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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Laïcité (5)

Par / 3 mars 2004

par Annie David

Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,

La laïcité est un fait humaniste.
Elle est cet idéal républicain que l’on retrouve dans la notion des droits fondamentaux de la personne.

Elle est vecteur de bien être et d’épanouissement de la société en prenant comme seul motif d’action, la justice et l’égalité.
Elle a la capacité de s’adapter à la diversité des peuples.
Elle est nécessité pour protéger les citoyens face aux attaques de divers sous groupes communautaires.

Grâce à elle, les hommes peuvent définir les règles du jeu commun et donc les conditions de leur cohabitation, affirmant ainsi leur volonté de vivre ensemble. Aussi la mosaïque des peuples et des cultures ne peut résister sans que l’espace politique soit libéré des dimensions religieuses et idéologiques.

Pourtant, elle fait l’objet aujourd’hui, de polémiques, de remises en causes sournoises, sans doute en raison du retour en force des Organisations Religieuses dans tous les domaines politiques via les USA, la Pologne, la Russie, le Proche Orient, l’Iran ou l’Arabie Saoudite. On parle ainsi de « choc des civilisations », selon la théorie tristement célèbre de Samuel Huntington. Théorie insidieuse qui porte en elle les germes de la guerre en livrant une lecture manichéenne et dangereuse du monde. Cette thèse a cautionné l’embargo irakien tuant lentement des milliers d’enfants, la guerre en Afghanistan et en Irak. Cette thèse sert de fondement philosophique à la guerre.

Je préfère parler de « choc des ignorances » ! Car l’identité humaine est plurielle, elle se réfère à notre langue, nos passions, notre travail, notre culture… et on ne peut se contenter de s’attacher à un seul caractère de la personne.

C’est pourquoi, la laïcité est l’exutoire de cette thèse que l’on voit déjà se traduire en Europe par l’article 51 du projet de la constitution européenne qui prévoit un dialogue régulier avec les églises et les organisations philosophiques.

C’est une régression considérable, et de recul en démission, les ennemis de la liberté finiront par sacrifier la liberté sur l’autel de la religion.
Aussi, nous devons plus que jamais défendre la laïcité contre ses nombreux ennemis car elle est source de paix. Nous devons oeuvrer en France et en Europe, pour que la laïcité appartienne au bien commun de toutes les nations.

Pour autant, la laïcité ne doit pas gommer les diversités qui entraînerait une uniformité de penser. Elle doit permettre à toutes ces diversités de vivre ensemble dans un respect réciproque. Tout comme nous devons combattre toute forme d’intégrisme religieux, nous devons nous opposer à un intégrisme laïc.

Aussi, les élèves ne sont pas les représentants de l’Etat et donc de la laïcité, ils reflètent la France multi-confessionnelle. Les enseignants sont eux les représentants de l’Etat, ils doivent donc respecter ce principe de neutralité et de laïcité. Par contre, les programmes d’enseignement sont obligatoires pour tous les enfants et on ne peut proposer des cours à la carte selon les différentes appartenances religieuses. Or, dans votre projet rien n’est dit sur l’obligation de participer à tous les cours et à toutes les activités proposées dans le cadre scolaire.

De même, je vous rappelle que c’est sur la liberté religieuse que se sont construites les démocraties. C’est pourquoi, la laïcité n’est en rien anti-religieuse, en accord avec l’article 18 des droits de l’homme. Elle s’est imposée comme une garantie de neutralités des pouvoirs publics et le respect des croyances.

La laïcité ne doit pas exclure, elle doit intégrer. Elle doit permettre « le renforcement de la cohérence et de la fraternité entre les citoyens, l’égalité des chances, le refus des discriminations, l’égalité entre les sexes et la dignité de la femme » selon les propres termes de Monsieur CHIRAC.

Or, la loi que vous nous proposez, Monsieur le Ministre est une loi d’exclusion. Elle pose un faux problème, libérer l’aliénation dont sont victimes certaines jeunes filles par l’exclusion. Autrement dit, on les fustige pour le mal dont on veut les guérir. Et, à quelques jours de la journée de la femme, l’égalité homme-femme, pierre angulaire de toute société démocratique et sociale, n’est toujours pas une réalité. Cette loi sur la laïcité, laïcité qui reste le remède de toutes les discriminations, aurait pu marquer la lutte pour l’avancement et la protection des droits économiques, sociaux et culturels de la femme. Or, cette loi, loin de stopper l’oppression et la domination dont sont victimes les femmes voilées, va les abandonner à leur triste sort !

L’enfermement du débat occulte donc les vrais questions : les discriminations et le repli identitaire qui en découle, le sentiment de rejet dont souffre tous ces jeunes issus de l’immigration.

Vous avez donc péché par paresse ou par lâcheté, car la laïcité ne peut se résumer à l’exclusion. Elle doit être accompagnée d’une véritable politique d’intégration et d’information. Malraux disait « le problème religieux redeviendra capital à la fin du siècle ». Comme il avait raison ! Mais le retour religieux n’est pas une cause en soi, c’est un symptôme en réaction à un matérialisme qui n’a pas tenu ses promesses. Et je ne résiste pas à la tentation de vous citer Marx : « La religion, c’est l’opium du peule » L’ennemi de la laïcité c’est bien en grande partie le fléau social, conséquence directe du capitalisme libéral en vigueur actuellement. Le respect de la laïcité pose la question des engagements publics et individuels contre le chômage, la précarité, l’exclusion. Ces maux sont bien plus délétères au pacte Républicain. Je vous rappelle que le rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc) évaluait à plus d’un million le nombre d’enfants vivant en France, sous le seuil de pauvreté, soit près de 8 % de l’ensemble des enfants ! Ces chiffres parlent d’eux-mêmes !

