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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ces textes font le bonheur des lobbies

Simplification du droit -

Par / 10 janvier 2012

Version provisoire

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je trouve aussi, pour ma part, totalement scandaleux que M. Maurey, en tant que rapporteur pour avis, tienne des propos dignes d’un meeting politique…

Mme Sylvie Goy-Chavent. Vous ne faites pas pareil ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il serait logique d’en déduire d’autant le temps de parole de son groupe. (Exclamations sur les travées de l’UCR.) Si vous voulez mon avis, je vous le donne.

Mme Sylvie Goy-Chavent. On ne vous le demandait pas !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La complexité du droit est une réalité que l’on retrouve légitimement et régulièrement au cœur des préoccupations. Nous savons néanmoins, nous parlementaires, que, si la complexité des textes est croissante, c’est aussi parce que l’inflation normative augmente, et ce depuis longtemps. Mais elle s’accélère depuis quelques années et encore plus ces derniers temps puisqu’on nous annonce encore toutes sortes de textes à venir.

Les professionnels du droit, les élus, les citoyens, partagent probablement tous le constat selon lequel notre droit doit faire face à ce mouvement de complexification et y porter remède. D’ailleurs, le discours le dénonçant s’amplifie évidemment au fur et à mesure de l’inflation législative, à tel point que le Conseil d’État a consacré son rapport public pour 2006 au thème « sécurité juridique et complexité du droit ». On ne peut pas mieux dire !

Malheureusement, il est très regrettable que cette mission de simplification, à laquelle tout le monde pourrait adhérer, n’ait pas été définie et encadrée avec précision. À vrai dire, une stricte délimitation des réels objectifs des lois de simplification nous aurait certainement évité les dérives qu’elles ont toutes connues, le rapporteur de la commission des lois l’a très bien souligné, et nous aurait permis de traiter réellement de cette problématique.

Le titre de la présente proposition de loi– il en allait de même du titre de celles qui l’ont précédée – reflète d’ailleurs toute l’ambiguïté de son contenu. Un petit travail de sémantique nous permet de dire que simplifier c’est « rendre simple, moins compliqué ». Rendre le droit moins compliqué, c’est une idée séduisante politiquement mais plus difficile juridiquement, semble-t-il.

D’abord, comment le droit pourrait-il être simple ? On pourrait s’interroger sur ce point, puisqu’il suppose une étude approfondie de concepts juridiques ; c’est une illusion de croire qu’il puisse être simple. Néanmoins, on pourrait retenir que, derrière cette idée de simplification de la norme, il y a confusion avec le concept juridique de clarté de la norme. La clarté est un caractère reconnu de la loi ; celle-ci doit être claire. Par conséquent, il s’agit de rédiger les textes dans un style et une langue facilement compréhensible. Mais si tel était réellement votre objectif, comme les précédentes, cette proposition de loi le contredit totalement.

En effet, comme les précédentes, puisque nous avons eu une loi de simplification tous les deux ans depuis huit ans, elle contribue à l’inflation normative de manière désorganisée pour ne pas dire bafouée. Elle conduit à annihiler les effets prétendument recherchés et même à exacerber le problème. Ces modifications parcellaires et conjoncturelles non seulement posent des problèmes de cohérence, mais aussi soulèvent, bien entendu, celui de la sécurité juridique en consacrant l’instabilité.

Le rapport du Conseil d’État de 2006 le souligne et met en garde contre ces « mesures effectives de simplification qui s’accompagnent de simples réécritures d’autres dispositions, qui auraient mérité une réflexion de fond plus globale ».

Dans un second temps, en prêtant attention aux dispositions de ces textes comme de ceux qui les ont précédés plutôt qu’aux discours qui les entourent, l’idée de clarté du droit passe aux oubliettes et l’on se rend vite compte que la simplification devient synonyme de réforme souhaitée par le Gouvernement. En fait, il s’agit de modifier et rectifier des textes, des procédures, et de transposer des directives communautaires. Donc, sous la plume de Jean-Luc Warsmann, un spécialiste, la simplification du droit se transforme en modification normative.

Nous n’en sommes pas dupes, le véritable objectif de ces lois de simplification est davantage un contournement de la prohibition des cavaliers législatifs qu’une garantie de l’effectivité de l’accessibilité et de l’intelligibilité des normes.

Elles font, par ailleurs, le bonheur des lobbies, qui s’activent pour y glisser les amendements ou propositions qu’ils n’ont pas réussi à faire passer lors des discussions sur des textes précédents. Elles sont aussi pour certains l’occasion de réintroduire des propositions de loi rejetées, qui réapparaissent sous forme d’amendements.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Eh oui, tel le phénix !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elles servent à une mise en œuvre à bas bruit de la politique du Gouvernement quand il a du mal à le faire de façon transparente ; je pense par exemple à la dépénalisation du droit des affaires.

