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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ces textes bouleversent le paysage institutionnel local, pour mieux le démembrer par la suite

Délimitation des régions -

Par / 3 juillet 2014

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne peux commencer cette intervention sans émettre les plus vives protestations, au nom du groupe CRC, sur les conditions d’examen de ce projet de loi. C’est en effet à la hussarde que la Haute Assemblée est censée examiner en procédure accélérée un texte fondateur qui, comme l’a indiqué le Président de la République, va chambouler nos institutions locales pour des dizaines d’années. Or, il faut le dire ici, le travail d’élaboration de ce texte a été bâclé. C’est indigne des enjeux et de la Haute Assemblée !

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Christian Favier. Depuis que notre assemblée est saisie, nous avons fait des propositions pour élargir son travail.

Nous avons d’abord demandé, avec d’autres, une commission spéciale afin d’examiner l’ensemble des conséquences d’une telle réforme dans une même structure de travail plutôt que de saisir pour avis toutes les commissions. Malheureusement, le temps contraint que nous a imposé le Gouvernement n’a finalement pas permis à la commission spéciale de répondre aux objectifs de sa création et tous les enjeux de cette réforme n’ont pas été traités.

Nous avons ensuite refusé que ce texte vienne en examen du fait de la faiblesse, pour le moins, de l’étude d’impact. Tout en rejetant nos griefs, le Conseil constitutionnel reconnaît tout de même qu’aucune des conséquences en termes d’emploi public n’est traitée.

Enfin, la motion référendaire ne visait qu’à nous assurer que le peuple souverain soit appelé à avoir le dernier mot sur une réforme de nos institutions locales.

Rien dans notre démarche ne s’est apparenté à une quelconque obstruction. Nous n’avons pas joué la procédure pour éviter le débat. Au contraire, les enjeux de cette réforme ont toujours été au cœur des démarches entreprises. Mais comment pouvions-nous accepter une méthode qui consiste à saucissonner les textes pour faire avaliser un nouveau cadre institutionnel régional et intercommunal sans débattre, au préalable, des compétences nouvelles ou des conséquences induites par la disparition programmée des conseils généraux ?

Il s’agit en fait d’un véritable coup de force institutionnel, d’une manipulation politique peu glorieuse et d’une marque de défiance à l’égard de la représentation nationale et des élus.

Dans un premier temps, ces textes bouleversent le paysage institutionnel local pour mieux le démembrer par la suite. Ce faisant, le Président de la République, pourtant garant de nos institutions, nous demande de brader, en une semaine, notre organisation territoriale et deux cents ans de notre histoire républicaine partagée.

La méthode employée met à mal la séparation des pouvoirs, chère aux législateurs ayant fondé notre République. En effet, les projets sont tellement encadrés, figés dans le temps et dans leur contenu, que le pouvoir législatif est de plus en plus transformé en un simple rouage administratif, entre les mains d’un pouvoir exécutif autocratique absolu, tellement sourd aux critiques qui montent de toute part.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est nuancé…

M. Christian Favier. Cette tour d’ivoire élyséenne n’est d’ailleurs pas sans nous rappeler celle d’un autre temps, qui fit écrire au « petit horloger de Versailles » : « rien », sur son journal personnel, pour décrire ce qui s’était passé un certain 14 juillet 1789.

M. Gérard Longuet. Il n’avait pas le téléphone, c’est pour ça ! (Sourires.)

M. Christian Favier. En effet, partout, les élus locaux, les acteurs locaux, les populations s’expriment, grondent. J’en veux pour preuve, par exemple, la motion unanimement adoptée par l’Assemblée des départements de France pour affirmer son opposition à la réforme territoriale telle qu’elle nous est aujourd’hui proposée.

La quasi-unanimité des protagonistes rejette, si ce n’est l’objet de la loi, en tout cas la méthode. Quant au peuple, dont le Gouvernement espère le soutien, ce dernier le garde soigneusement éloigné, ne lui permettant de s’exprimer que par sondages et refuse évidemment de lui laisser décider du cadre institutionnel local par voie référendaire.

Alors, oui, sur cette question comme sur tant d’autres, nous devons maintenant faire vivre le changement !

À l’opposé des petits comités, des petits arrangements de couloir pour établir la carte des nouvelles baronnies, il est temps que s’installe dans notre pays un grand débat national pour refonder notre République et non pour faire peser sur les collectivités la responsabilité de la dette publique que les gouvernements successifs ont creusée depuis trente ans. Car, ne l’oublions pas, cette réforme est arrivée dans le discours public par le biais de la recherche d’économies, sous la pression des institutions européennes. C’était même le premier argument utilisé.