Le respect de la laïcité pose aussi la question de l’information de nos citoyens sur ses enjeux. A ce titre, Je regrette, que vous n’ayez pas repris, les propositions de la commission Stasi, notamment celles qui proposaient de faire de la laïcité, et de l’histoire des religions un thème majeur de l’instruction civique. Il aurait été également intéressant de proposer des cours, à ces jeunes issus de l’immigration, sur l’histoire de leur pays, de leurs traditions, riche de nombreux philosophes, poètes, mathématiciens, afin de connaître mieux leurs origines et leur permettre ainsi de renouer des liens avec la République. Connaissance et reconnaissance des uns par les autres, constituent un préalable à l’intégration véritable. Ces mesures auraient donnée, sans nul doute, plus de crédibilité à votre volonté affichée de conforter les valeurs de la République : Liberté, Egalité, Fraternité.

Par ailleurs, votre loi, Monsieur le Ministre, est une loi de circonstance. Elle est incomplète, et en rien laïque
Vous vous évertuez à vouloir donner l’illusion aux enseignants qu’elle résoudra leur problème. Mais, comment mesurer l’ostensible, à moins de fournir aux chefs d’établissement des détecteurs de tous les signes religieux, y compris ceux de nombreuses sectes dont on ne sait pas toujours comment les identifier ? On ne peut envisager qu’ils ne prohibent que les foulards islamiques ; ce serait illégal et choquant. Ou alors, votre loi est une loi d’exception, construite sur mesure autour du voile islamique ! Aussi, la terminologie choisie pèsera encore lourd dans les décisions des chefs d’établissements.
En outre, cette loi aura des conséquences sur le droit à l’éducation, exigence fondamentale de justice sociale. En effet, dans votre texte, Monsieur le Ministre, il n’existe aucune mesure sur le suivi de ces jeunes, définitivement exclus. Or, il appartient à l’Education Nationale de reclasser ces enfants exclus ! La Déclaration universelle des droits de l’homme affirme, « Toute personne a droit à l’éducation ». De plus, elle dispose que cette éducation devra être gratuite, au moins aux niveaux primaires et fondamentaux.
Cette Déclaration dispose également que l’éducation devra être orientée vers le plein développement de la personnalité humaine et conforter le respect des droits humains. Aussi, je serais curieuse de connaître l’avis du Haut Commissariat des droits de l’homme sur votre loi, Monsieur le Ministre. Le droit à l’éducation est lui aussi non négociable !
Par ailleurs, en tout cas pour les jeunes filles contraintes à porter le voile, déjà victimes, vous leur infligez « une double peine », alors qu’elles pouvaient espérer avoir, au sein de l’école, un espace de liberté, d’expression et d’apprentissage leur permettant ainsi d’être en mesure de faire un jour leurs propres choix d’existence.

Dans le même temps, le ministre de l’intérieur met en avant les littéralistes de l’Islam, dont on sait pourtant qu’ils prônent un islam des plus rigoriste ! En matière d’incohérence, votre gouvernement aura atteint le paroxysme !
Mais peut-être seul vous importe de balayer le problème d’un simple revers de main sans vous préoccupez des conséquences de cette loi, qui j’en reste convaincue, loin d’unir nos concitoyens, va renforcer le développement du communitarisme et les affrontements identitaires, car in fine c’est une loi qui stigmatise et certains jeunes jusqu’ici peu religieux, se rallieront par solidarité et par sursaut identitaire. Elle servirait aussi les extrêmes religieux, qui souhaitent polariser la société française autour de leur version rigoriste de la religion.

Enfin c’est une loi incohérente et injuste car de nombreux collèges et lycées logent des aumôneries, et que cette loi ne s’étend pas aux établissements privés sous contrats. L’école publique y paraîtrait donc intolérable et l’école privée accueillante. Aussi, dans un souci de cohérence, mon groupe a déposé un amendement tendant à élargir le texte aux établissements privés sous contrat.

Je ne peux m’empêcher de citer une autre attaque à la laïcité plus sournoise et rarement dénoncée, c’est l’invasion marchande au sein de l’enceinte scolaire, dont votre loi fait fi !
Preuve en est d’une loi incomplète et équivoque, c’est qu’elle divise tous nos concitoyens ! Je pense que personne ici ne pourra me contredire puisque la majorité d’entre nous a longuement hésité avant d’acter son vote.

Je me trouve également dans une situation identique, devant un dilemme cornélien, car je suis persuadée de la nécessité d’une loi pour renforcer les piliers de la république, surtout en ces jours marqués par le retour en force des intégristes religieux, mais votre loi, Monsieur le Ministre, ne va en rien renforcer ces piliers car elle entretient l’illusion d’une intégration qui fait partie de la pire démagogie, qui cherche à gommer les diversités et aggraver les exclusions. Pourquoi, à la veille du centenaire du pacte républicain de 1905, n’avez-vous pas initié un grand débat sur la laïcité qui aurait permis d’aboutir à une loi accomplie et faire ainsi du 21ème siècle, le siècle laïc ?

Aussi, après de multiples hésitations, je voterai contre cette loi qui finalement n’a rien de laïque.

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