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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Cette règle d’or est celle des marchés financiers

Equilibre des finances publiques : exception d’irrecevabilité -

Par / 14 juin 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’apprécie, je l’avoue, de défendre l’irrecevabilité d’un projet de loi constitutionnelle au moment où tout porte à croire que ce projet est de toute façon irrecevable démocratiquement dans la mesure où il ne réunit pas une majorité des trois cinquièmes au Parlement !

Vous n’avez pas pu abaisser la majorité constitutionnelle mais, en revanche, vous avez déjà prévu que des lois organiques préciseront le contenu des lois-cadres : prudence quant à la majorité !

Nous pouvons en déduire que, si nous discutons à la mi-juin au Sénat, après l’Assemblée nationale, de ce projet de loi constitutionnelle alors qu’il ne sera pas voté au cours de la présente session, ni probablement à la prochaine, c’est que le Président de la République veut à tout prix au moins afficher sa volonté de bonne conduite à l’égard des « décideurs financiers ».

Ce projet, vous l’avez surnommé « règle d’or » ! Je dois dire qu’il porte bien ce nom, à condition d’ajouter « des marchés financiers » : c’est donc « règle d’or des marchés financiers ».

Les ministres qui défendent ce projet, MM. Mercier et Baroin, ont montré le fil rouge du texte. Depuis 2008, disait l’un d’eux, les déficits publics augmentent par insuffisance de la maîtrise des comptes ! Maîtrise par qui ? Car 2008, c’est l’année de la débâcle financière causée par les politiques irresponsables de rentabilité financière, des banques et organismes financiers, avec la bénédiction des États. Il y a donc des responsables. Les États ont « sauvé » les banques sans contrepartie et fait payer les salariés et les peuples, sous la houlette du Fonds monétaire international. C’est vrai dans tous les pays européens.

Aucune recherche d’augmentation des recettes du côté de ceux qui ont réalisé les plus grands profits, avant et après la crise, c’est-à-dire les actionnaires des entreprises du CAC 40. Au contraire !

En 2002, la dette s’élevait à 900 milliards d’euros contre quelque 1 800 milliards d’euros en 2011. Entre-temps, il y a eu le bouclier fiscal, les cadeaux électoraux – l’abaissement de la TVA pour les restaurateurs par exemple –, la suppression de la taxe professionnelle et toujours les exonérations de charges sociales – à hauteur de 173 milliards d’euros –, les niches fiscales, les stock-options… La crise n’a rien changé !

Je dois dire qu’il y a quelque chose d’obscène à voir montrer du doigt les gens qui survivent grâce au RSA, alors que les plus riches des plus riches arrivent in fine à avoir un pourcentage de taux d’ imposition identique à celui d’un petit salarié : 4 % pour Mme Bettencourt – toujours elle – comme pour un salarié qui gagne 1 500 euros !

Et pour finir, cette année, 1 900 foyers fiscaux dont les revenus sont supérieurs à 16 millions d’euros bénéficieront d’un gain moyen de 160 000 euros grâce à l’allégement de l’ISF, tandis que le bouclier fiscal continue de s’appliquer jusqu’à l’année prochaine ! C’est admirable ! Le résultat de l’opération est une aggravation du déficit public. Vous n’appliquerez donc pas l’année prochaine les bons principes que vous voulez constitutionnaliser.

Tout cela éclaire le propos de M. Mercier : « Vivre ensemble, c’est adopter un comportement responsable. » Qui est visé, les financiers, les gouvernements ? Ce propos s’adresse-t-il aux salariés, aux citoyens ? Ces derniers ont en effet voté, choisi donc, d’être gouvernés par des libéraux ultralibéraux ; ils ne peuvent pas s’attendre à autre chose !

Je crois que le problème réside précisément dans les rapports entre le peuple et votre gouvernance. Votre pouvoir est concentré comme il ne l’a jamais été. Le Parlement est contraint dans ses pouvoirs, tout particulièrement sur le plan financier, par des mécanismes que nous connaissons bien : LOLF, PLFSS, article 40 de la Constitution et tutelles européennes.

