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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs : exception d’irrecevabilité

Par / 5 juillet 2007

Monsieur le Président,
Madame le Garde des Sceaux,
Mes chers collègues,
C’est désormais un rituel institutionnalisé : la session extraordinaire vient à peine de commencer et nous voici réunis pour une nouvelle réforme du code pénal et de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Le projet de loi qui nous est présenté par le gouvernement affiche l’objectif de « renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs », thème ultra-médiatisé par Nicolas Sarkozy depuis cinq ans.
Le Président de la République l’a promis pendant la campagne électorale, il instaurerait des peines automatiques pour les récidivistes et supprimerait la bien mal-nommée « excuse de minorité » pour les mineurs de 16 à 18 ans. Et s’il fallait modifier la Constitution pour cela, et bien ce serait fait.

Au final, le projet de loi défendu par la Chancellerie n’est pas tout à fait conforme au souhait présidentiel. S’il instaure bien des peines planchers, celles-ci ne sont pas à proprement parler automatiques. Et si le principe de l’atténuation de responsabilité pénale est bien remis en cause, la majorité pénale reste fixée à 18 ans.
La Constitution n’aura donc pas besoin d’être modifiée car le gouvernement a pris de multiples précautions rédactionnelles afin de ne pas encourir la censure du Conseil Constitutionnel, inévitable dans le cas des peines automatiques.

Néanmoins, et malgré ces précautions, je considère que le projet de loi porte atteinte à plusieurs de nos principes fondamentaux et constitutionnels.
Il procède à une inversion de notre logique judiciaire, voire de notre philosophie pénale dans le seul but de rassurer l’opinion et sacrifie la spécificité de la justice des mineurs sur l’autel de la surenchère médiatique.
Le gouvernement a fait tout d’abord le choix de renverser le fondement de notre logique judiciaire.

Aujourd’hui le principe est que les magistrats doivent motiver leurs décisions, notamment celles prévoyant des peines privatives de liberté. Car conformément à l’article 66 de la Constitution, « L’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Elle assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Or dans ce projet de loi, ce principe est bafoué parce qu’inversé : ainsi le juge motive non plus la privation de liberté mais le maintien en liberté et l’on peut s’inquiéter d’un Etat qui considère la perte de liberté comme un élément mineur.
Certes le juge pourra prononcer, selon des conditions limitativement énumérées, une peine inférieure à la peine minimale encourue ou une peine autre que l’emprisonnement en matière délictuelle par une décision spécialement motivée.
Mais la liberté d’appréciation du juge est strictement encadrée et bien mince.
Et se pose le problème du respect du principe de l’individualisation des peines.

En cas de première récidive, le juge peut déroger à une peine minimale si les circonstances de l’infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d’insertion ou de réinsertion le justifient. En cas de seconde récidive, pour les crimes et les délits les plus graves, le juge ne pourra déroger à une peine minimale que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion. Et si dérogation il y a, obligation est de toute façon faite au juge de prononcer une peine d’emprisonnement.

Le principe de l’individualisation des peines devient ici l’exception, face à la quasi automaticité de la sanction. Les garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion n’existent pas dans le code de procédure pénale, même au stade de l’application des peines. Par ailleurs, comment envisager qu’un multirécidiviste présente de telles garanties au moment de son jugement pour un crime ou un délit grave ? Celles-ci ne peuvent donc pas raisonnablement s’apprécier au moment de la condamnation.
Cette condition pour pouvoir déroger à une peine minimale est un leurre pour le juge ; dans les faits, elle sera inexistante.

Le conseil constitutionnel a pourtant reconnu une valeur constitutionnelle au principe de l’individualisation des peines dans sa décision du 22 juillet 2005, ce principe découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Ce qui est dangereux dans le reniement de l’individualisation des peines, c’est sous tendre qu’il n’existe aucune circonstance particulière dans la réalisation d’un acte délictueux ou criminel, qu’il est déconnecté de tout et qu’il est vain ou inutile d’analyser la personnalité de son auteur.

