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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Immigration et intégration : exception d’irrecevabilité

Par / 7 juin 2006

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Les raisons de fond de notre opposition à votre projet ont été exposées par ma collègue. En défendant son irrecevabilité, nous voulons faire appel à la responsabilité des parlementaires à l’égard de nos concitoyens et des principes fondamentaux qui fondent la République.
Il est de notre devoir de nous interroger sur la légitimité de ce que nous faisons.

Votre projet a suscité l’opposition grandissante d’associations et organisations démocratiques, des évêques et organisations chrétiennes. Des citoyens et organisations ont symboliquement saisi le Conseil Constitutionnel de son caractère attentatoire aux libertés et droits fondamentaux garantis par notre Constitution.
Vous leur opposez la compréhension d’une majorité de la population - sondages à l’appui. Méfiez-vous des apparences ! Vous avez utilisé les mêmes arguments pour défendre le CPE, opposant les étudiants bien nés aux jeunes défavorisés.... pourtant...

Mais surtout, vos motivations sont trompeuses, donc elles trompent nos concitoyens. Vous entendez, encore une fois, dévoyer le mécontentement né de votre politique libérale débridée par la division du peuple et tout le cortège des peurs et des slogans : stigmatisation des étrangers, des jeunes, des pauvres...

L’hebdomadaire « People », bien connu avec sa devise « le poids des mots, le choc des photos » a fait des émules : le Ministre de l’Intérieur, avec ses formules à l’emporte-pièce « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », le « nettoyage de la racaille au kärcher » ; et une bonne part des médias audiovisuels - audimat sans doute - qui alimentent le propos. Comme lors des événements de novembre dernier, avec le passage en boucle d’images de violence et de propos martiaux, donnant à croire que notre pays était à feu et à sang, du fait de jeunes de banlieues, dont nul n’ignore qu’ils sont bien entendu plus ou moins immigrés !
Des gens sérieux ont expliqué que les émeutes, graves, avaient des causes profondes dans la fracture sociale et territoriale de notre pays, les discriminations, les injustices...
Des études sérieuses montrent que sur une longue période, xénophobie et racisme reculent, mais que la perception des phénomènes migratoires comme des dangers, fait remonter les stéréotypes : immigrés responsables du chômage, de l’insécurité...

C’est exactement ce qui se passe. Vous entretenez ce climat à des fins électorales. Vous jouez avec le feu...
Le législateur, même s’il partage votre point de vue, doit s’interroger sur l’utilité des textes qu’il élabore et respecter les principes fondamentaux qui régissent notre « vivre ensemble », les libertés et droits à valeur constitutionnelle valables pour tous sur notre territoire. Quand certains législateurs s’en sont éloignés, ils avaient déjà renié la République.

L’utilité de ce texte -Messieurs de la majorité- est difficilement recevable de votre propre point de vue ! Nombre d’entre vous n’ont qu’évaluation, étude d’impact à la bouche.
Le gouvernement justifie ce texte -deuxième en deux ans- ainsi : « l’immigration demeure aujourd’hui sans rapport avec les capacités d’accueil de la France et ses besoins économiques. »

Mais pour qui et pourquoi ? Le nombre d’étrangers vivant sur notre territoire est relativement stable. Vous-mêmes vous félicitez de la stabilisation des flux migratoires réguliers. Les étrangers en situation irrégulière sont 200 à 400 000. Beaucoup travaillent et ils sont en situation irrégulière de par les lois Pasqua-Sarkozy ou la large impunité des patrons qui préfèrent des étrangers précaires, moins chers, à des détenteurs de titre de séjour en bonne et due forme.

Les familles : des immigrés « subis » selon votre langage ? Par an, 25 000 personnes sont admises au séjour au titre du regroupement familial, chiffre stable depuis 7 à 8 ans, loin du niveau des années 70 et pour cause ! Et, contrairement à certains fantasmes, ce ne sont pas des familles nombreuses : 1,64 en moyenne !
Les abus ? Vous êtes en pleine contradiction puisque vous vous prévalez des bons résultats des lois déjà votées et de leur application zélée par circulaire, notamment celle de février 2006.

