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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Immigration, intégration et asile : exception d’irrecevabilité

Par / 2 octobre 2007

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne manque jamais de faire remarquer cette bizarrerie de notre règlement qui veut que les motions soient discutées après la clôture de la discussion générale après la réponse du ministre, contrairement à ce qui a cours à l’Assemblée nationale. Sur ce point, il faudrait songer à revoir le règlement.

Aujourd’hui, profitant de cette bizarrerie, je me permettrai de vous dire, monsieur le ministre, que, lorsque vous évoquez l’échec de l’intégration,...

M. Brice Hortefeux, ministre. L’échec global !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.... vous niez les conclusions d’un certain nombre de rapports très sérieux que je pourrais vous faire parvenir. Ils relèvent que l’intégration des immigrés récents n’est justement pas si médiocre si l’on prend en compte des critères comme le taux de scolarisation ou le nombre de mariages mixtes.

En revanche, quel échec des politiques économiques, des politiques publiques, de la politique du logement - pénurie, ghettoïsation !.... (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)

Monsieur le ministre, il faut prêter une grande attention aux propos qui sont tenus en matière d’intégration. Toutes les vagues d’immigration, depuis le XIXe siècle, ont toujours provoqué des réactions dans la population. Mais, selon l’attitude qu’adopte la République envers les immigrés et selon les politiques publiques conduites, l’intégration se fait plus ou moins bien. Dans notre pays, les immigrés s’intègrent : ils ne restent pas isolés, ghettoïsés ou communautarisés. Au demeurant, l’intégration est un phénomène qui doit s’étudier sur plusieurs générations.

En 2006, vous avez fait adopter une loi sur l’immigration ; un an après, en voici une autre. Je voudrais d’ailleurs faire observer à mes collègues que leurs demandes répétées d’études d’impact des projets proposés et d’évaluation des textes votés ne sont manifestement pas entendues.

En 2006 et en 2007, pendant la campagne électorale, l’ex-candidat ministre de l’intérieur, aujourd’hui Président de la République, a répété à l’envi qu’il était pour une restriction du regroupement familial « afin que vivre en France soit un projet fondé sur le travail, pas sur le bénéfice des prestations sociales ».

M. Paul Girod. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez oublié, monsieur le ministre, de nous donner publiquement ce que je vous avais demandé en commission, c’est-à-dire des chiffres. Heureusement, nous pouvons les trouver dans le rapport de la commission, mais il aurait été plus honnête de les tenir à la disposition de tous.

Ainsi, on sait que le regroupement familial stricto sensu concerne, depuis 2000, environ 20 000 à 25 000 personnes, 18 000 en 2006, dont 6 000 à 8 000 enfants. Ce chiffre est donc relativement modeste si on le rapporte à une population de près de 65 millions d’habitants.

Les réformes présentées depuis 2003 en matière d’immigration et d’asile sont de plus en plus restrictives au regard de l’immigration légale et du droit d’asile. D’ailleurs, contrairement aux affirmations de M. le ministre, ces deux problématiques ont toujours été liées dans les projets votés par la majorité.

Sous couvert de mettre fin à l’immigration clandestine, ces lois n’ont bien sûr que contribué à la favoriser. Nous sommes donc en plein délire : nous évoquons l’immigration clandestine dans le but de réduire le chiffre de l’immigration légale !

Le reste de l’immigration familiale, qui a effectivement augmenté - le chiffre maximum était de 59 000 personnes en 2003 -, concerne les mariages mixtes. Votre inflation législative repose sur l’idée, distillée à l’envi, que des hordes étrangères sont aux portes de notre pays. Vous manipulez ainsi l’opinion ! Mais, à l’heure de la mondialisation, des échanges, des voyages, pensez-vous vraiment réussir à empêcher les mariages mixtes ? Franchement, cela me paraît douteux !

Vu les chiffres que je viens de citer, vous ne faites aujourd’hui qu’en rajouter sans autre raison qu’un simple effet d’affichage. Mais, ce faisant, vous portez de plus en plus atteinte aux droits fondamentaux de la personne reconnus - ne vous en déplaise ! - par la Constitution, par nos principes à valeur constitutionnelle, par le droit international - Déclaration universelle des droits de l’homme, Convention des droits de l’enfant et Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Vous étiez parvenus jusqu’ici à écarter la question dans les précédentes lois, mais la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme le 26 avril dernier, dans l’arrêt Gebremedhin, vous a obligés à changer quelque peu votre point de vue sur le droit au recours suspensif. Vous le voyez, il faut toujours se méfier ! En affirmant être dans son bon droit, on ne l’est quelquefois plus !