Or, depuis, la preuve en a été apportée, cette fusion des régions va d’abord coûter cher, et les économies à venir ne sont pas assurées sans réduire massivement les services publics et l’action sociale. C’est d’ailleurs bien cela qu’exige Bruxelles dans sa recommandation adressée le 2 juin dernier : « Le projet de nouvelle loi sur la décentralisation devrait permettre de simplifier les divers échelons administratifs en France, en vue d’éliminer les chevauchements de compétences entre les administrations, de créer de nouvelles synergies, d’obtenir de nouveaux gains d’efficacité et de réaliser des économies supplémentaires en fusionnant ou en supprimant des échelons administratifs. »

Voilà donc le véritable objectif de ce projet de loi : suivre scrupuleusement les rails tracés par Bruxelles. C’est en quelque sorte, monsieur le ministre, si j’ai bien compris, votre feuille de route. On comprend mieux, dès lors, que l’utilité de cette réforme des territoires pour nos concitoyens n’est ni affichée, ni débattue et encore moins démontrée.

Cependant, les conséquences, on le sait, seront lourdes. Dès maintenant, les réductions drastiques opérées par l’État sur les dotations des collectivités locales conjuguées aux incertitudes qui pèsent sur le devenir des départements et des intercommunalités, notamment en région parisienne, génèrent une baisse des investissements des collectivités locales et donc, mécaniquement, une réduction de l’activité des secteurs du bâtiment, des travaux publics et du paysage. Selon des projections, cette réduction pourrait atteindre 10 % en 2014 et menacer directement près de 10 000 emplois en Île-de-France à très court terme.

Par ailleurs, cette réforme s’inscrit à contre-courant du processus de décentralisation engagé par notre pays. Alors que, depuis trente ans, le pouvoir local, communal et départemental, dans la proximité nouée avec la population, tente de mieux répondre aux besoins et aux attentes des citoyens, l’objectif de ces textes est la suppression des assemblées locales, au profit de grandes structures régionales et intercommunales de plus en plus éloignées des populations.

À l’inverse de tous les actes de décentralisation, vous venez même d’annoncer, monsieur le ministre, que pour compenser la disparition des départements, vous allez renforcer l’intervention des préfets. Autant nous nous félicitons d’un retour de l’action de l’État sur les territoires, que nous n’avons jamais contesté pour notre part, autant nous ne saurions accepter que cela se fasse contre les assemblées élues. C’est bien la preuve d’un retour en arrière, d’une reconcentration des pouvoirs, d’une recentralisation technocratique et, surtout, il faut bien le dire, d’un recul démocratique.

Intégration, concentration et organisation hiérarchique pyramidale des pouvoirs semblent être aujourd’hui l’alpha et l’oméga de votre pensée institutionnelle et de vos propositions, alors que tout pousse, au contraire, dans un monde moderne, à de nouvelles formes d’organisation plus souples, plus évolutives, plus collaboratives.

La nouvelle étape de la décentralisation, à laquelle nos concitoyens sont attachés, doit s’appuyer sur la volonté de rapprocher davantage les citoyens des lieux de décisions, de favoriser les coopérations, le partage des savoirs et des pouvoirs.

À rebours de tout cela, la perspective des mesures que vous nous proposez met gravement en péril notre organisation démocratique. Ainsi, vous voulez supprimer, en 2020, plus de 4 000 élus départementaux et leurs assemblées délibératives. Qui peut croire qu’il y aura plus de démocratie avec moins d’élus et moins d’assemblées élues ? Y aura-t-il plus de démocratie en supprimant l’obligation de consultation des citoyens en cas de modification de la région de rattachement d’un département ?

Mme Cécile Cukierman. Très bien !

M. Christian Favier. Y aura-t-il plus de démocratie en refusant, dans ce cadre de bouleversement institutionnel, que la parole soit donnée au peuple ?

Ni utile ni démocratique, pourquoi débattre d’un tel texte ? Où sont les véritables enjeux ? Mettons-nous tous la même chose derrière les mots ?

Ainsi, et ma collègue Cécile Cukierman y reviendra dans la discussion générale, lorsque l’on parle de régions fortes, de compétences et de pouvoirs réglementaires renforcés en leur faveur, sommes-nous toujours dans la perspective d’une République unitaire ou déjà sur la voie du fédéralisme ? La question se pose réellement lorsque l’on prévoit que l’intervention économique relèvera exclusivement des régions et qu’il faudra supprimer les doublons entre l’État et les régions.

