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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Journée pour l’abolition universelle de la peine de mort

Par / 12 février 2002

par Nicole Borvo

Le Sénat est appelé à examiner, en première lecture, dans le cadre de son ordre du jour réservé, à l’initiative du groupe communiste républicain et citoyen, une PPL que j’ai l’honneur de vous présenter pour la Commission des Lois, tendant à créer une journée nationale pour l’abolition universelle de la peine de mort.

Cette PPL est inspirée par la volonté, d’une part, de réaffirmer avec force l’engagement de la France en faveur de l’abolition de la peine capitale, d’autre part, de promouvoir la généralisation de sa mise en œuvre à l’échelle internationale.

Les auteurs de la PPL souhaitent contribuer à faire avancer le mouvement abolitionniste en cette période anniversaire de deux événements symboliques qui ont contribué de manière décisive à ce mouvement : d’une part, le bicentenaire de la naissance de Victor HUGO et, d’autre part, le 20ème anniversaire de l’entrée en vigueur de la loi du 9 octobre 1981 ayant aboli la peine de mort en France.

Au début de ce 21ème siècle, un double constat s’impose :

1) L’abolition de la peine de mort, processus amorcé au 18ème siècle s’est accéléré et concrétisé au 20ème siècle.

Rappelons que Voltaire s’y rallie en 1777 et s’illustre dans les affaires Calas et du Chevalier de la Barre, que la première plaidoirie pour l’abolition fut prononcée en 1791 par Louis le Pelletier de Saint Fargeau, mais que la Constituante maintint la peine capitale.

Rappelons que le 19ème siècle connaît une progression de la mise en cause de ce châtiment en Europe, que le Venezuela fut, en 1863, le premier pays a abolir la peine de mort pour tous les crimes, tandis qu’en France, l’abolition était portée par les grandes voix de Victor Hugo et Lamartine.

Rappelons, en France, la première proposition de loi - à l’initiative de Victor de Tracy - en 1830, le débat à la Chambre des Députés en 1908 où s’illustrent Aristide Briand, auteur de la proposition d’abolition et Jaurès. Par la suite, vinrent huit propositions à l’Assemblée Nationale entre 1958 et 1973 et neuf autres entre 1973 et 1981, dont celle, permettez-moi de le citer, de Charles LEDERMANN au Sénat.

Enfin, le 9 octobre 1981, la loi présentée par Monsieur le Garde des Sceaux, Robert BADINTER, portant l’abolition définitive et générale, sans exception aucune fut promulguée : votée à l’Assemblée Nationale par 369 députés - 113 contre - et par 161 sénateurs contre 126.

Ainsi, la France fut le 35ème pays à s’engager dans cette voie, alors que Robert BADINTER le rappelait, ici même, un sondage de septembre 1981 indiquait que 63% des Français étaient partisans du maintien et 32% de l’abolition. Trois ans plus tard, 49% y était favorable et que récemment, une majorité de Français se rangeait contre tout projet de rétablissement.

L’accélération du processus abolitionniste depuis la moitié du 20ème siècle s’est concrétisée par l’évolution du droit international.

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948 n’abolit pas la peine de mort, mais consacre le droit à la vie.

Rappelons l’évolution ultérieure, le pacte international relatif aux droits civils et politiques conclus le 16 décembre 1966 plus explicite sur le droit à la vie et interdisant la peine capitale pour les mineurs et les femmes enceintes, le protocole annexe de 1989 faisant obstacle au rétablissement - quand la peine de mort est abolie - en cas de guerre.

La Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 interdisant la peine de mort pour les mineurs au moment des faits ratifiée par 192 pays à l’exception notable des Etats-Unis.

Soulignons la contribution essentielle du droit européen sous l’impulsion du Conseil de l’Europe avec le protocole n°6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signé en 1983 qui interdit le recours à la peine de mort en temps de paix et la résolution de 1994 imposant à tous les Etats qui l’ont ratifié, l’obligation d’abolir la peine de mort et les nombreuses résolutions qui l’ont suivi.

Dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, la courbe d’exécutions n’a cessé de se réduire, passant de 18 en 1997 à 1 en 1998.

Trois Etats membres : Russie, Turquie, Arménie, n’ont pas aboli la peine de mort, mais applique un moratoire.