L’admission automatique au séjour après 10 ans que vous taxez de prime à la clandestinité concerne environ 4 000 personnes.
Les mariages de complaisance ? Combien par an exactement ?
Encore une fois, le gouvernement nous demande de légiférer sans évaluation contradictoire de la législation existante, sans étude d’impact sur une future loi, tant, comme l’a dit ma collègue, au plan de la « fabrication » de clandestins, de la précarisation des familles, que des échanges avec les pays d’émigration, de l’image de notre pays vis-à-vis de ceux qui veulent faire des études...

Politiquement, cette nouvelle loi n’est pas recevable. Elle ne l’est pas plus au vu des principes de notre République.
La notion de quotas faisait grincer des dents, y compris dans la majorité. Elle est en outre totalement inopérante pour maîtriser l’immigration. Qu’à cela ne tienne, on parle d’immigration « choisie », soit pour répondre à des besoins conjoncturels (courts), soit pour attirer des personnes très qualifiées (un peu plus longs), dont on peut se débarrasser facilement.

Les enfants, petits-enfants, arrières-petits-enfants des ouvriers polonais, italiens, portugais, espagnols, algériens, tunisiens, sénégalais, maliens, devraient avoir honte d’un tel projet : leurs ascendants venus en France pour travailler et qui ont exercé à la mine, dans le bâtiment, à la chaîne automobile, à l’armée pour la France, auraient-ils eu une carte « compétences et talents » ?
Non, les migrants ne sont pas une marchandise, une variable d’ajustement, mais des hommes, des femmes qui ont des droits fondamentaux, des hommes et des femmes venant de pays pauvres, vis-à-vis desquels les pays occidentaux et notamment le nôtre -vieux pays colonisateur- ont des dettes, dans un monde où l’écart se creuse entre les riches et les pauvres et où la mise en œuvre d’une véritable solidarité internationale est impérative.
Il est inconvenant qu’il n’y ait rien de significatif sur le développement dans ce texte.

J’ajoute que, comme le souligne la CNCDH, la Convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille « permettrait de formaliser le cadre nécessaire à cette coopération nord-sud ». Mais la France ne l’a toujours pas ratifiée !
La vieille Europe, forteresse assiégée qui ne verrait des pays pauvres, que son intérêt égoïste, n’a pas d’avenir.
Notre pays tire les pires conclusions du « Livre vert » européen de 2005 en réduisant les migrants à leur seule force de travail.
Du point de vue du respect des droits et libertés à valeur constitutionnelle, plusieurs points du texte sont irrecevables.

Le titre II, en durcissant le droit au regroupement familial et en faisant un véritable parcours du combattant, met en cause le droit à mener une vie familiale normale et réunit tous les éléments d’une précarisation des familles étrangères.
La loi du 26 novembre 2003 avait déjà restreint ce droit, en supprimant l’accès direct à la carte de résident ou en décidant de nouveaux critères d’appréciation des ressources.
Ici, le délai de dépôt d’une demande de regroupement familial est étendu à 18 mois. C’est d’autant plus injustifié que l’instruction des demandes est très longue.
Comme est injustifiée l’exclusion du calcul des ressources du demandeur de toujours plus de prestations familiales, ou encore la modulation par décret du niveau des ressources selon la composition de la famille.

Enfin, une nouvelle restriction est apportée par la condition d’intégration. Le regroupement familial peut être refusé si « le demandeur ne se conforme pas aux principes qui régissent la République française ». Cette condition et son imprécision donnent au Préfet un pouvoir d’appréciation arbitraire.
Quand le Conseil Constitutionnel a été saisi de la deuxième loi Pasqua sur l’immigration en 1993, il a réaffirmé l’obligation pour le législateur de respecter les droits fondamentaux des étrangers.

Je cite un extrait de sa décision : « Considérant toutefois que si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ;
que s’ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ;
qu’en outre les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ; qu’ils doivent bénéficier de l’exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés ».
Ces dispositions contreviennent au dixième alinéa du Préambule de 1946, qui prévoit que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
En effet, le Conseil considère « qu’il résulte de cette disposition que les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ;
que ce droit comporte en particulier la faculté pour ces étrangers de faire venir auprès d’eux leurs conjoints et leurs enfants mineurs sous réserve de restrictions tenant à la sauvegarde de l’ordre public et à la protection de la santé publique lesquelles revêtent le caractère d’objectifs de valeur constitutionnelle ;
qu’il incombe au législateur tout en assurant la conciliation de telles exigences, de respecter ce droit ».
Le droit à mener une vie familiale normale a aussi été reconnu par le Conseil d’Etat, dans son arrêt « Gisti » du 8 décembre 1978 : est « principe général du droit » le droit, pour les étrangers comme pour les nationaux, de mener une vie familiale normale.