Le fait que la procédure accélérée ait été requise ne fait qu’en rajouter dans ce sens. À bas bruit, en procédure accélérée, tout ce que l’on ne peut pas faire passer de façon transparente et réfléchie se faufile dans les lois de simplification.

Les dérives constatées et relevées dans le rapport sont d’autant plus inquiétantes que chacun a pu apprécier le caractère inédit de l’ampleur et du contenu de ces textes. D’ailleurs, si l’on ne met pas une barrière, on peut penser que, avec vous, au fur et à mesure, les lois de simplification seraient de plus en plus importantes, elles passeraient de quatre-vingts articles à cent cinquante et peut-être deux cents, voire trois cents, on ne sait pas.

À lui seul, le présent texte concerne pas moins de vingt codes, ainsi que quelques grands textes fondamentaux non codifiés dont la loi de 1881 sur la liberté de la presse, la loi de 1901 sur la liberté d’association ou encore celle du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous dire, contrairement à ce que vous avez largement insinué, à savoir que la majorité du Sénat empêchait le débat, que le Parlement est le lieu de l’expression des choix politiques.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Je vous ai justement invités à ce que nous débattions !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aussi, comme nous prenons nos responsabilités, et, je le précise, mon groupe, qu’il soit dans l’opposition ou dans la majorité, a toujours réagi de la même façon à l’égard des lois de simplification, nous refusons que le législateur soit instrumentalisé et soit obligé de voter des lois que le Gouvernement n’a pas pu faire passer autrement.

Pour cette raison évidente, la question préalable, qui dit clairement le choix politique que nous faisons face à ce type de dérive législative, se justifie pleinement. C’est le droit le plus strict des parlementaires, droit dont ils devraient user chaque fois que nécessaire pour éviter de telles dérives de la procédure législative.

Sur le fond, ce texte se veut d’une portée simplificatrice toute particulière. Outre des dispositions qui affectent la loi relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, il recèle des dispositions relatives aux entreprises, touchant notamment au droit des salariés au sein de celle-ci. Je me contenterai sans exhaustivité de dénoncer quelques articles qui entament significativement les droits des salariés pour que, au moins, chacun le sache.

L’article 40, par exemple, vise à permettre de moduler le nombre d’heures travaillées sans que cette répartition des heures travaillées aboutisse à une modification du contrat de travail. L’air de rien, cet article remet en cause une jurisprudence de la Cour de cassation, protectrice pour les salariés, leur permettant de refuser la modulation de leur temps de travail prévue par un accord collectif. En effet, l’arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2010 indique que « [...] l’instauration d’une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord exprès du salarié [...] ». Concrètement, en cas de modification de la durée du travail – sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année – prévue par un accord collectif, la protection du salarié apportée par les clauses de son contrat de travail deviendrait caduque. Par exemple, un employeur pourrait exiger de son salarié de travailler une semaine durant quarante-huit heures et dix heures la semaine suivante sans que celui-ci puisse s’y opposer. Outre le fait que cette disposition pourrait être très déstabilisante pour les salariés, elle n’est pas sans conséquence, bien évidemment, sur leur pouvoir d’achat. Le ministère en a été averti par les organisations syndicales : « Cela entraînera des frais supplémentaires pour les familles – gardes d’enfants, déplacements supplémentaires – qui se seront organisées bien avant une modification des horaires ».

Autrement dit, ce sera aux salariés de supporter économiquement le choix imposé par l’employeur pour que l’entreprise soit plus rentable. C’est un transfert de dépenses de l’entreprise vers les salariés. Surtout, c’est, bien entendu, la fin annoncée des heures supplémentaires, qui étaient, comme vous le savez, le fin du fin pour les salariés pour gagner plus. (Sourires.)

L’article 40 bis concerne le télétravail et, pour la première fois, en adopte une définition. D’une certaine manière, cette disposition constitue une protection en reconnaissant ce qui est aujourd’hui un véritable mode d’organisation du travail.

Malgré ce petit avantage, cet article suscite de nombreux problèmes. Tout d’abord, il vise des situations régulières, ce qui exclut de cette définition celles et ceux qui, de manière occasionnelle ou ponctuelle, travaillent chez eux. Or certains salariés, par exemple pendant des intempéries, des mouvements sociaux, ne peuvent pas se déplacer, l’employeur leur demande alors de travailler depuis leur domicile. Ce qu’ils font sans être protégés.

