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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Délits non intentionnels : deuxième lecture

Par / 15 juin 2000

par Nicole Borvo

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très attachée, comme d’autres ici, à l’initiative parlementaire, que je souhaiterais même plus grande. Mais j’avoue que le refus de différer un tant soit peu le vote de cette proposition de loi par notre rapporteur, suivi par la majorité sénatoriale, a de quoi surpendre. L’intervention de M. Haenel me conforte dans ce sentiment, puisqu’il n’y a pas, selon lui, et je suis d’accord, ceux qui se préoccupent des victimes et ceux qui ne s’en préoccupent pas.

Nous avons tous pu prendre connaissance des inquiétudes exprimées sur les conséquences de l’adoption de cette proposition de loi par les très nombreuses associations de victimes - l’Association française des hémophiles, l’Association française des transfusés, l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’Association des victimes de l’hormone de croissance, la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs - rejointes, depuis hier, par la CGC, la CFDT et la CGT. Toutes sont unanimes pour dénoncer les risques potentiels que pourrait générer ce texte.

Les sénateurs de mon groupe avaient, pour leur part, dès la première lecture du texte, le 27 janvier 2000, attiré l’attention sur les " répercussions que les dispositions, si elles étaient adoptées, pourraient entraîner sur les droits des victimes, en particulier concernant les maladies professionnelles

". Ils avaient notamment insisté sur le fait que " l’aggravation des conditions de mise en cause en cas de faute indirecte, avec la nécessité d’apporter la preuve qu’il y a eu "violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité", peut altérer leurs droits ". Dénonçant alors la méthode employée par la majorité sénatoriale, notre groupe avait choisi de s’abstenir.

Dans le même sens, le 5 avril dernier, à l’occasion du vote en deuxième lecture du projet de loi relatif à la présomption d’innocence, nous avions dit combien il nous semblait paradoxal, d’un côté, d’afficher la volonté de mieux prendre en compte les droits des victimes, notamment à travers la possibilité, pour les associations de victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, de se constituer partie civile, et, de l’autre côté, de restreindre potentiellement les cas dans lesquels elles pourraient faire usage de cette faculté.

C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen avait été particulièrement satisfait du retrait de l’ordre du jour, par le Gouvernement, de la proposition de loi.

Nous vous savons gré, madame la garde des sceaux, d’avoir ainsi permis aux associations d’exprimer leurs points de vue. A la lecture des amendements que vous déposez aujourd’hui, on sait que cette concertation était nécessaire et profitable. Preuve supplémentaire de l’intérêt de la démarche, quatre grandes organisations syndicales demandent aujourd’hui à être associées au processus.

En décidant la discussion immédiate de la proposition de loi et en préconisant l’adoption pure et simple du texte de l’Assemblée nationale, sans attendre les résultats de cette concertation, vous avez choisi, chers collègues, de faire la sourde oreille aux critiques formulées à l’encontre du texte. Or que veulent les associations ? Sont-elles opposées à toute modification de la législation dans le domaine des délits non intentionnels ? Contestent-elles que les dispositions actuelles génèrent des difficultés réelles pour les décideurs publics ? Non ! Ce qu’elles demandent, c’est qu’une véritable réflexion ait lieu, permettant d’évaluer les répercussions de la nouvelle rédaction sur les accidents collectifs et les accidents du travail. Elles ne réclament, en fin de compte, qu’un peu de temps pour vérifier que le texte répond bien aux finalités voulues et ne comporte pas de risques induits.

Apparemment, c’est trop demander ! Ce passage en force, bien éloigné de la légendaire sagesse du Sénat, est tout simplement incompréhensible.

De deux choses l’une : soit le texte ne comporte aucun des effets pervers évoqués, et il convient de se donner le temps d’en faire la démonstration, ne serait-ce que dans un effort de pédagogie ; nulle part, en tout cas, dans le rapport de la commission des lois, je ne vois de réponse à ces inquiétudes exprimées par les victimes. On n’y trouve d’ailleurs qu’une seule fois le terme de " victimes " !

Soit le texte change effectivement les données, et il convient alors de les évaluer, à moins que ce ne soit justement cette éventualité qui pose problème !

Je ne peux pas vous laisser, pour justifier une pseudo-urgence, vous retrancher derrière le sondage de l’AMF, selon lequel 48 % des maires ne souhaitent pas se représenter lors des prochaines élections municipales en 2001 !

