Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Lutte contre la corruption
Par Josiane Mathon-Poinat / 31 octobre 2007Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption que nous examinons aujourd’hui aurait dû recueillir l’unanimité tant ce sujet rencontre un consensus général.
Malheureusement, si je ne remets pas en cause l’objectif louable de punir plus sévèrement la corruption d’agents publics étrangers, je ne peux que regretter l’attitude du Gouvernement sur deux points : la réserve qu’il entend formuler concernant le trafic d’influence et son silence sur le contexte dans lequel le projet de loi est présenté.
L’objectif de ce projet de loi, je le disais, ne soulève pas d’objection de notre part : la corruption, que ce soit au niveau national ou international, doit être combattue et réprimée avec la même détermination.
Nous constatons d’ailleurs avec satisfaction que plus un seul membre de la majorité ni de la commission des lois ne trouve de justification économique à des pratiques moralement répréhensibles, telles que la corruption ou le trafic d’influence commis par des agents publics étrangers, comme cela aurait pu être le cas en 2000.
La France doit donc aujourd’hui modifier sa législation afin de se conformer à ses engagements internationaux résultant de la convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe en date du 27 janvier 1999 et de son protocole additionnel du 15 mai 2003 ainsi que de la convention des Nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003, dite « convention de Mérida ».
Le projet de loi apporte des modifications touchant tant au droit pénal qu’à la procédure pénale. Il prévoit d’incriminer plus sévèrement la corruption et le trafic d’influence d’agents publics.
Ainsi, il existera enfin un parallélisme entre le régime des infractions impliquant des agents publics nationaux et le régime des infractions de même nature impliquant des agents publics étrangers, sans distinguer si ces derniers exercent leurs fonctions au sein de l’Union européenne ou d’un État extérieur.
En matière de corruption, qu’elle soit active ou passive, le projet de loi couvre à la fois l’ensemble des faits et actes susceptibles de tomber sous le coup de cette incrimination et l’ensemble des agents publics, sans limitation à des secteurs particuliers.
L’incrimination de la subornation de témoin et du faux témoignage dans le cadre d’une procédure étrangère ainsi que des menaces et actes d’intimidation à l’encontre du personnel judiciaire, introduite par le texte, nous satisfait également.
Notre seule objection concerne le trafic d’influence. La France a en effet exprimé l’intention de formuler une réserve à la convention pénale sur la lutte contre la corruption de 1999 afin de ne pas incriminer le trafic d’influence d’agents publics étrangers ou de membres d’assemblées publiques étrangères.
Le projet de loi intègre donc cette réserve : de nouvelles incriminations relatives au trafic d’influence seront introduites dans le code pénal mais elles seront restreintes aux seuls agents appartenant à une organisation publique internationale. Cette position, en retrait par rapport à nos engagements internationaux, est d’autant plus regrettable que la lutte contre la corruption devient enfin une ambition partagée par un nombre croissant d’États.
Une telle réserve, surtout de la part de notre pays qui est à l’origine de la convention de Mérida et qui a été le premier pays du G8 à la signer, envoie un message très négatif à nos partenaires s’agissant de la lutte contre la corruption et laisse planer le doute sur nos pratiques à l’étranger, dans les pays où l’on continue à payer pots-de-vin et autres dessous-de-table.
À cet égard, Daniel Lebègue, président de la section française de Transparency International, a même jugé choquant que la France s’aligne sur les législations pénales les moins exigeantes en matière de lutte contre la corruption. Nous regrettons par conséquent que le projet de loi entérine ni plus ni moins la réserve formulée par la France.
Cette réserve n’est pas la seule cause de malaise s’agissant de ce texte. Si les dispositions présentées tendent, malgré tout, à renforcer la lutte contre la corruption et constituent, à n’en pas douter, une avancée, en revanche, les outils juridiques mis en place ne sont pas tout à fait adaptés.
Quel message le Gouvernement souhaite-t-il envoyer en présentant ce texte et en annonçant simultanément sa volonté de dépénaliser le droit des affaires ? (M. le président de la commission des lois s’exclame.)
Il est étrange de vouloir, d’un côté, durcir la répression en matière de corruption et, de l’autre, extraire du code pénal des délits comme l’abus de bien social, justement utilisé par les magistrats pour requalifier des faits de corruption, plus difficiles à cerner.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Personne n’a jamais dit ça !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Admettez que la situation peut susciter une certaine perplexité quant aux intentions réelles du Gouvernement !
De même, la question des moyens financiers et humains doit être abordée dans le cadre de la discussion de ce projet de loi. Elle a d’ailleurs été soulevée par Mme Isabelle Prévost-Desprez, vice-présidente à la 15e chambre du tribunal de grande instance de Nanterre, ainsi que par Mme Xavière Siméoni, vice-présidente chargée de l’instruction au pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris, que M. le rapporteur a entendue.
Au sein des juridictions économiques et financières spécialisées, les besoins se font sentir, en matière tant de formation des magistrats que d’effectifs des personnels auxiliaires et greffiers. Mais cette remarque vaut pour l’ensemble de notre justice ! Celle-ci souffre d’un manque éternel de crédits qui permettraient d’améliorer le travail des magistrats et de rendre la justice dans des conditions humainement acceptables.
Ce ne sont pas les 4,5 % d’augmentation du budget prévus pour 2008 qui vont nous rassurer !
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M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est quand même pas mal ! On a vu pire !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Malgré cette hausse apparente, le budget de la justice pour 2008 atteint 6,52 milliards d’euros, alors qu’il s’élevait à 6,27 milliards d’euros en 2007. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) L’augmentation est vraiment très faible ! Du coup, la France passera tout juste du 29e au 28e rang du classement des États européens pour la part du budget accordée à la justice.
S’agissant des effectifs de la police, il est toujours regrettable que les moyens soient concentrés sur la police d’intervention et diminuent, année après année, pour la police d’investigation, par définition moins médiatique. C’est pourtant celle-ci qui combat la délinquance relative au droit des affaires, à la corruption, au blanchiment, bref, la délinquance « en col blanc ».
Le Gouvernement me répondra qu’il étend aux infractions de corruption et de trafic d’influence les procédures d’investigation prévues par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II. Outre le caractère attentatoire aux libertés de ces procédures que nous avons déjà soulevé, ce choix ne suffit pas à compenser le manque de moyens humains nécessaires à l’accomplissement des missions d’investigation.
Enfin, des efforts restent à fournir en matière de lutte contre le blanchiment ; or le projet de loi n’aborde pas cet aspect. Il est fréquent, en effet, que des faits de corruption soient liés à des opérations de blanchiment d’argent sale. Le gouvernement français est très frileux lorsqu’il s’agit d’aborder cette question, comme celle de l’existence de paradis fiscaux peu éloignés de nos frontières.
Il est donc regrettable que ce texte s’autocensure sur le trafic d’influence. Si les amendements présentés ne sont pas adoptés, le groupe CRC s’abstiendra.