Les amendements de la commission des lois traduisent le trouble ressenti et proposent que le juge prenne en compte les circonstances et la personnalité de l’auteur.
Cela laisse apparaître le malaise face au renoncement de l’individualisation de la peine et de l’étude objective des faits.

D’ailleurs sur ce point là la recommandation 92/17 du Conseil de l’Europe précise que les condamnations antérieures ne devraient jamais être considérées comme un facteur aggravant et la peine devrait être proportionnelle à la gravité de l’infraction en cours de jugement.
Ceci est encore plus vrai s’agissant des mineurs : par rapport à la réalité du développement de la délinquance des mineurs, l’individualisation de la peine est plus que nécessaire car il faut prendre en compte l’évolution personnelle d’un adolescent encore en construction afin d’aboutir à des solutions efficaces pour lui, et non pour l’opinion.
Appliquer le régime des peines planchers aux mineurs revient à s’engager dans l’exclusion des jeunes les plus difficiles.

Ce que propose le gouvernement avec l’instauration de ces peines planchers est de ne juger que les faits, et simplement les faits, en niant la personnalité de l’accusé. Même si les peines ne sont pas totalement automatiques, le système proposé s’en rapproche étrangement.
Et force est de constater que le projet de loi rompt avec notre tradition.
Cette rupture apparaît d’autant plus flagrante en ce qui concerne la justice des mineurs.
Au prétexte que l’ordonnance de 1945 serait désuète, alors qu’elle a été modifiée une vingtaine de fois, et que les mineurs seraient délinquants plus tôt et seraient plus violents, les réformes qui se multiplient et se superposent tendent, les unes après les autres à faire disparaître la spécificité de la justice des mineurs.

La spécificité du droit pénal des mineurs ne date pourtant pas de l’ordonnance de 1945. Le Conseil constitutionnel, lorsqu’il a reconnu la valeur constitutionnelle de ce principe dans sa décision du 29 août 2002, a par ailleurs précisé que « que l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante ».
Nous apparaissons aujourd’hui en totale contradiction avec ces principes.

Tout d’abord, le gouvernement remet en cause le principe de l’atténuation de responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge.
Un mineur de 16 ans pourrait, si ce projet de loi était adopté en l’état, être jugé comme un majeur en cas de deuxième récidive.

Alors que jusqu’à présent le juge devait motiver sa décision d’écarter le principe de l’atténuation de responsabilité pénale, il devra désormais motiver l’application de ce principe et devra donc justifier la soumission d’un mineur à un droit qui lui est pourtant spécifiquement applicable. Le principe est ici renversé : l’atténuation de responsabilité pénale devient l’exception et non la règle.

Cette disposition sous-entend qu’un enfant de 16 ans n’est plus réellement considéré comme un mineur sur le plan pénal. Pourtant, l’âge de la majorité civile en France est fixé à 18 ans, avec tout ce que cela suppose sur le plan juridique, à savoir entre autres que les mineurs ne jouissent pas de leurs droits civils et politiques et n’ont pas la capacité de contracter. Même les jeunes filles ne peuvent plus se marier avant d’avoir atteint cette majorité.

Les mineurs seraient donc incapables civilement jusqu’à 18 ans mais pourraient être jugés comme des majeurs dès 16 ans, à moins que le juge n’en décide autrement.
La disposition du projet de loi ne semble respecter ni nos exigences constitutionnelles ni la Convention internationale des droits de l’enfant qui, dans son article 1er, prévoit qu’ « Au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ».
L’âge de la majorité étant fixé à 18 ans, le droit pénal des mineurs doit pouvoir s’appliquer de façon générale jusqu’à 18 ans, et donc le principe constitutionnel de l’atténuation de responsabilité pénale rester actif.
Entre parenthèses, partout ou presque en Europe, l’âge de la majorité pénale est de 18 ans et plusieurs pays permettent même d’étendre le régime des mineurs aux jeunes adultes, jusqu’à 21 ans.

La Convention internationale des droits de l’enfant quant à elle, dans son article 40, précise que « tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale [a] droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci. »

Cela n’empêche pas l’existence d’exceptions : le juge pouvait, avant même la modification de l’article 20-2 de l’ordonnance apportée par la loi du 5 mars dernier sur la prévention de la délinquance, écarter l’atténuation de responsabilité pénale. Cette modification, et plus encore celle prévue par le présent projet de loi, sont donc totalement inutiles mais surtout dangereuses du point de vue des principes fondamentaux régissant le droit pénal des mineurs.

