Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Laïcité

Par / 2 mars 2004

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Les membres du groupe communiste républicain et citoyen n’ont pas tous la même position sur le texte qui nous est soumis et d’autres points de vues que celui que je vais exprimer ici sur l’attitude à adopter, seront exprimés.

Mais je voudrais d’abord exprimer ce que partagent unanimement les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen : notre attachement sans faille à la laïcité, principe essentiel de notre République et principe fondateur du pacte social. Notre détermination à rendre effectifs les droits fondamentaux de la République et le premier d’entre eux l’égalité des citoyens. Notre détermination à faire reculer jusqu’à leur disparition, à l’école comme dans la société, toute discrimination à l’égard de personnes comme à l’égard de catégories de personnes, toute marque de domination des hommes sur les femmes ; notre refus de stigmatiser tel ou tel individu ou telle ou telle partie de la population.

Monsieur le Ministre, la laïcité est un principe général issu des grandes conquêtes de 1789 : égalité des hommes entre eux, libertés individuelles, liberté de croyance. Elle concerne l’ensemble de la société, l’Etat et ses institutions. La République et son Etat laïc se sont construits en plus d’un siècle jalonné de dates : 1792, 1802, 1882, 1886, 1905 au fur et à mesure que s’affirmaient les libertés de la personne : liberté d’expression, liberté de culte, neutralité des services publics. Les grandes lois scolaires, corollaires de l’obligation pour l’Etat de donner l’instruction, à tous les enfants, ont joué un rôle essentiel, mais l’affirmation de la République elle même comme de la laïcité n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est la résultante des luttes démocratiques et sociales et des rapports de la société à la religion et plus particulièrement la religion catholique et son église.

La République, votée à une voix de majorité a connu une histoire tourmentée, elle fut à ses débuts xénophobe, protectionniste du travailleur « national », par rapport à l’immigré, victime des peurs de l’industrialisation capitaliste - rappelons nous de l’assassinat des ouvriers italiens à Aigues-Mortes en 1893- ; elle fut antisémite quand l’Etat organisa la condamnation du capitaine Dreyfus. Elle fut colonialiste !
Les femmes, jusqu’en 1975 y vivait sous le régime matrimonial de 1804, c’est-à-dire mineures juridiquement.

En 1940 la République s’est oubliée pour enfanter un état monstrueux capable d’épouser le nazisme et d’envoyer à la mort des milliers de ses enfants, ce dont un haut fonctionnaire zélé, Papon, en liberté continue de justifier aujourd’hui.
Renaissante dans la lutte de libération nationale, elle s’est affirmée sociale - il est instructif de relire 60 ans plus tard le programme du C N R - et laïque grâce au député communiste Etienne Fajon qui l’a fait inscrire dans notre constitution. Et elle a reconnu aux femmes, c’est-à-dire la moitié de la population, la citoyenneté, par le droit de vote.

De cette époque nous avons gagné la protection sociale, la même école pour tous, de formidables avancées sociales et démocratiques et, le sentiment pour les enfants des couches populaires qu’ils vivraient mieux que leurs parents.
C’est bien ce pacte social qui est en panne : les inégalités ne cessent de s’accroître, le chômage et la précarité rongent la société ; un million d’enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté, l’intégration de ceux qui sont venus travailler dans ce pays, qui les a fait venir, est en faillite : leurs enfants, voire petits enfants sont les plus en échec scolaire, en chômage , en ghettos urbains et alors qu’ils sont nés en France et même de parents nés en France quelquefois, on les appelle « issus de l’immigration » .

Monsieur le Ministre, la faillite du pacte social crée un vide ; ce vide il est une aubaine pour tous les communautarismes qui donne l’illusion de compenser le manque de solidarité nationale ; les intégrismes religieux s’y engouffrent comme d’ailleurs les extrémismes politiques. Alors oui, la République et la laïcité sont menacées, minées par les fractures sociales et démocratiques.
Alors oui il y a besoin d’un travail en profondeur, d’une réflexion, d’un débat national, d’une remise à plat, d’une redéfinition de « l’en commun ». Alors oui est nécessaire, un véritable électrochoc en matière de politique sociale, économique, démocratique, qui donne espoir, qui donne du sens au « vivre ensemble ». Alors oui il faut réaffirmer les valeurs et les principes de la République.