Avant d’aborder le problème soulevé par les dispositions du texte en matière d’asile, je voudrais tout d’abord évoquer celles qui sont relatives à l’immigration.

Plusieurs articles du chapitre 1er, relatif à l’immigration pour des motifs de vie privée et familiale, portent malheureusement atteinte à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, reconnu tant par les principes à valeur constitutionnelle qui nous régissent que par la Convention européenne des droits de l’homme et les conventions internationales.

Le regroupement familial, pourtant déjà fortement encadré par la loi du 24 juillet 2006, fait l’objet, un an plus tard, de nouvelles restrictions.

L’article 1er prévoit que l’étranger voulant rejoindre son conjoint en France ainsi que les enfants de seize à dix-huit ans devront connaître la langue française et les valeurs de la République. Une évaluation devra donc être organisée dans leur pays d’origine ; elle conditionnera leur possibilité de rejoindre leur famille.

Ce dispositif est contestable : il paraît exorbitant des conditions normalement requises pour se marier ou pour mener une vie de famille. Je suis certaine que vous connaissez tous des couples dont l’un des conjoints ne maîtrise pas parfaitement la langue française. Je doute d’ailleurs qu’une telle obligation soit exigée dans d’autres pays. Toute autre est l’obligation d’apprendre la langue une fois dans le pays d’accueil !

Tout cela est en pleine contradiction avec le contrat d’accueil et d’intégration que l’étranger devra obligatoirement signé et qui a précisément pour objectif de lui assurer une formation linguistique et civique. Alors, décidez-vous ! S’il faut connaître la langue et les valeurs de notre pays avant d’y être admis, qu’en est-il du contrat d’intégration que vous avez voté, mes chers collègues ?

De toute façon, cette exigence implique que les étrangers auront la possibilité de suivre une telle formation dans tous les pays et qu’ils auront les moyens de le faire. Tout cela a déjà été amplement souligné, je m’en tiendrai donc au droit.

En fait, les délais de formation prévus - deux mois, auxquels s’ajoutent les mois d’attente de la réponse - rallongeront encore un peu plus la procédure de regroupement familial. Je rappelle que le délai d’attente nécessaire pour demander à bénéficier du regroupement familial a été porté d’un an à dix-huit mois. Combien d’années les étrangers devront-ils attendre avant de pouvoir rejoindre leur conjoint en France ?

Ces contraintes semblent totalement disproportionnées, d’autant qu’une lourde sanction est prévue : le fait de ne pas suivre la formation, que ce soit pour des raisons de coût ou d’éloignement, pourra motiver un refus de visa.

Par ailleurs, dans le but de renforcer un peu plus les restrictions au regroupement familial, l’article 2 augmente le plancher de ressources exigé. Cet article durcit une condition déjà existante puisqu’il module ce plafond en fonction de la taille de la famille. Non seulement l’article 2 instaure une mesure discriminatoire, mais, de surcroît, il ajoute un obstacle supplémentaire dans la procédure de regroupement familial.

Enfin, l’article 4, relatif aux conjoints de Français, durcit, lui aussi, les conditions d’obtention d’un visa de long séjour. Un conjoint de Français sera désormais soumis à une évaluation de ses connaissances de la langue française et des valeurs de la République. Il sera lui aussi soumis à la condition de formation si des insuffisances linguistiques et civiques sont constatées à cette occasion. Gare aux étudiants français qui, en balade à l’étranger - votre gouvernement aimerait pourtant les y voir plus nombreux -, s’aviseraient d’aimer quelqu’un et de vouloir l’épouser ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Le conjoint de Français est ici doublement pénalisé : d’une part, il doit retourner dans son pays d’origine pour obtenir un visa - nous dénoncions déjà cette situation l’année dernière - d’autre part, sa séparation sera allongée du fait de cette formation.

Nous prenons acte de la volonté exprimée par la commission des lois de supprimer l’exigence d’évaluation et de formation linguistique et civique imposée aux conjoints de Français. Nous espérons, bien entendu, que cette suppression sera entérinée par la Haute Assemblée.

Par leur accumulation, les conditions à remplir, tant pour bénéficier d’un regroupement familial que pour vivre en France avec son conjoint français, sont totalement disproportionnées. Elles portent une atteinte manifeste au droit de chacun de mener une vie familiale normale et de se marier avec qui bon lui semble !