Rappelons que le Conseil de l’Europe a pris des récentes initiatives, notamment le 24 janvier 2002 en incitant les Etats membres à refuser l’extradition de personnes accusées d’actes terroristes si ces derniers encouraient la peine de mort.

Rappelons l’action persévérante d’Amnesty International, l’action d’associations comme celle de d’Ensemble contre la peine de mort, l’Action des Chrétiens contre la torture ainsi que d’autres, et l’initiative remarquable qu’a constitué la tenue les 21, 22 et 23 juin 2001 du 1er Congrès mondial contre la peine de mort à Strasbourg sous l’égide du Parlement européen et du Conseil de l’Europe, dont la Déclaration finale demande l’abolition universelle de la peine de mort et appelle tous les Etats à prendre toutes les initiatives contribuant à l’adoption par les Nations-Unies d’un moratoire mondial des exécutions dans la perspective de l’abolition universelle.

A ce jour, 108 pays membres de l’ONU ont aboli légalement ou de fait la peine de mort, dont 45 depuis 1985 et en moyenne plus trois pays par an s’engagent dans cette voie.

Le mouvement abolitionniste apparaît donc en marche et irréversible.

2) Pourtant, l’abolition universelle reste un objectif difficile à atteindre tant la situation est contrastée à l’échelle internationale et préoccupante.

86 pays ont encore la peine de mort dans leur arsenal pénal et 64 pays pratiquent effectivement des exécutions.

Les statistiques d’Amnesty International - sans doute en-dessous de la réalité - recensaient en 1999, 1813 exécutions dans 31 pays dont 1263 en Chine, et 3857 personnes condamnées dans 64 pays.

Elles font apparaître que l’Arabie Saoudite, la Chine, les Etats-Unis, l’Iran et la République Démocratique du Congo concentrent 85% des exécutions.

Notons que si la peine capitale a reculé ans la quasi-totalité des démocraties, deux des plus importantes font exception, les Etats-Unis et le Japon qui enregistraient respectivement 98 exécutions en 1999 et 101 condamnations, situation choquante dans des sociétés démocratiques régis par l’état de droit.

Rappelons, qu’aux Etats-Unis où la Cour suprême a rétabli la légalité de la peine de mort en 1976, la question de l’abolition fut posée avec acuité avec la publication d’une étude de l’Université de Columbia en 2000 faisant apparaître de graves dysfonctionnements du système judiciaire américain, établissant que 68% des condamnations réexaminées au fond avaient été annulées et je rappelle la contribution de M. Félix ROHATIN, ancien Ambassadeur des Etats-Unis en France à ce débat. Ajoutons que depuis 1976, 95 condamnés à mort ont été innocentés et remis en liberté après avoir passé en moyenne 8 ans et plus dans les couloirs de la mort.

Je veux rappeler aussi la situation emblématique du journaliste noir américain, Mumia Abu Jamal, dans le couloir de la mort depuis 20 ans dont la révision du procès n’a pas été, à ce jour, possible.

Rappelons les graves violations des normes internationales s’agissant de la peine capitale prononcée à l’encontre des mineurs dont les Etats-Unis détiennent le triste record avec 14 mineurs exécutés entre 1990 et 2000 et 74 dans les couloirs de la mort.

La récente période a connu de nombreuses initiatives pour un moratoire universel sur les exécutions, notamment sous l’égide de l’Union européenne avec, sous la présidence française, l’adoption de la Charte des droits fondamentaux le 7 décembre 2000 à Nice portant interdiction de prononcer une condamnation à mort ou une exécution.

De même, en mars 2001, le Président de la République a lancé un appel solennel devant la Commission des droits de l’homme des Nations-Unies en faveur de l’abolition universelle, dont la première étape serait un moratoire général.

Le Conseil de l’Europe a, dans le même esprit, annoncé en juin 2001 qu’il projetait de réétudier le statut d’observateur des Etats-Unis et du Japon si ces deux Etats persistaient dans les exécutions.

Pourtant, l’inscription de la question d’un moratoire universel à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations-Unies n’a pas abouti.

Ainsi, l’abolition universelle de la peine de mort reste un objectif encore loin d’être atteint et nécessite une mobilisation internationale accrue et une vigilance constante pour éviter tout retour en arrière.

C’est dans ce contexte que la PPL qui vous est proposée doit s’avérer utile tant dans sa visée nationale que dans sa portée internationale.

