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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Conduite sous l’influence de stupéfiants

Par / 19 décembre 2002

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

L’insécurité routière est un véritable fléau national, nous le savons tous et nous voulons trouver les moyens pour lutter contre ce désastre qui fait environ 8000 morts chaque année sur nos routes. Nous en avons eu encore un exemple ce week-end : un policier, qui aidait un automobiliste sur le bord de l’autoroute près de Choisy-le-Roi, a été fauché par un autre qui conduisait en état d’ivresse.

Ceci est absolument insupportable. Et nous considérons que toute conduite sous l’effet de substances altérant les capacités nécessaires à la conduite, quelles qu’elles soient, doit être sanctionnée.

C’est pourquoi, le fait en soi de vouloir s’attaquer aux drogues au volant est louable. Personne ne le conteste.
Toutefois, votre texte pose quelques problèmes, et ceci pour de nombreuses raisons.

D’abord, le texte vise la conduite sous l’influence de « substances ou de plantes classées comme stupéfiants » ; il semble pourtant viser principalement le cannabis.

Certains experts sont sceptiques quant au lien de causalité entre consommation de cannabis et insécurité routière.
Certes, d’autres sont plus affirmatifs. Mais à quel niveau de consommation ?

En n’énumérant pas chaque substance, le texte amène à penser que seul le cannabis est particulièrement visé, et au travers de cela, les jeunes, principaux consommateurs de ce stupéfiant.

Ensuite, l’évaluation pose également un problème. Si aujourd’hui il est possible d’évaluer précisément les risques d’accident après quelques verres d’alcool, qui est quand même responsable de 2500 sur les 8000 morts dus à des accidents de la route, il n’est pas possible d’effectuer cette mesure concernant le cannabis quant à la dose prise et le danger qui en résulte pour le conducteur.

Or, une étude est en cours actuellement. En effet, une enquête épidémiologique a été lancée en 2001, suite à la loi Gayssot, et dont nous attendons les résultats pour 2004.

Il apparaît alors prématuré de légiférer aujourd’hui sur la question, sans données scientifiques fiables permettant de connaître précisément l’incidence de l’absorption de stupéfiants sur le comportement des conducteurs.

D’autant que des contrôles systématiques sont déjà prévus en cas d’accidents mortels de la circulation. La proposition de loi étend ce dépistage systématique aux accidents corporels.

Mais nous sommes dans l’incapacité de dire, pour l’instant, combien de temps le cannabis, ou tout autre stupéfiant, laisse des traces dans l’organisme.
Ainsi, un automobiliste ayant consommé une substance illicite quelques jours, voire quelques semaines avant d’avoir un accident de la route pourrait tomber sous le coup de cette loi, alors que ce stupéfiant n’aurait plus d’effets sur sa réactivité et ne serait donc pas forcément à l’origine de l’accident.

Pourquoi ne pas attendre des tests plus fiables ?

Par ailleurs, si vous envisagez des dépistages systématiques en cas d’accidents corporels, ou selon une simple raison plausible de soupçonner que l’automobiliste a fait usage de stupéfiants, vous allez rendre la tâche des policiers et des gendarmes bien difficile.

En effet, il faudra prévoir des moyens humains et financiers pour conduire les automobilistes à un laboratoire médical ou à un hôpital pour réaliser des analyses d’urine et de sang, dépistage qui, entre parenthèse, coûte aux alentours de 300 €, ce qui soulève également des critiques quant au coût global de ce dépistage. Près de 130 000 accidents sont comptabilisés en France pour l’année 2001, ce qui revient à un coût total de presque 40 millions d’euros. Cette dépense aurait été tout aussi utile à engager dans la lutte contre la toxicomanie, dont vous avez voté une réduction du budget de 12 % pour 2003. C’est un bien étrange calcul !

Ajoutons que la consommation de stupéfiants est déjà punie aujourd’hui d’un an d’emprisonnement et de 3750 € d’amende (article L. 3421-1 du code de santé publique).

Sauf à constater que ce texte légalise l’usage su cannabis, il faudrait prévoir la coordination de ces peines !

Mais plus sérieusement, cette loi risque d’autant plus d’être inappliquée que les contrôles concernant l’alcoolémie et la vitesse, qui demeurent les principaux facteurs d’accidents mortels sur la route, demeurent largement insuffisants alors qu’ils sont simples à mettre en œuvre !

Qu’en sera-t-il alors pour ces dépistages de stupéfiants, nettement plus compliqués à effectuer ?
Ce texte ne répond absolument pas à cette question. D’ailleurs, il renvoie l’application à un décret en Conseil d’Etat. Il ne répond pas non plus à celle posée par la conduite sous tranquillisants et autres médicaments altérant la vigilance au volant.

