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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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L’objectif de ce texte est de créer un supermarché du droit

Modernisation des professions judiciaires et juridiques -

Par / 8 décembre 2010

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la sacro-sainte concurrence, devenue grâce à vous la loi fondamentale de notre République, aura donc raison des fondements philosophiques de notre droit, l’objectif de ce texte étant de créer un supermarché du droit, au détriment du justiciable.

Cette intention de modernisation repose uniquement sur une demande partisane de ceux qui contestent le monopole de l’acte authentique par les notaires, au plus grand détriment des usagers.

Mais, à l’instar de nombreux textes que nous avons eu l’occasion d’examiner sur les travées de cet hémicycle, l’exposé des motifs nous indique que le texte est le résultat d’une concertation menée avec les professions concernées.

Dans ce cas, aurions-nous eu à auditionner et à recueillir les déceptions de notaires ou encore d’huissiers de justice ? Aux antipodes de vos allégations, ils éprouvent de profondes inquiétudes quant à l’avenir de leurs professions.

Certes, vous avez obtenu l’accord du Conseil supérieur du notariat. Sauf qu’en tant qu’établissement public placé sous la tutelle du garde des sceaux, il ne pouvait pas faire autrement que de vous approuver.

En revanche, étrangement, vous n’avez pas obtenu l’accord du syndicat national des notaires, qui se trouve être le plus important de la profession.

Selon la grande majorité des notaires, l’adoption de ce texte « rapprocherait le système juridique français du common law » et « changerait radicalement de type de société pour s’abîmer dans la faillite d’un système opposé à la moindre régulation, dépourvu de la moindre rationalité ». C’est éloquent !

Sur ce point, nous tombons parfaitement d’accord avec eux. Vous constaterez qu’ils ne sont absolument pas d’accord avec vous !

Le terme d’« arrangement » serait plus adéquat que celui de « concertation », car c’est bien de petits arrangements entre amis qu’il s’agit.

Outre que le fait de présenter le texte réformant l’exécution des décisions de justice comme une proposition de loi prête à sourire, si ces deux textes font l’objet d’une lecture commune, c’est qu’ils traduisent le même glissement désastreux vers le legal business, ou marché du droit.

On ne compte plus le nombre de projets de loi mettant le terme de modernisation en exergue pour justifier vos opérations courantes de fusion-acquisition de nos services publics au profit de la « main invisible ».

Or la religion de concurrence, qui présente plus de vices que de vertus, n’a strictement aucun sens lorsqu’il s’agit du droit et de protection du justiciable, en particulier au regard de nos principes républicains. À force d’instrumentaliser ces principes en toutes occasions, vous finissez par en oublier la substance, mais aussi la portée.

Peu avant la première lecture du texte à l’Assemblée nationale, M. Nicolin rappelait ceci : « Notre pays se caractérise par cette conviction que le droit libère l’individu, et que sa règle est faite pour protéger son épanouissement, instaurer un équilibre, assurer une répartition équitable des moyens et des richesses. […] Pour nous, le droit n’est pas un simple produit commercial, banal et interchangeable. »

C’est à se demander pourquoi vous souhaitez ardemment le soumettre à la concurrence, en évoquant la nécessité d’une hasardeuse « interprofessionalité capitalistique » ?

M. Nicolin nous a donc expliqué que « sans renier cette conception noble de la portée du droit, le législateur ne peut laisser cette situation perdurer. L’avenir même des professionnels du droit en dépend ».

Or, étrangement, les professionnels du droit, à part la profession d’avocat, s’inquiètent très largement pour leur avenir.