En outre, parce que le télétravail est de fait synonyme de désocialisation, d’isolement, d’augmentation de la charge de travail, il aurait été souhaitable que le contrat de travail ou la convention collective prévoie obligatoirement des moments, à l’initiative du salarié, où ce dernier peut travailler sur son poste, ne serait-ce que pour avoir un accès direct à ses collègues et à ses représentants du personnel éventuellement. Ou encore il aurait été souhaitable de prévoir qu’aucune mesure de télétravail ne puisse être proposée dans le contrat de travail si la convention collective ne prévoit pas des modalités particulières et renforcées d’accès à la médecine du travail, ce qui exige une coordination avec les organisations professionnelles ; ce n’est évidemment pas le cas.

L’article 46, quant à lui, vise à autoriser le pouvoir réglementaire à adapter aux spécificités des très petites entreprises les modalités d’évaluation des risques en matière de sécurité et d’hygiène au travail. Cela n’est pas satisfaisant puisque, à ce jour, les modalités d’évaluation des risques en matière de sécurité dépendent de la nature de l’entreprise et des risques qu’encourent les salariés, non de la taille de l’entreprise. Cela est logique puisque ce qui crée le risque, c’est non pas la taille de l’entreprise, mais le mode d’organisation. Personne ne peut contester que c’est la taylorisation du tertiaire qui engendre des gestes répétitifs, indépendamment de la taille de l’entreprise !

En réalité, tout le monde le sait, les petites entreprises ont accumulé d’importants retards dans l’élaboration du document unique sur les risques professionnels, document qui permet de définir les risques professionnels auxquels sont exposés les salariés. Il doit servir de support au dirigeant afin qu’il intègre une démarche sécuritaire dans son management. Or, bien que cette obligation soit relativement ancienne – elle a été prévue il y a dix ans –, les TPE ne se sont pas mises en conformité. Aussi risquent-elles de se voir infliger une amende par l’inspection du travail.

En cas d’accident du travail ou de survenance d’une maladie professionnelle dans une entreprise qui ne s’est pas conformée à cette obligation, le salarié peut invoquer la faute inexcusable de l’employeur. Le dirigeant devient alors attaquable sur son patrimoine et doit rembourser tous les frais engagés.

Cette proposition de loi est donc une amnistie pour les employeurs fraudeurs, mais elle constitue aussi – et c’est tout aussi grave ! – une atteinte majeure aux droits des salariés, qui bénéficient, avec la faute inexcusable de l’employeur, d’une modalité de recours.

Enfin, l’article 92 bis, qui résulte de l’adoption par l’Assemblée nationale, en séance publique, d’un amendement déposé par le Gouvernement, nous est présenté comme devant mettre en conformité notre droit national avec le droit européen pour ce qui concerne les dispositions relatives aux personnes relevant d’un contrat d’engagement éducatif, c’est-à-dire les moniteurs occasionnels des colonies de vacances. Il s’agit concrètement de jeunes titulaires du BAFA, le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, qui interviennent durant les vacances scolaires et dont la durée totale de travail ne peut pas excéder quatre-vingts jours.

À la suite d’une action judiciaire, le Conseil d’État a considéré que les dispositions applicables à ces salariés n’étaient pas conformes au droit européen dans la mesure où ceux-ci ne disposaient pas du droit légitime offert à tout salarié de disposer d’un repos de onze heures consécutives. En effet, les moniteurs sont responsables de l’encadrement des enfants de jour comme de nuit. Cet article prévoit donc d’allouer à ces salariés un repos compensateur de onze heures à l’issue de la période de travail effectif.

Mais cette disposition n’est pas du tout satisfaisante. En effet, on ne peut pas, au détour d’un tel texte, régler de tels problèmes !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur pour avis. Eh bien, il n’y aura pas de colonies de vacances l’été prochain !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous plaisantez !

Toutes ces dispositions, sans doute nécessaires, sont aussi complexes les unes que les autres et méritent de faire l’objet d’une réelle concertation, qui tienne compte du droit des salariés, un mot que vous ne connaissez apparemment pas ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Incluses dans ce texte, elles sont soustraites à la discussion avec les organisations syndicales et au contrôle de celles-ci, et cela au mépris des engagements qui ont été pris.

Mes chers collègues, comment notre droit pourrait-il tendre à la clarté quand les moyens mis en œuvre pour l’élaborer en manquent eux-mêmes ? La clarté du droit se mesure à la qualité et à la sincérité de la procédure législative qui en est l’instrument. Nous ne pouvons que nous indigner devant ce mépris du travail parlementaire.

C’est pourquoi nous rejetons ce texte dans son ensemble pour des raisons de fond et de forme, formulant ainsi une mise en garde contre cette tendance à empêcher l’instauration de réels débats démocratiques et dénonçant la capacité unique qu’a le Gouvernement à simplifier en rendant plus complexe.

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