C’est d’ailleurs ainsi que vous avez imposé l’abaissement des services publics avec la révision générale des politiques publiques, la RGPP, les reculs de la protection sociale, donc de la santé, le bas niveau des salaires de la grande majorité. C’est également ainsi que vous avez mis au pas les collectivités locales avec votre réforme.

Mais vous ne pouvez empêcher un fort mécontentement, des résistances, des obstacles en France, comme dans la plupart des pays européens, où les peuples paient la crise de la finance.

Certes, vous avez les armes idéologiques – les pauvres, les peurs, les boucs émissaires –, mais il faut croire que cela ne suffit pas ; vous voulez aussi pouvoir exonérer durablement les responsables de la crise financière – c’est l’objet du programme de stabilité européen, de « l’Europlus » – et, pour être sûr d’y arriver, franchir une étape supplémentaire dans la contrainte contre toute velléité démocratique.

C’est l’objet du projet de loi que vous considérez, monsieur le ministre, comme « l’étape décisive dans le processus engagé il y a un an et demi ».

Les rapports n’ont pas manqué – je pense notamment au rapport Camdessus – pour proposer des idées.

Donc, cette étape décisive, c’est de décider d’« une norme supérieure » qui s’impose quels que soient la volonté populaire exprimée, le Gouvernement, le contexte,… grâce au monopole des lois financières, aux lois-cadres triennales, et dont le Conseil constitutionnel serait le garant.

C’est une limitation totale de la souveraineté du peuple et de ses représentants, c’est-à-dire du Parlement pour ce qui concerne le budget de l’État, du Parlement et des partenaires sociaux en ce qui concerne la sécurité sociale, des assemblées élues des collectivités locales pour ce qui est de leur budget.

C’est la mise en place d’une camisole financière européenne.

Je vous rappelle en effet l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision du 25 juillet 2001, que l’examen des lois de finances constitue un cadre privilégié pour la mise en œuvre du droit garanti par la Déclaration de 1789, et réaffirmé à cette occasion les principes d’annualité, d’irréversibilité et d’unité du budget.

C’est tout l’inverse avec le projet qui nous est soumis !

La commission des finances tente une réponse : « La règle [des lois-cadres] n’impose pas aux gouvernements une trajectoire budgétaire plutôt qu’une autre […] ; la seule chose qu’elle impose est la cohérence entre la trajectoire pluriannuelle annoncée à nos partenaires européens et sa déclinaison annuelle dans les lois financières ! »

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Absolument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par qui est édictée cette « norme supérieure » constitutionnalisée dans notre pays ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Par le bon sens, madame Borvo Cohen-Seat !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par les conseils des ministres de l’Union européenne ? Par la Commission européenne ? Par quelques pays européens, dont la France ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Par le souci de bonne gestion !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est bien là que le bât blesse !

Seuls les traités internationaux adoptés dans des formes adéquates peuvent limiter, dans un cadre précis, la souveraineté nationale.

En l’occurrence, le traité de Lisbonne ne prévoit pas de budget triennal européen, et l’Europe ne dispose pas d’un instrument constitutionnel – le traité constitutionnel européen est mort-né en tant que tel.

Le projet qui nous est soumis ajoute donc, en quelque sorte, une « règle » au traité de Lisbonne – sans traité – pour limiter la souveraineté du peuple.

M. le rapporteur cite un exemple éclairant : la Grande-Bretagne s’était dotée en 1997 d’un code de stabilité budgétaire au cours du cycle 1997-2007 de dix ans. La crise a fait voler en éclat cet équilibre.

Peut-on imaginer, avec votre dispositif constitutionnel, que le Conseil constitutionnel – qui a compétence liée – annule une disposition prise par un gouvernement face à une crise ?