Le projet de loi remet également en cause le droit au mariage, lui-même composante du droit à mener une vie familiale normale.
Les conditions draconiennes exigées des futurs conjoints de Français font peser la suspicion sur les mariages mixtes.
Mais n’est-ce pas dans cet esprit que le gouvernement a présenté devant l’Assemblée Nationale un projet de loi relatif à la validité des mariages ?

Pour obtenir un titre de séjour provisoire d’un an, les étrangers conjoints de Français devront retourner dans leur pays d’origine pour s’y faire délivrer un visa long séjour. Inutile de dire que beaucoup d’entre y resteront bloqués, dépendants de la décision des consulats.
Car, à part le récépissé indiquant la date du dépôt de la demande, le texte ne prévoit aucune disposition en cas de non-respect de cette règle formelle.

De toute façon, le conjoint de Français pourra toujours se voir refuser le visa long séjour en cas de fraude, d’annulation du mariage ou de menace à l’ordre public. On sait que d’ores et déjà les consulats n’hésitent pas à invoquer la fraude.
Le parcours du conjoint étranger restera semé d’embûches et la vie de couple entre un étranger et un français difficile à mener. Ainsi, même les Français conjoints ou futurs conjoints, sont visés.
Enfin, s’agissant des couples mixtes, le droit à la délivrance d’une carte de résident est également remis en cause.

Actuellement, l’article L. 314-11 donne au conjoint étranger accès de plein droit à la carte de résident, sous réserve d’un séjour régulier et d’un mariage d’au moins 2 ans. Il lui faudra désormais 3 ans de mariage.
Il est d’autres dispositions qui rendent toujours plus suspects les mariages mixtes, comme le retrait de la carte de résident en cas de rupture dans les quatre ans de la célébration du mariage.

La rupture de la vie commune deviendrait-elle obligatoirement une présomption de fraude ?
Ainsi, les étrangers, pour espérer obtenir et conserver leur titre de séjour, devront être bien intégrés, fidèles à leur conjoint, bien vus par le Maire et leur patron, avoir un bon salaire, un grand logement dans un bon quartier.
Ce texte ne respecte ni la Constitution, ni la Convention européenne des droits de l’Homme, dont l’article 8 reconnaît le droit au respect de la vie privée et familiale et l’article 12 le droit au mariage.
Je n’oublie pas les enfants, qui peuvent se voir privés de leur mère ou de leur père, et se retrouver dans des situations dramatiques, alors que l’intérêt supérieur de l’enfant est reconnu par la Convention internationale des droits de l’enfant.

Ce texte porte aussi de nouvelles atteintes au droit d’asile. Comme l’a dit ma collègue, le gouvernement se livre une nouvelle fois à l’amalgame entre l’immigration et le droit d’asile, droit inaliénable.
Je rappelle que le quatrième alinéa du Préambule de 1946 reconnaît à « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté [le] droit d’asile sur les territoires de la République » ?

Ce texte bafoue un peu plus ce droit, en maintenant la liste française des pays d’origine sûrs et en restreignant l’allocation temporaire d’attente pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Il suffit d’évoquer les engagements internationaux de notre pays.
Les textes que j’ai cités forment le noyau dur de la protection des droits fondamentaux. Avec ce projet de loi, la France ne s’honore pas, car elle ne respecte pas ces textes.

Je terminerai en rappelant que trois syndicats de magistrats administratifs seront en grève, jeudi 7 juin, contre la nouvelle remise en cause du fonctionnement collégial des tribunaux administratifs issue du futur dispositif de traitement du contentieux du séjour et de l’éloignement des étrangers. Allez-vous les entendre ?
Pour au moins ces raisons, ce texte est irrecevable.

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