Pourtant, vous savez bien que les Français en sont parmi les plus grands consommateurs en Europe. Ces médicaments provoquent somnolence, troubles de la vigilance ou encore de brutales pertes de conscience. Moins volontiers incriminés que l’alcool ou la drogue, les médicaments portent pourtant une grande responsabilité dans les drames quotidiens de la route.

Les services de la Prévention routière estiment aujourd’hui que 10 à 12 % des accidents mortels sont causés, plus ou moins directement, par l’absorption de médicaments incompatibles avec la conduite automobile.

C’est un réel enjeu de la lutte contre l’insécurité routière, mais qui malheureusement n’est pas visé par le texte.
Le texte qui nous est présenté est donc particulièrement sélectif et hâtif, et nous pourrions faire remarquer qu’il serait plus efficace de prendre les mesures nécessaire pour faire respecter « l’existant », ce que semble dire Monsieur de Robien concernant la réduction du taux d’alcoolémie autorisé.

Cela s’applique pour la vitesse et l’alcool, ces deux derniers étant largement soutenus et protégés par quelques puissants lobbies.

Je pense plus particulièrement aux producteurs d’alcool, et je ne peux m’empêcher de penser aux largesses qui leur sont attribuées au sein même de notre haute assemblée.

Il y a à peine une semaine, le Parlement a rétabli partiellement l’exonération des taxes sur l’alcool produit par les bouilleurs de cru, le Sénat souhaitant même une détaxation totale !

Vous donnez d’un côté pour mieux sanctionner, de manière hâtive et non réfléchie, de l’autre. Vous faites la promotion de l’alcool, et vous ne voulez pas en voir les effets désastreux en matière de santé publique tout d’abord, et en matière de sécurité routière ensuite.

Si vous souhaitez vraiment lutter contre les accidents de la route, multipliez donc les contrôles d’alcoolémie !

Mais j’en reviens au texte stricto sensu. Il pêche enfin sur deux points, et peut-être les plus graves.

D’une part, il ne prévoit aucun seuil permettant de définir l’infraction de conduite automobile sous l’emprise de stupéfiants.

Or, en matière d’alcool, ce seuil existe : il est de 0,5 gramme d’alcool par litre de sang. Entre parenthèse, on voit ici les limites de votre « tolérance zéro », puisque vous acceptez que des personnes prennent le volant après avoir bu de l’alcool. Dois-je vous rappeler que l’alcool cause 2500 morts sur les 8000 comptabilisés sur la route ? Lutter contre l’insécurité routière, c’est d’abord se positionner pour 0 gramme d’alcool dans le sang.
Il est par conséquent indispensable d’établir un seuil de présence de stupéfiant dans le sang afin de pouvoir caractériser l’infraction.

D’autant plus que la dose seuil, à partir de laquelle le cannabis produits des effets incompatibles avec la conduite, est pour l’instant difficile à déterminer. Le doute n’est pas sur la présence de stupéfiant, mais sur le risque lié au stupéfiant. C’est pourquoi il était vraiment nécessaire d’attendre les résultats de l’étude lancée en 2001.

D’autre part, le texte prévoit de sanctionner la conduite automobile sous l’influence de stupéfiants. Mais quels stupéfiants sont-ils particulièrement visés par ce texte ? Nous ne le savons pas. Nous voudrions connaître précisément les produits visés par cette proposition de loi. C’est un minimum tout de même !

D’autant plus qu’il faut prévoir un taux minimal de présence dans l’organisme qui sera différent pour chaque produit. Vous devez vous rendre compte que c’est un travail qui demande du temps, et non pas une législation votée hâtivement. Il est donc nécessaire de pointer les différents stupéfiants concernés par votre texte, afin de fixer un seuil de présence dans l’organisme, permettant d’en établir la dangerosité.

Nous sommes d’accord pour que l’on effectue des dépistages de stupéfiants, afin de lutter contre les comportements incompatibles avec la conduite d’un véhicule.

Tout ce que nous voulons, c’est que ces dépistages interviennent dans des conditions techniques, scientifiques et juridiques satisfaisantes.

J’ajoute que le Gouvernement a rendu public hier un projet de renforcement des contrôles et des sanctions en matière de sécurité routière.
Il prévoit notamment l’inclusion des stupéfiants comme circonstances aggravantes au même titre que l’alcool.

Bien entendu, l’application des mesures envisagées par le Gouvernement appellent une législation et une réglementation appropriées.

Donc, quel est le sens de cette proposition de loi partielle et hâtive et en l’état largement inapplicable ?

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons voter ce texte et que nous nous abstiendrons.

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