Dominique Versini elle-même s’en est émue. Elle demande, dans un communiqué du 27 mai dernier, que soient maintenues « les dispositions actuelles qui permettent au juge de décider au cas par cas d’écarter l’excuse atténuante de minorité en fonction de la gravité des faits et de la personnalité du mineur. »
La remise en cause prévue par le projet de loi de l’atténuation de responsabilité pénale est donc très discutable d’un point de vue constitutionnel.
Mais ce n’est pas la seule disposition à revêtir, selon moi, un caractère anticonstitutionnel.
L’article 3 du projet de loi prévoit également que les peines automatiques seront de plein droit applicables aux mineurs. Ce n’est pas la première fois, hélas, que le gouvernement et sa majorité, décident d’appliquer les mêmes dispositions aux majeurs et aux mineurs.

La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales est elle-même applicable aux mineurs. La procédure de jugement à délai rapproché, en tout point semblable à la comparution immédiate, est un autre exemple de ce rapprochement insidieux mais réel de la justice des mineurs vers la justice des majeurs.
L’application de plein droit des peines minimales aux mineurs efface un peu plus la spécificité de la justice des mineurs me semble par conséquent aller à l’encontre de la décision du conseil constitutionnel du 29 août 2002 et de la « nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ».
Les procédures appropriées aux mineurs sont désormais des ersatz de procédure pénale applicable aux majeurs. Mais surtout, l’application des peines minimales aux mineurs, parce qu’elle favorisera l’incarcération des mineurs, ne semble pas correspondre à la nécessité de ce devoir éducatif et moral envers des enfants délinquants.
Ma collègue Nicole Borvo en a parlé dans son intervention générale : cette loi aboutira nécessairement à l’augmentation du nombre de mineurs incarcérés.
La priorité est donc clairement donnée à l’enfermement et l’objectif n’est plus, depuis longtemps d’ailleurs, de rechercher les solutions à la délinquance des mineurs par des mesures éducatives et préventives. Le projet de construction de sept établissements pénitentiaires pour mineurs qui prévoit de créer 420 places de prison en est une parfaite illustration.

Le seul problème est que cette orientation et la décision qui est prise aujourd’hui par le gouvernement de renforcer l’arsenal répressif à l’encontre des mineurs me semble non seulement contraire à la Constitution, je vous renvoie pour cela à la décision du conseil constitutionnel déjà citée, mais également à la Convention internationale des droits de l’enfant.

L’article 37 prévoit en effet que la détention ou l’emprisonnement d’un enfant ne peut être « qu’une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible ». La France s’éloigne de plus en plus de cet engagement.

La preuve en est que le Comité des droits de l’enfant a déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de critiquer la France sur cette question de l’emprisonnement des mineurs.
Dans un communiqué du 4 juin 2004, le Comité « réitère ses préoccupations en ce qui concerne la législation et la pratique dans le domaine de la justice juvénile ainsi qu’en ce qui concerne la tendance à favoriser les mesures répressives sur les mesures éducatives. ».
Mais tout se passe comme si la France n’était pas signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le respect des engagements internationaux n’est pas une priorité, pas plus d’ailleurs que le respect des principes constitutionnels et fondamentaux qui forment la base démocratique de notre société.

Qu’il s’agisse des majeurs ou des mineurs, le gouvernement fait comme si le travail des professionnels de terrain et les recommandations des magistrats n’existaient pas. Tous disent et répètent que les peines minimales n’auront aucun effet dissuasif sur les majeurs, encore moins sur les mineurs, et que l’incarcération crée plus de récidive qu’elle n’en prévient. Il suffit de regarder les chiffres en la matière.
Mais les choix idéologiques pèsent bien plus lourds dans la balance que la réalité des faits et la préservation des droits de nos concitoyens.

Si ce n’est pas le cas, je vous invite, chers collègues, à voter en faveur de cette motion.

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