Contribuent à cette inquiétude la suppression des offices d’avoués, dont on a entendu dire qu’ils faisaient de l’ombre aux avocats, l’insuffisance des moyens en personnel de greffe, administratifs et techniques, la suppression de nombreux tribunaux à coups de simplification de la carte judiciaire, autrement dit le vaste plan social des professions de justice – rappelons également qu’il ne restera que neuf cours d’appel dans trois ans, ce qui aura de graves conséquences sur le droit au recours et les délais de jugement. Y contribuent tout autant la remise en cause du principe d’indépendance de la justice, de celui de l’individualisation des peines et la disparition, ou non, du juge d’instruction. À ce rythme, on ne verra bientôt plus les juges que derrière des caméras, grâce à la généralisation de la visioconférence !

Est-il nécessaire de rappeler que le dernier rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice donne une image consternante des moyens que l’UMP alloue depuis des années à la justice : notre pays est passé de la 35e à la 37e place pour le pourcentage du PIB par habitant qui lui est consacré et se situe désormais derrière des pays comme l’Azerbaïdjan ou l’Arménie... En somme, une justice pauvre, tout aussi pauvre que vos ambitions pour une justice digne de ce nom !

Certes, la mondialisation a développé les difficultés juridiques et ouvert la voie à une standardisation du rôle du juriste. Mais doit-on pour autant s’y soumettre et imposer à la justice de ne plus être équitable, au seul motif de permettre à certains de réaliser plus de profits ?

Car, derrière le projet de loi, c’est bel et bien la perspective qui se profile. La répétition a, certes, une vertu pédagogique ; néanmoins, bien que vous n’ayez de cesse de nous répéter que l’émergence de l’acte d’avocat renforcera la sécurité juridique des justiciables, cela demeure absolument faux. Cette mise en concurrence ne renforcera pas la sécurité juridique des usagers, bien au contraire. Comme le disait Jean Louis Gallet, conseiller à la première chambre civile de la Cour de cassation, à l’occasion d’un colloque sur l’acte sous signature : « On peut se demander si la proximité incontestable de l’acte authentique et de l’acte sous signature juridique ne traduit pas plus un conflit de champs d’activité entre deux professions qu’une compétition entre les avantages respectifs des actes en question. »

Il est vrai que nous pouvons légitimement nous demander de quels défauts seraient atteints l’acte authentique et l’acte sous seing privé, pour que notre droit des obligations contractuelles ait besoin d’un nouvel acte venant trouver sa place entre eux.

L’acte authentique ne présente aucune lourdeur autre que les formalités liées au respect de procédures protectrices pour l’ensemble des citoyens, autrement dit, l’intérêt général. Rien ne justifie l’émergence d’un nouveau type d’acte, si ce n’est votre passion pour la concurrence, appuyée par le lobbying de grands cabinets.

Or l’acte contresigné par avocat exercera une influence non négligeable sur l’ordonnancement juridique et sur les actes authentiques. En effet, l’acte contresigné disposera d’une force probante. Selon l’article 1er du projet de loi, qui dispose, en son alinéa 4, qu’en « contresignant un acte sous seing privé, l’avocat atteste avoir pleinement éclairé la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte », l’avocat, par le simple fait d’avoir apposé sa signature, sera légalement présumé avoir donné un conseil éclairé, alors que les notaires doivent apporter eux-mêmes la preuve écrite du conseil qu’ils ont délivré. La mise en cause de la responsabilité de l’avocat sera par conséquent rendue plus difficile par cette présomption.

Nous y voyons une inversion de la charge de la preuve qui s’exerce au détriment de l’usager, puisque celui-ci perdra le droit de contester la régularité de l’acte. Cette privation du droit de contester ne peut, en aucun cas, résulter de l’intervention d’un professionnel du droit non investi de prérogatives de puissance publique. Il est nécessaire de rappeler que toute profession investie des prérogatives de certification, hors du statut d’officier public délégataire du sceau, fait l’objet non seulement d’une habilitation, mais aussi du contrôle des parquets.