M. Miche Charasse. C’était 40 % la dernière fois !

Mme Nicole Borvo. Nous sommes tous ici, je dis bien tous, préoccupés par les difficultés que rencontrent les élus locaux dans l’exercice de leur mandat, soit que nous les rencontrions personnellement, soit qu’elles nous conduisent à nous interroger sur le fonctionnement de la démocratie locale.

On ne peut laisser croire - mais je reconnais volontiers que vous ne le faites pas - que la proposition de loi relative aux délits non intentionnels est un remède miracle au malaise des élus qui résoudra tous les problèmes et ranimera les vocations. Mise en place d’une aide à la décision, formation des élus, conseil de légalité plutôt que contrôle de légalité sont autant de pistes qu’il faudrait approfondir pour améliorer la sécurité juridique.

De même, la question du statut de l’élu, on le sait, ne pourra éternellement être mise en attente ; je n’y reviens pas, d’autres que moi ont su exprimer les nécessités en ce domaine. J’ai en mémoire l’intervention de M. Pierre Mauroy en première lecture ; les travaux de la commission qu’il anime s’annoncent d’ores et déjà intéressants de ce point de vue.

Néanmoins, la mise en cause pénale d’élus locaux pour des faits involontaires revêt une dimension emblématique, symptôme d’une dérive qui tend à faire des maires les boucs émissaires d’une société qui fonctionne mal. C’est ce à quoi s’attaque la proposition de loi.

Constitue-t-elle, cependant, une réponse adéquate ?

Tout d’abord, je serais plutôt encline à penser que ce sont les mises en examen qui posent problème, plus que les condamnations elles-mêmes, lesquelles restent résiduelles ; vous l’avez rappelé fort justement, madame la garde des sceaux, en première lecture et aujourd’hui encore.

Sur ce point, le projet de loi relatif au renforcement de la présomption d’innocence apporte des garanties supplémentaires ; je pense notamment au statut du témoin assisté, mais aussi aux procédures de mise en examen.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont sensibles à toute initiative tendant à réagir à une pénalisation à outrance de la société française, aux dérives " à l’américaine ". Néanmoins, il existe deux façons de procéder.

La première, que je qualifierai de
" positive ", consiste à proposer des alternatives crédibles au pénal, en réhabilitant les voies civile et administrative.

La seconde consiste à restreindre le champ d’application du juge pénal ; c’est l’option retenue avec cette proposition de loi.

Pour notre part, nous sommes plus enclins à soutenir la première démarche, qui prend mieux en compte la réalité du problème. Car n’oublions pas que " l’attirance " du pénal résulte avant tout, cela a été dit, de considérations pratiques. Gratuité, rapidité, accès aux éléments de preuve sont autant de points décisifs, caractéristiques de la voie pénale, qu’il conviendrait de contrebalancer par une réforme de la procédure civile avant de penser en terme de " soustraction " au pénal.

La réforme du référé administratif, qui devrait être définitivement adoptée avant la fin de la session, va dans le bon sens, car elle permettra d’améliorer considérablement le fonctionnement de la juridiction administrative, notamment en termes de temps.

Enfin, nous avions souhaité mettre en garde contre la tentation de créer un régime d’exception pour les élus, ce qui serait contraire au principe d’égalité devant la loi. Or le problème de la proposition de loi est d’avoir, certes, élaboré un texte de portée générale, mais en abordant le problème essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, sous l’angle de décideurs publics, particulièrement des élus.

Il aurait fallu, au contraire, tenter d’en évaluer les effets dans tous les domaines. N’oublions pas que le maintien dans notre droit pénal du délit non intentionnel est motivé par le souci de responsabilisation des acteurs et de maintien d’une grande vigilance dans les domaines à risque. Je sais que certains souhaiteraient ne conserver que les délits intentionnels, mais une telle réforme ne peut se faire sans une réflexion d’ensemble sur les procédures administratives et judiciaires.

D’autres que moi ont émis des réserves quant aux conséquences que pourrait avoir l’adoption du texte. Je pense notamment à l’intervention en première lecture de
M. Jolibois, qui avait souhaité pointer le risque de " voir diminuer l’effort de prudence dont on attendrait plutôt un renforcement dans notre société ". La décision récente du tribunal administratif de Marseille condamnant pour faute inexcusable l’Etat à réparer le préjudice d’une victime de l’amiante confirme cette approche.