Certes, l’institution d’une Journée Nationale pour l’abolition de la peine de mort constitue une démarche qui doit demeurer exceptionnelle et solennelle en raison de la gravité de la cause à laquelle elle est attachée.

Mais elle s’inscrit dans le prolongement d’un mouvement que le Parlement a déjà utilisé depuis 1996 pour s’engager sur des questions très importantes.

Citons la journée des droits de l’enfant instituée par la loi du 9 avril 1996 dont les effets sont positifs.

Citons la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’hommage aux Justes de France instituée par la loi du 10 juillet 2000.

L’utilisation de la loi - pour des textes plus symboliques que normatifs - tient au fait que le Parlement ne dispose pas d’autres moyens que la loi pour prendre position sur des sujets aussi graves. On peut donc souligner comme vous l’avez tous déjà fait ici même lors des textes que je viens de citer, la nécessité d’une réflexion afin de donner au Parlement les moyens de s’exprimer solennellement autrement que par la loi, par exemple par des résolutions ou des motions.

Ces remarques étant faites, votre Commission des Lois partage la préoccupation des auteurs de la proposition de loi d’œuvrer à l’abolition universelle de la peine de mort et de permettre à la France de renouveler son attachement à ce principe.

Votre Commission des Lois estime que le rappel chaque année de l’anniversaire de l’abolition de la peine de mort s’avère utile. Le chemin vers l’interdiction de la peine de mort fut long et difficile. La loi du 9 octobre 1981 est le fruit d’un processus de maturation auquel il convient de rendre hommage et qui mérite d’être gardé en mémoire. De plus, l’institution d’une journée nationale serait l’occasion de permettre l’expression d’une prise de conscience collective en faveur du mouvement abolitionniste et de rappeler chaque année la légitimité de cette cause.

A l’évidence, l’abolition universelle de la peine capitale est encore loin d’être acquise. Conscient du caractère emblématique d’une telle démarche, le législateur, en adoptant la présente proposition de loi, pourrait apporter une utile contribution pour faire avancer cette idée et lancer un message solennel, officiel et clair à l’intention des Etats qui pratiquent encore la peine capitale, afin de les inviter à faire évoluer leur législation en conformité avec les prescriptions du droit international. La France a un rôle à jouer de ce point de vue au niveau international.

Enfin, l’institution d’une journée nationale en faveur de l’abolition de la peine de mort pourrait permettre, d’une part, de rendre un hommage plus spécifique aux nombreux innocents condamnés chaque année afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli et, d’autre part, de mobiliser les énergies en faveur d’un moratoire universel sur les exécutions. Elle permettrait également de faire circuler des informations souvent confidentielles sur les pratiques de certains pays comme la Chine en matière d’exécutions.

Votre Commission des Lois s’inscrit pleinement à l’esprit de la présente proposition de loi visant à imposer aux établissements d’enseignement l’obligation d’effectuer un travail pédagogique de mémoire et de réflexion durant cette journée nationale. Les passions suscitées par les débats sur la peine de mort et la place de la justice dans les sociétés modernes ne doivent pas empêcher les plus jeunes d’entre nous de réfléchir à des questions déterminantes pour la formation de chaque citoyen. Les établissements d’enseignement pourraient jouer un rôle essentiel, mais non exclusif, pour faire progresser la réflexion sur l’abolition universelle de la peine de mort.

Votre Commission des Lois, à l’unanimité, vous propose d’adopter cette proposition de loi sous réserve de quelques modifications tendant :

- à préciser à l’article premier que l’institution d’une journée nationale, le 9 octobre, correspond à la date anniversaire de l’entrée en vigueur de la loi portant abolition de la peine de mort ;

- à confier à l’autorité compétente en matière de détermination des programmes - le Ministre de l’éducation nationale - plutôt qu’aux établissements d’enseignement, le soin de prévoir les conditions dans lesquelles est effectué un travail pédagogique de réflexion sur ce thème dans les établissements scolaires à l’occasion de cette journée ;

- à ne pas créer d’obligation pour les jeunes publics, mais une faculté ;

- à prévoir l’obligation pour le gouvernement d’informer le Parlement, chaque année, sur les initiatives prises pour faire reculer la peine de mort dans le monde.

Notre Haute assemblée a commémoré le 20ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France avec dignité. Je suis convaincue qu’elle s’honorera en votant cette proposition de loi.

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