Peut-on sérieusement penser interdire à une majorité, par des lois-cadres de trois ans minimum – peut-être davantage –, d’adapter sa politique financière et fiscale aux conditions du moment ?

Est-ce le Conseil constitutionnel – organe non élu démocratiquement – qui va en décider ?

Peut-on sérieusement penser que, quand le peuple français change de majorité et de gouvernement parce qu’il désavoue les précédents, il va accepter que la « camisole financière européenne » empêche la nouvelle majorité de faire quoi que ce soit ?

C’est une atteinte grave à la volonté démocratique, et, comme par hasard, un an avant les échéances électorales qui pourraient faire changer la majorité…

On comprend l’intérêt des marchés financiers. C’est vrai pour la France, c’est vrai pour d’autres pays européens où les peuples pourraient rejeter les plans d’austérité.

C’est en quelque sorte une garantie contre un éventuel changement de politique, un moyen d’interdire que quiconque s’avise de faire payer les crises aux marchés financiers !

Un tel projet, d’ailleurs, se conçoit très bien dans la logique de l’harmonisation européenne ultralibérale dont le traité constitutionnel européen était l’instrument : inscrire dans le marbre constitutionnel la rentabilité du capital au détriment des dépenses utiles.

Mais vous n’y êtes pas tout à fait parvenus. Il n’y a pas de Constitution européenne qui s’impose aux États, et le traité de Lisbonne, même s’il reprend le contenu du traité constitutionnel européen, que le peuple français a rejeté, ne prévoit pas l’encadrement triennal des gouvernements.

Le caractère antidémocratique du projet qui nous est soumis n’échappe pas à certains membres de votre majorité. Notamment, il n’a pas échappé à M. le rapporteur de la commission des lois que le projet voté par l’Assemblée nationale n’était pas suffisamment respectueux des droits du Parlement.

Pis, on peut lire dans son rapport que « le Gouvernement et le Parlement abandonnent une part de leur liberté ». Il indique « les graves inconvénients [qui en résulteraient] pour la cohérence des travaux parlementaires et le droit d’initiative des députés et sénateurs… »

Nous ne pouvons que souscrire à ces propos, mais l’affaiblissement du Parlement en matière financière est déjà bien entamé par l’irrecevabilité financière, le monopole du Gouvernement, le vote de l’article d’équilibre avant la discussion des crédits, les lois de programmation des finances publiques, comme vous le dites vous-même, monsieur le rapporteur.

Nous partageons l’idée que le projet dont nous discutons va plus loin – c’est le but recherché – et entrave toute initiative du Gouvernement et du Parlement, toute réforme, toute action répondant à des nécessités.

Imaginez des émeutes sociales pendant lesquelles un gouvernement voudrait prendre des mesures d’urgence. Qui pourrait l’en empêcher ?

Monsieur le rapporteur, vous n’apportez pas de remède au mal annoncé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, vous proposez au fond de supprimer le monopole des lois financières tout en conservant le maintien des lois-cadres d’équilibre dotées d’une force supérieure à celles des lois financières annuelles.

Donc, Gouvernement et Parlement ont toujours la possibilité de proposer des réformes induisant dépenses ou recettes nouvelles, mais les lois financières auront une compétence exclusive pour déterminer l’entrée en vigueur des mesures relatives aux prélèvements obligatoires, et bien entendu dans la limite des lois-cadres.

Certes, on peut apprécier que M. le rapporteur veuille rétablir ce que l’Assemblée nationale a refusé, c’est-à-dire que les institutions de la République servent encore à quelque chose ; mais il faut l’avouer, il s’agit d’un subterfuge car, en définitive, le principe même de la « norme supérieure » que le Gouvernement veut créer ex nihilo demeure, ce que nous refusons.

Mes chers collègues, le Parlement ne peut pas décider d’aliéner la souveraineté du peuple pour s’en remettre aux comptables financiers actuels de l’Europe !

Mes chers collègues, je vous invite donc à voter cette motion.

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