Ce n’est pas le choix du gouvernement dont la politique de régression sociale aggrave de jour en jour les fractures de la société ; ce n’est pas le choix de ce texte relatif au port de signes religieux à l’école publique. Ce qui frappe d’ailleurs le plus c’est la disproportion entre la gravité des fractures, des ruptures, les dangers des communautarismes des intégrismes et des extrémismes et le traitement choisi par le chef de l’Etat et le gouvernement.

Pourtant la commission Stasi qui a travaillé longuement, a entendu beaucoup de monde avait mis en évidence nombre de problèmes et ouvert des pistes de travail et de propositions, guidée justement par le constat - je cite le rapport- : « qu’après un siècle de pratiques et transformations de la société le principe laïque est loin d’être devenu obsolète mais il a besoin d’être éclairé et vivifié dans un contexte radicalement différent. « Aussi les propositions qui ressortent du rapport tendent indissociablement et à la reconnaissance de la pluralité des religions et des cultures et à la neutralité des services publics ; à la protection des libertés individuelles et à la lutte résolue contre toutes les violences faites aux femmes ; le combat contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et le refus des discriminations dont sont victimes les populations dites issues de l’immigration maghrébine et africaine. Ressortait du rapport de la commission Stasi l’idée d’une charte de la laïcité définissant les droits et les devoirs de chacun …

Le travail de la commission Stasi pouvait donner le sentiment que la République allait se mobiliser pour redonner du sens au « vivre ensemble » et revivifier la laïcité. Le Parti communiste, auditionné par la Commission, en la personne de Marie-George Buffet, avait souhaité que le débat et la réflexion se poursuivent pour déboucher sur un grand projet, en 2005, 100ème anniversaire de ce texte de 1905.
Hélas le chef de l’Etat et le gouvernement ont fait un autre choix : celui de faire voter en vitesse une loi circonscrite à un aspect : le port d’insignes religieux à l’école primaire et secondaire publique. Le port du voile en réalité ; finalement du grand débat nécessaire et possible sur la base des travaux de la commission Stasi , une seule mesure a été retenue : une mesure d’interdiction à l’égard des jeunes filles. On est bien loin des grandes lois laïques ; votre texte donne force de loi à ce qui relève du règlement intérieur et de la circulaire, et vous le justifiez à la fois par la nécessité de clarifier l’attitude à adopter par le personnel enseignant, et à le conforter dans le respect de la neutralité de l’école et par la nécessité de « porter un coup d’arrêt à l’accroissement du nombre de jeunes filles revendiquant de rester « voilées dans les classes ».
Hélas c’est bien là ou le bât blesse !

La commission Stasi avait souligné les problèmes posés dans les services publics, dont l’école mais aussi les hôpitaux, la justice, les équipements publics, les services administratifs, les prisons…par des demandes et revendications guidées par une appartenance communautaire, des convictions religieuses et donc mettant en cause les principes d’égalité, de neutralité et de continuité de ces services publics.
Dans l’institution scolaire était souligné l’ensemble des problèmes posés par des comportements vis-à-vis des enseignants ou des enseignements, pour des raisons d’appartenance religieuse, comportements concernant tant des filles que des garçons.

Ces faits, il faut se garder d’en grossir l’importance, au regard des millions de français et d’habitants de notre pays qui peuvent se réclamer de la religion musulmane ; comme sont limitées les problèmes posés par le port d’insignes religieux à l’école même s’ils ont été amplement médiatisés. Quoi qu’il en soit, ces phénomènes sont suffisamment inquiétants pour que la société réfléchisse certes aux principes et règles sans lesquels le bien commun de la République n’est plus respecté mais surtout aux actes politiques, sociaux, éducatifs …qu’il est nécessaire de mettre en œuvre pour que ces principes et ses règles soient partagés, soient le bien commun de la très grande majorité de nos concitoyens, quelles que soient leurs singularité.
La laïcité est un idéal positif, un projet mobilisateur, porteur d’émancipation humaine.

Vous avez choisi de ne traiter qu’un aspect très limité ; de le traiter par une loi d’interdiction ; une interdiction qui s’applique à des mineurs et tout particulièrement à des jeunes filles, puisque chacun sait que le port de signes « ostensibles « -et je m’abstiendrais de commentaires sur le subtil débat entre ostensible et ostentatoire tant il est dérisoire - concerne tout particulièrement le voile, qui couvre la tête des jeunes filles.