L’État ne sera-t-il plus en mesure d’intervenir dans ce domaine ? Il n’y aurait donc plus de politique économique nationale, ni de politique nationale d’aménagement, ni de politique nationale d’enseignement supérieur ? Est-ce ce qui se cache derrière les déclarations de certains et les textes qui nous sont soumis ?

En fait, il y a un vrai jeu de dupes lorsque l’on débat de nos institutions locales et de notre démocratie de proximité. Prenons l’exemple de nos communes. Le sujet est si sensible chez nos concitoyens que tout le monde jure de les défendre alors que, depuis plusieurs décennies, tous les gouvernements ont tenté d’en réduire l’action : d’abord et toujours par le biais budgétaire, en réduisant les dotations de l’État et leur autonomie financière ; ensuite par la réduction de leurs compétences.

Le vecteur essentiel de cette dévitalisation de nos communes, en cours et à venir, ce sont d’ailleurs, nous le savons tous, les transferts vers les intercommunalités. Quant aux intercommunalités, elles étaient à l’origine librement choisies, fondées sur des projets communs. Maintenant, c’est terminé : on concentre autoritairement, toujours plus ! De 5 000 habitants, on va passer à 20 000 habitants. Ce sera combien ensuite : 50 000, 100 000 habitants ? Je souligne qu’en petite couronne les intercommunalités rassembleront au minimum 300 000 habitants.

M. Roger Karoutchi. Exact !

M. Christian Favier. Dans ces conditions, chacun sait que nos communes deviendront, à plus ou moins brève échéance, de simples mairies d’arrondissement, notamment lorsque sera instaurée l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires.

Si j’attire l’attention sur la situation et l’avenir de nos communes, c’est parce que vous soulevez le sujet à demi-mot, monsieur le ministre, car leur nombre élevé est ce qui nous différencie le plus en Europe. Officiellement, on ne parle pas de la suppression des communes, mais les projets, j’en suis persuadé, sont dans les cartons. Ils peuvent en sortir rapidement et constituent la seconde étape. Voyez comment, d’un seul coup, a été annoncée la disparition des départements ! En quinze jours, le Président de la République a changé d’avis : à Tulle, en janvier, il annonçait que les départements étaient utiles, puis que ceux-ci avaient fait leur temps et qu’il fallait maintenant les supprimer !

Le 27 janvier 2014, la loi MAPAM était promulguée, rétablissant la clause de compétence générale des départements et des régions. Moins de six mois plus tard, le futur projet de loi sur les compétences entend la supprimer.

Cette versatilité de la parole politique cache finalement mal un projet dont on sait qu’il est issu de la mission Balladur, dont la mise en œuvre n’a pas encore complètement abouti.

Ce texte s’inscrit dans une perspective libérale, celle d’une Europe fédérale des régions présentant partout la même organisation territoriale. Cette réforme se fera au nom d’une visée politique libérale et technocratique mettant à bas les structures de représentation de proximité, afin de toujours plus éloigner les centres de décision des citoyens et réduire ainsi leur capacité d’intervention et de contrôle

Au nom du changement, c’est le grand chambardement technocratique qui se prépare ici, pour faire en sorte que plus personne ne s’y retrouve. Au nom d’une prétendue lisibilité, vous remettez en cause tous les points d’appui démocratiques qui persistent encore dans notre société.

Ainsi, c’est finalement ce grand réseau d’élus locaux de proximité – communaux et départementaux –, avec leurs institutions, que vous voulez supprimer.

Notre critique est d’autant plus vive que cette réforme tourne résolument le dos aux engagements pris par le Président de la République lors de sa campagne électorale et dans son discours de Dijon. Loin des promesses sur un nouvel acte de décentralisation, nous sommes face – il faut bien le dire– à un nouveau renoncement, à une reculade, devant les exigences de l’Europe libérale.

Pour notre part, nous sommes favorables à une VIe République, sociale et démocratique, qui redonne du pouvoir au peuple au travers de nouvelles institutions, à tous les niveaux, du local au national, et au travers de collectivités territoriales construites sur la coopération et non sur une forme d’intégration contrainte, librement administrées par des assemblées élues, aux pouvoirs renforcés, et non transformées en simples guichets déconcentrés des politiques de l’État. Tout cela exige un grand débat national, public, conclu par un référendum.

Par crainte du jugement populaire, vous le refusez. Nous le regrettons. En conséquence, le groupe CRC ne pourra que rejeter le texte que vous nous proposez.

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