’avoir eu le même type de vote que la droite, sur certains textes de loi, en feignant d’ignorer que nos raisons étaient diamétralement opposées.

Aussi, qu’il nous soit permis, sur ces textes de déconstruction de nos institutions locales, de noter que les désaccords de la droite avec le Gouvernement ne sont plus aussi évidents. Nous le verrons très certainement au moment du vote de ce texte.

Ainsi, nous venons d’évoquer la filiation sur la disparition programmée des départements, mais nous pouvons malheureusement noter qu’il en est de même concernant l’avenir de nos communes.

En matière d’intercommunalité, le renforcement des compétences obligatoires et l’élargissement des territoires annoncés vont se faire dans le prolongement de la loi de 2010, qui renforçait déjà ces prérogatives et ces limites.

Ainsi, une proposition de loi de Jacques Pélissard sur l’avenir des communes, visant à accélérer leur fusion et à faire ainsi disparaître des milliers d’entre elles, donc des milliers d’élus, vient prochainement en débat à l’Assemblée nationale.

Certains estiment même que cela pourrait toucher près de 10 000 communes et donc plusieurs dizaines de milliers d’élus locaux, au motif de leur perte de moyens financiers et donc de leur capacité d’intervention.

Or il semblerait qu’un amendement au projet de loi de finances soit d’ores et déjà prêt pour accompagner cette proposition favorisant les regroupements-fusions au sein des communes nouvelles définies par la loi Sarkozy de 2010.

Centralisatrice, inefficace, cette réforme va se traduire en outre par un véritable gaspillage des deniers publics.

En effet, contrairement à la fable mille fois répétée par les partisans de ces « hyperrégions », les économies annoncées ne seront pas au rendez-vous. La réorganisation des services, les transferts de compétences envisagés, l’harmonisation des régimes indemnitaires des personnels, la refonte de toute la communication institutionnelle et de la signalétique régionale seront autant de surcoûts totalement passés sous silence aujourd’hui.

Mais, demain, il vous faudra évidemment rendre des comptes aux contribuables.

Au moment où notre pays est au bord de la faillite, avec un chômage qui explose, était-il nécessaire d’engager à l’aveugle un tel chamboulement ?

Quand on voit l’amateurisme qui a entouré la fixation du calendrier électoral, on ne peut qu’être très inquiet quant à la capacité de la technostructure à conduire une telle réforme !

Pour notre part, nous restons attachés à l’organisation de notre République, à ses trois niveaux de collectivités, même si nous pensons que d’importantes modifications doivent être mises en œuvre pour en démocratiser toujours plus le fonctionnement, pour améliorer les services publics locaux, développer tous les partenariats possibles, monter des projets communs entre collectivités territoriales, dans le respect de toutes les parties prenantes, pour renforcer l’efficacité de l’action publique et toujours mieux répondre aux besoins et aux attentes de la population.

Nous militons donc pour un changement radical, démocratique et social, pour une VIe République qui place le peuple devant toute chose et l’humain au centre de tout.

Ce qui nous est présenté aujourd’hui, au nom du parti du mouvement, n’est qu’un mauvais replâtrage de notre monarchie républicaine, une Ve République bis, pire qu’avant par certains aspects.

Ce qui est devant nous, ce n’est pas la voie de la réforme, mais celle d’une contre-réforme passéiste, réactionnaire et centralisatrice, qui renie le mouvement initié il y a trente ans par un gouvernement de gauche qui œuvrait alors pour une décentralisation démocratique, au service d’un projet émancipateur.

Cette volonté politique est toujours la nôtre et rien ne nous en détournera.

Aussi, nous refuserons certains articles et proposerons des amendements tendant à réduire les aspects les plus néfastes de ce texte.

Nous espérons être entendus, mais, en l’état actuel de ce projet de loi, trop partiellement réécrit par notre commission spéciale – même si les uns et les autres ont souligné les avancées réalisées –, nous ne pourrons que repousser ce texte, qui n’est pas, à nos yeux, à la hauteur d’une République moderne, démocratique et solidaire.

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