Que les choses soient claires, je suis contre le port du voile à l’école ; et d’ailleurs contre le port du voile tout court : il est le signe de la soumission des femmes, une atteinte à leur dignité, la négation de leur corps, de leur personnalité, de leur liberté à disposer d’elles mêmes. C’est sur ce terrain que le voile doit être combattu comme doivent être combattues toutes les violences faites aux femmes. Pour le combattre il faut créer les conditions, avec les jeunes filles et les femmes elle même de leur propre émancipation. Aussi j’ai été assez surprise, Monsieur le Ministre de vous entendre répondre à un journaliste qui vous interrogeait sur les réactions de certains pays à votre loi, que le voile ne posait aucun problème, en France, qu’il fallait seulement l’enlever dans les classes des écoles publiques. Monsieur le Ministre je suis tout à fait respectueuse des libertés individuelles, mais le voile pose un problème qui dépasse largement l’école. Des femmes sont mortes ou emprisonnées parce qu’elles refusent la soumission, la domination subie par le port du voile. L’école est un lieu d’émancipation par excellence, de culture, d’apprentissage de la citoyenneté : raison à mon sens essentielle pour réfléchir aux effets de l’interdit quand cet interdit stigmatise une catégorie de la population.

Nous savons que le port du voile a aujourd’hui des motifs invoqués divers : des jeunes filles disent se le voir imposé par la famille, d’autres pensent se conformer à des préceptes religieux, d’autres disent se protéger ainsi des agressions masculines. A l’évidence nous mesurons à chacune de ces raisons invoquées le poids de l’intégrisme religieux qui entend régir la vie des individus, imposer « ses lois » contre la liberté individuelle dans la sphère privée comme dans la sphère publique. Mais précisément l’intégrisme il faut le combattre politiquement en éveillant l’esprit critique, en réaffirmant l’autorité de l’Etat républicain et de ses agents partout ; en faisant appliquer les lois contre les discriminations, le racisme, l’antisémitisme, les atteintes aux libertés et à la démocratie.

Ce n’est pas le choix que vous avez fait ; vous avez choisi de ne pas traiter de la laïcité ; vous avez choisi l’enfermement dans le port d’insignes ; vous avez choisi de pointer du doigt une communauté. Alors que la laïcité a besoin d’union sur les idéaux républicains et démocratiques, votre loi a déjà divisé plutôt que rassemblé ; elle a réussi à faire du voile une sorte d’étendard, confortant les communautarismes et suscitant en retour les peurs dont se repaît l’extrême droite.

Monsieur le Ministre, le combat pour la laïcité est indissociable du combat pour l’intégration. Or, l’intégration, elle, est condamnée sur le terrain social par l’inacceptable ségrégation sociale et spatiale dont sont largement victimes ceux dont les parents et grands-parents viennent de l’autre côté de la Méditerranée ; et quand la République n’a pas jusqu’ici voulu comprendre qu’il était incompréhensible que des algériens, marocains, tunisiens, vivant en France depuis des années ne votent pas, même pas dans leurs communes, quand leurs voisins espagnols, italiens, portugais, bientôt polonais, lituaniens, le feront.

L’occasion a été manquée d’un réel débat sur la laïcité ; vous avez pris le risque de tensions stériles dans la population ; sans réel débat, vous avez entretenu une agitation médiatique pendant des semaines, sans doute pour masquer le vide, agitation qui d’ailleurs a fait long feu !
Votre loi sera inefficace : elle laissera pour l’essentiel la communauté éducative dans la même situation, désemparée parce qu’aucun des problèmes auxquels elle est confrontée ne sera solutionné.

Vous donnerez la possibilité d’exclure rapidement des jeunes filles, ce qui les renverra à l’enfermement familial et les familles à la revendication d’écoles coraniques, terreau privilégié des intégristes.
Une certaine sagesse parlementaire a permis de soumettre l’efficacité de votre loi à évaluation dans un an.

Je veux faire confiance à la communauté éducative pour continuer le dialogue et pour continuer à revendiquer les moyens d’assurer ses missions et de faire respecter son autorité.
Je respecte l’opinion selon laquelle si cette loi ne répond pas à l’ampleur des problèmes, elle sert à rappeler la règle dans les établissements ; cette opinion sera d’ailleurs exprimée par certains de mes amis.

En ce qui me concerne, je ne la voterai pas, parce que je ne peux pas me sentir en accord avec vous sur le « vivre ensemble » de la laïcité, quand la politique de votre gouvernement contribue tous les jours à compromettre ce vivre ensemble.

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Bio Express

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC
Ancienne sénatrice de Paris
Elue le 24 septembre 1995
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