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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Décentralisation en Outre-mer

Par / 29 octobre 2002

par Paul Vergès

Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’histoire récente des départements d’outre-mer se caractérise par un double mouvement qui affirme l’appartenance à la République en même temps qu’il souligne les particularités des départements d’outre-mer, sinon les différences entre ceux-ci et la métropole.

La loi de 1946, vecteur d’égalité, fut l’un des éléments clés de l’enracinement de la Réunion dans la République. S’est exprimée, parallèlement, la demande grandissante de responsabilité, de respect des identités locales, de prise en compte des spécificités, qu’elles soient économiques, sociales, culturelles ou géographiques.
La Constitution de 1958, par la combinaison de ses articles 72 et 73, tente de conjuguer cette double aspiration.
Il s’agit, d’une part, pour les départements d’outre-mer, du principe de l’assimilation législative, et, d’autre part, de la possibilité accordée au législateur de prendre des mesures d’adaptation rendues nécessaires par leur situation particulière.

Les articles consacrés à l’outre-mer dans le projet de réforme constitutionnelle qui nous est soumis s’inscrivent dans la continuité de cette histoire. La réécriture des articles 72 et 73 n’opère pas de révolution, tout au plus autorise-t-elle des évolutions, dans le cadre de la République.
La nouvelle rédaction proposée pour l’article 73 est sans ambiguïté : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit, sous réserve d’adaptations tenant à leurs caractéristiques et contraintes particulières. » Il n’y a donc pas de rupture avec la Constitution de 1958, et c’est bien le régime de l’assimilation législative qui continuera à s’appliquer.

La nouveauté tient, d’une part, à la formulation, inspirée de l’article 299-2 du traité d’Amsterdam et n’autorisant plus seulement les adaptations rendues nécessaires par la situation particulière des départements d’outre-mer, mais donnant une dimension dynamique à ces adaptations, qui doivent prendre en compte les caractéristiques et les contraintes particulières de ces départements. Nous touchons là à une question cruciale. La nouvelle rédaction de l’article 73 renforce l’argumentation en faveur de la consolidation de l’article 299-2 du traité d’Amsterdam pour son maintien au plus haut niveau dans l’ordre juridique communautaire. Préconiser l’application stricte du droit commun national dans un texte constitutionnel alors que les sept régions ultrapériphériques françaises, espagnoles et portugaises développent des arguments contraires auprès des instances européennes, c’est affaiblir les chances du maintien des dispositions de l’article 299-2, fruit de dizaines d’années de lutte des départements d’outre-mer. Quels arguments développera le mémorandum des trois Etats concernés et de leurs sept régions ultrapériphériques au cas où serait entendu par le Sénat l’appel à l’interdiction de toutes initiatives des assemblées locales réunionnaises ?

C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement de ma collègue Mme Lucette Michaux-Chevry aux termes duquel « la République reconnaît les spécificités des régions ultrapériphériques françaises telles que définies par les dispositions de l’article 299-2 du traité signé le 2 octobre 1997 ».
D’autre part, dans l’esprit du mouvement général de décentralisation voulu pour l’ensemble de la République, le texte permet aux départements et régions d’outre-mer, s’ils y ont été habilités par le législateur, de fixer eux-mêmes les adaptations sur leur territoire, y compris dans certaines matières qui relèvent du domaine de la loi.

Depuis un demi-siècle, le monde a profondément changé et il est appelé à connaître à court et à moyen terme des bouleversements qui changeront le visage du pays et de nos territoires. Il nous faut nous y préparer dès à présent.
La réforme telle qu’elle nous est présentée vise à adapter la Constitution à cette réalité nouvelle.
Comment valoriser le rôle éminent que peuvent jouer les collectivités territoriales, et les régions en particulier, dans la modernisation du pays mais aussi dans le contexte de la mondialisation ? C’est encore plus vrai pour les départements d’outre-mer qui évoluent dans un contexte économique varié et en pleine mutation.