Dans le même sens, les organisations syndicales attirent notre attention sur les efforts de prévention menés dans le domaine des risques professionnels et pouvant être remis en cause si le texte était adopté en l’état.

C’est pourquoi il nous semble nécessaire que la réflexion se poursuive, d’autant que la navette parlementaire a permis, nous n’hésitons pas à le dire, une amélioration sensible du texte ; vous en convenez
vous-même, vous qui avez accepté les modifications proposées par l’Assemblée nationale, monsieur le rapporteur.

Ainsi en est-il de l’abandon d’une extension de la responsabilité pénale des personnes morales ; nous avions été plusieurs à émettre des réticences quant aux risques d’un affaiblissement du sens de la responsabilité personnelle.

Ainsi en est-il également de la référence à l’auteur indirect ou médiat, avec la reprise, sur ce point, d’une définition donnée par le Conseil d’Etat dans son rapport de 1995 sur la responsabilité pénale des agents publics, plutôt qu’à la cause indirecte, qui paraissait malaisée à définir.

Enfin, l’ajout de la faute inexcusable - définie comme " faute d’une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger que son auteur ne pouvait ignorer " - en tant que cause de nature à engager la responsabilité pénale des auteurs indirects d’un dommage, permet de sanctionner les inobservations aux règles de sécurité et de prudence particulièrement graves, mais pas forcément " délibérées ".

Nous regrettons néanmoins que l’Assemblée nationale ait souhaité rétablir la référence à une obligation de sécurité prévue par " la loi ou le règlement ", qu’on peut juger par trop restrictive ; je pense, par exemple, à certaines règles de sécurité contenues dans les contrats de travail.

Aujourd’hui, tels qu’ils ressortent des discussions avec les associations, les amendements déposés par le Gouvernement constituent de réelles avancées permettant notamment, grâce à la précision des termes, de désarmorcer certains risques.

Je pense d’abord au remplacement par les termes de " situation qui a permis la réalisation du dommage " des termes de " situation qui en est à l’origine ", qui permet d’englober la pluralité des causes, en particulier les cas des personnes qui, sans être directement à l’origine du dommage, ont contribué à le réaliser, en laissant par exemple perdurer une situation de risque.

La rédaction " positive " de l’article, avec la suppression de l’adverbe " toutefois ", affiche bien la volonté de ne pas amoindrir la répression des personnes responsables en ne hiérarchisant pas les causes, qu’elles soient directes ou indirectes.

L’amendement déposé à l’article 1er bis constitue un garde-fou indispensable à l’indemnisation des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles en évitant que les termes utilisés en matière pénale ne rejaillissent sur la terminologie civile. Il donne toute sa portée à la volonté de mettre fin à l’identité des fautes civile et pénale.

Enfin, la nouvelle rédaction proposée par l’amendement n° 2 pour l’article 1er, qui met l’exigence d’une gravité particulière non plus sur la faute, mais sur le risque, constitue une piste tout à fait intéressante dont il convient de discuter et non de la rejeter purement et simplement, comme l’a fait la commission des lois ce matin.

Tous ces amendements sont déterminants pour les droits des victimes et ne dénaturent en rien l’objectif que nous avons avec la proposition de loi. Ils permettront que la discussion se poursuive. Si vos arguments sont aussi imparables que vous l’affirmez, vous aurez le temps de les développer et de nous en convaincre.

En effet, à vouloir coûte que coûte faire adopter ce texte, vous risquez d’obtenir l’effet inverse de celui qui est recherché, et donc d’exacerber les tensions et, finalement, d’opposer durablement intérêts des élus et intérêts des victimes. Ce serait un comble ! De là à reparler
d’auto-amnistie... Le pas a déjà été franchi, vous le savez, même si ce n’est pas nous qui le disons.

Ainsi, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous demandent-ils solennellemnet de vous donner le temps de la réflexion, d’autant que vous venez, madame la garde des sceaux, de prendre l’engagement que le texte serait définitivement adopté avant la fin de l’année si la navette parlementaire se poursuit. Nous avons, quant à nous, déposé une motion de renvoi en commission en ce sens pour que la voix de la raison prenne enfin le dessus et permette une discussion apaisée.

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