Dès 1978, le Conseil d’État reconnaissait, dans son arrêt GISTI du 8 décembre, le droit, pour les étrangers comme pour les nationaux, de mener une vie familiale normale comme un principe général du droit. Il précisait que « ce droit comporte, en particulier, la faculté, pour ces étrangers, de faire venir auprès d’eux leur conjoint et leurs enfants mineurs ».

Le Conseil constitutionnel ensuite, dans sa décision du 13 août 1993, a considéré que, si le législateur pouvait prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartenait de respecter les libertés et les droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.

Dans sa décision du 22 avril 1997, il a rappelé que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ».

Les seules restrictions que peut apporter le législateur à ce droit doivent concerner la protection de l’ordre public et de la santé publique, conformément à la décision de 1993. Encore faut-il que ces restrictions soient proportionnées à l’atteinte au droit de vivre en famille !

En outre, comme le rappelle M. Buffet dans son rapport, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 décembre 2005 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, considère que la procédure de regroupement familial a notamment pour but de vérifier la capacité du demandeur à « offrir des conditions de vie et de logement décentes, qui sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil ».

M. le rapporteur en conclut, et je partage son avis, que, « si l’on peut donc imposer des conditions, le législateur ne peut toutefois exiger des étrangers des conditions de vie et de logement qui excéderaient celles admises comme décentes pour des Français ».

Le SMIC est une obligation légale, mais rien, hélas ! n’oblige l’État à garantir un revenu égal au SMIC ni d’ailleurs à satisfaire le droit au logement, alors que ce principe est pourtant désormais inscrit dans la loi, au grand regret, apparemment, de votre majorité !

Aucune condition de ressources et de logement n’est requise pour se marier et avoir des enfants lorsqu’on est français. La loi actuelle introduit donc une discrimination entre étrangers et Français sur le territoire de notre pays, ce qui est contraire à nos principes fondamentaux à valeur constitutionnelle.

Bref, les articles 1er, 2 et 4 du projet de loi, parce qu’ils portent une atteinte disproportionnée aux droits des bénéficiaires du regroupement familial et des conjoints de Français, ne peuvent qu’être déclarés non conformes à la Constitution.

Ce même raisonnement vaut pour l’indigne article 5 bis relatif aux tests ADN, sur lequel se sont cristallisés les débats. Apparemment, ce n’est pas fini !

En introduisant dans notre législation la possibilité de prouver une filiation par un test ADN, cet article ouvre la voie à une utilisation abusive de la génétique, ce que le Parlement a toujours refusé, notamment lors de l’élaboration des lois de 1994. Les tests génétiques à des fins autres que scientifiques et médicales sont interdits par l’article 16 du code civil, sauf dans les cas graves et sous contrôle judiciaire.

Tout a été dit sur la preuve de la filiation masculine, à laquelle s’opposent les autorités philosophiques, religieuses, morales et scientifiques, ainsi que l’Union africaine aujourd’hui. La commission des lois du Sénat y est également opposée.

Monsieur le ministre, vous vous obstinez...

M. le président. Veuillez conclure, madame Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vais conclure bientôt.

M. le président. Non, maintenant, madame Borvo Cohen-Seat. Vous avez largement dépassé le temps qui vous était imparti !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je termine sur ce point.

Les sénateurs sont en train de chercher des subterfuges pour vous satisfaire, monsieur le ministre, mais je crains que l’amendement tendant à réserver le test ADN aux femmes n’introduise un autre motif d’inconstitutionnalité. Un tel dispositif serait en effet discriminatoire à l’égard des femmes. Autrement dit, il introduirait une inégalité entre les hommes et les femmes, ce dont la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes devrait se préoccuper. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, vous arguez du fait que des pays européens pratiquent des tests ADN. Or peu de pays l’ont inscrit dans la loi et les pratiquent, si ce n’est, il est vrai, la Grande-Bretagne.

M. le président. Vous avez déjà évoqué le texte de façon générale, madame Borvo Cohen-Seat, vous n’allez pas maintenant le reprendre point par point ! Veuillez conclure !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais vous avez oublié, monsieur le ministre, que, conformément à nos principes fondamentaux, notre pays n’autorise ni l’euthanasie, ni les mères porteuses, ni les dons d’ovocytes, contrairement à d’autres pays européens, qui permettent l’une ou l’autre de ces pratiques, parfois les trois. L’éthique dont nous nous prévalons serait-elle donc à géométrie variable ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - Protestations sur les travées de l’UMP.)

Pour ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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