En outre-mer, comment méconnaître encore plus longtemps la valeur ajoutée des initiatives locales dans la recherche de solutions au défi du développement ? En un mot, la Constitution ne doit-elle pas permettre d’agir à l’échelon le plus pertinent pour répondre à la diversité des situations régionales ? Ce principe de subsidiarité est une évidence pour l’outre-mer. Ces transferts de compétence devront s’accompagner de moyens correspondants, mais, s’agissant de l’outre-mer, ils devront également tenir compte du nécessaire rattrapage des retards de nos collectivités à tous les niveaux, notamment en ce qui concerne les équipements publics, et des besoins découlant de la progression démographique jusqu’en 2025.
Vous n’ignorez pas, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le contexte réunionnais marqué par la peur, la « peur de l’abandon », du « largage », comme on dit, parfois sincèrement ressentie, et quelquefois aussi savamment entretenue.

Ce contexte incite à dire les choses sans passion et avec la plus grande clarté. La réforme ne permet pas que la Réunion accède à l’indépendance, pas plus que les autres régions ultrapériphériques. Par l’énumération des départements d’outre-mer dans le texte de la Constitution, l’ancrage de l’île dans la République se trouve, au contraire, consolidé.
Vous me direz, mes chers collègues, que ce débat n’a jamais été ouvert, qu’il s’agit d’un faux débat. Je vous l’accorde volontiers : c’est un faux débat, une vraie perte de temps et une grossière diversion.

En fait, l’innovation, cela a été dit, tient dans la possibilité pour les régions d’outre-mer d’une évolution administrative ou statutaire à l’intérieur de la République. Celle-ci est assortie du respect d’un certain nombre d’obligations, dont celle qui consiste à obtenir le consentement des populations. Leur volonté sera donc respectée, puisqu’elles seront consultées. Peut-on aller plus loin dans l’exercice et le respect de la démocratie ?
Il eût été aberrant que certaines forces de l’inertie et de l’immobilisme réunionnais, exigeant une rédaction du texte qui ferme définitivement la voie à toute possibilité d’évolution à l’intérieur de la République, condamnent les autres entités de l’outre-mer au statu quo, dont elles ne veulent pas.

Je dis à mes compatriotes de la Réunion : il convient de n’insulter personne, ni l’histoire ni l’avenir.
N’insultons pas l’histoire, et souvenons-nous de celles et de ceux qui, contre la société dominante de l’époque, ont oeuvré pour que la Réunion accède au statut de département. Qu’en serait-il aujourd’hui si les tenants du statu quo avaient imposé alors dans la Constitution que jamais la Réunion ne devrait connaître d’évolution et ne pourrait être érigée en département ?
N’insultons pas l’avenir, ayons le sens du temps et hissons-nous au niveau de la mission politique de cette réforme constitutionnelle qui, par essence, nous invite aussi à oeuvrer pour des décennies.
Ceux qui pensent que, malgré les évolutions enregistrées depuis cinquante ans, il ne faut pas changer un seul mot de la Constitution quand il s’agit des départements d’outre-mer font preuve d’un immobilisme étonnant. Une telle attitude révèle un manque de confiance dans la capacité de leurs citoyens à juger et à prendre leurs responsabilités.

Or, souvenons-nous que les départements et les régions d’outre-mer ont été précurseurs dans la mise en oeuvre des lois de décentralisation de 1982 et de 1983 par l’expérimentation, trois ans avant la métropole, de la régionalisation.

Le sens historique doit triompher sur l’opportunité. Et c’est bien ce sens historique qui conduit à proposer pour l’outre-mer des modifications constitutionnelles dans un climat apaisé, et non sous le poids de l’urgence et de drames comme cela fut parfois le cas par le passé.
Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, cette étape nouvelle de la décentralisation constitue un défi pour la République. En outre-mer, il nous appartient de le relever avec confiance en nous-mêmes et dans l’avenir.

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