Dans ce projet de loi, non seulement le pouvoir de certification est conféré au seul bénéfice d’une profession, mais encore en dehors de tout statut, de toute habilitation et de tout contrôle. Qui plus est, l’institution de l’acte contresigné risque d’entraîner plus de confusion que de clarification : en effet, la différence entre force probante, force exécutoire, acte sous seing privé et acte authentique est déjà difficile à appréhender pour les particuliers. Qu’en sera-t-il lorsque viendra s’insérer dans ce schéma l’acte contresigné, pas tout à fait authentique, mais presque, puisque doté d’une force probante, sans pour autant avoir la force exécutoire ?

Cela dit, vous persistez à prétendre que la sécurité juridique de nos concitoyens en sera renforcée. Permettez-nous d’en douter sérieusement ! Le service du juriste est devenu un produit quelconque, les assureurs ont commencé à employer des avocats avec le contrat de « protection juridique » et, aujourd’hui, les firmes juridiques appartiennent à la finance.

L’article 21 du projet de loi confère encore plus de sens à cette comparaison. En effet, il prévoit expressément la possibilité, pour les membres de sociétés de participations financières de professions libérales, de détenir des actions ou des parts dans les sociétés d’exercice libéral « ayant pour objet l’exercice de deux ou plusieurs des professions d’avocat, de notaire, d’huissier de justice », etc. Cela n’est qu’un aperçu, car la liste est bien plus longue.

Dès lors, peut-on imaginer que le capital d’une société d’exercice ayant pour objet l’exercice de deux professions juridiques différentes, par hypothèse l’activité de notaire et celle d’avocat, pourrait être détenue en majorité par des avocats, soit directement, à condition qu’ils exercent leur activité au sein de cette société d’exercice multiprofessionnelle, soit par l’intermédiaire d’une société de participations qu’ils auraient créée ? Voilà donc ce que vous regroupez sous l’appellation inconvenante d’« interprofessionalité capitalistique » !

Cependant l’ouverture de cette faculté aboutira inéluctablement à la transformation de ces sociétés d’exercice en simples sous-traitants de sociétés de participations, exclusivement tournées vers la notation, la productivité et le rendement de capitaux.

Ainsi, dans le contexte du rapprochement des cabinets de plaideurs et des officiers notariés, on se demande bien comment le notaire pourra continuer à officier au nom de la République française, ou encore conserver le sceau et le monopole de l’authenticité, d’autant plus que la concurrence de l’acte contresigné et la création simultanée de sociétés de participations financières remettent en cause le tarif réglementé. Ces rapprochements emporteront donc avec eux la gratuité du conseil dispensé sur tout le territoire par les notaires, comme le leur impose leur statut.

Ce projet de loi, qui soumet l’officier public à l’influence économique des participations capitalistiques, dont l’éthique se résumera à la perception de dividende, ne vise donc qu’à satisfaire l’appétit des grands cabinets.

La proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice répond au même objectif d’instauration d’une justice à deux vitesses. Malgré les aménagements apportés par la commission des lois concernant les modalités d’application de la procédure participative, notamment l’exclusion de son champ des contentieux liés à la séparation de corps et au droit du travail, l’introduction d’une telle procédure en droit français comporte de nombreux risques.

La procédure participative, d’inspiration nord-américaine, telle qu’elle est instituée par ce texte porte en germe le risque d’une justice binaire, les personnes les plus aisées ayant recours à cette procédure, les plus démunies continuant à s’adresser au juge, ce que nous refusons catégoriquement.

Pour conclure, je dirai que nul ne peut prétendre raisonnablement instituer une concurrence, dans l’intérêt du citoyen, entre un officier public, soumis à un statut strict justifié par les besoins de sécurité des citoyens, représentant de l’État dans sa fonction de régulation, et une profession « qui s’inscrit dans une économie de marché régie par la loi de l’offre et la demande », comme se définit le Conseil national des barreaux. Nul ne peut le prétendre, sinon vous, et cela ne peut que nous renforcer dans notre détermination à défendre le service public de la justice et à nous opposer à ces deux textes !

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