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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Lutte contre les discriminations : conclusions de la commission mixe paritaire

Par / 15 mai 2008

Il y a quelques semaines, le sénat examinait un texte intitulé : « Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ».

À l’énoncé d’un tel titre, bien long au demeurant, nous aurions pu espérer un projet de loi ambitieux, utile pour celles et ceux qui, au quotidien, sont victimes de discriminations inacceptables. Las, tel n’est pas le cas du texte que vous nous proposez d’adopter aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, après la réunion de la commission mixte paritaire, qui n’a finalement fait que remettre au goût du Gouvernement ce que le Sénat avait voulu modifier. Cela ne suffira pas à répondre aux exigences, pourtant bien légitimes, de millions de nos concitoyens.

En effet, la HALDE dénombre, dans son récent rapport, pas moins de dix-huit critères de discrimination, c’est-à-dire au moins autant de situations d’exclusions, tant il est vrai que le fait de discriminer constitue avant tout un acte de grande violence qui a pour objet, et bien souvent pour effet, de marginaliser, de mettre au ban, cet « autre », à qui l’on reproche de ne pas être comme on voudrait, comme la norme le voudrait.

En ce sens, l’analyse qui tend à faire croire qu’il y aurait des discriminations moins inacceptables, moins scandaleuses et moins violentes que d’autres est trompeuse. En effet, chaque discrimination subie renvoie purement et simplement celle ou celui qui en est victime à une vision déformée de son altérité et le place irrémédiablement dans le « camp des différents », étant entendu qu’il n’y a pas discrimination sans jugement.

En décidant de lutter contre toutes les formes de discriminations, la représentation nationale tente d’agir sur cela en favorisant l’émergence d’un concept avec lequel nous ne pouvons transiger : le « vivre ensemble ». Il s’agit non pas d’éduquer des citoyens capables de vivre côte à côte, quand bien même ils se toléreraient, mais bel et bien de donner les outils politiques et, n’ayons pas peur des mots, culturels, ou encore scientifiques, pour que, enfin, nous vivions les uns avec les autres. Il s’agit de construire un monde où chaque femme, chaque homme serait reconnu non sur sa particularité, mais sur une généralité en droit, un monde où vivre cet « en commun » n’est ni le clonage ni le formatage des individus, mais la capacité de vivre avec un autre, différent.

Certains diront qu’il s’agit d’une utopie. Oui, effectivement, si l’on comprend l’utopie dans son sens latin premier, utopia, ce qui n’a pas été encore réalisé, « ce monde qui n’existe nulle part » mais auquel, au fond, nous tentons tous d’accéder.

C’est à l’aune de cette exigence qu’il nous faut examiner ce projet de loi : participera-t-il demain à l’émergence d’une société nouvelle ? C’est à regret, croyez-le, que je dois répondre par la négative.

Comment aurait-il pu en être autrement ? Lors de la première lecture, ma collègue Annie David regrettait déjà le contexte dans lequel ce projet de loi nous était présenté. Il ne s’agissait pas principalement de répondre aux attentes légitimes de celles et ceux qui subissent chaque jour un traitement différencié en raison de leurs origines, de leurs patronymes, de leurs modes de vie, de leur situation de santé, de leurs orientations sexuelles, syndicales ou religieuses. Non, il s’agissait de faire bonne figure devant nos partenaires européens et d’éviter que la France ne soit, une fois encore, sanctionnée pour défaut de transposition à l’instant où Nicolas Sarkozy prend la présidence de l’Union européenne. Et cela se ressent profondément dans ce projet de loi, qui ne traite la discrimination que sur son aspect technique, au mépris total du ressenti de nos concitoyens.

Il aura définitivement manqué à ce texte le souffle humaniste. Sans doute est-ce là, et je le regrette, la conséquence d’un certain entêtement à n’appréhender ce projet de loi que d’une manière technique, le déclarant d’urgence alors que rien n’y obligeait et sans que soient reçues les associations qui auraient pourtant eu bien des choses à dire.

Que dissimule une telle précipitation ? Un temps, nous avons cru que le seul argument de l’impératif européen et de la présidence de l’Union suffisait à l’expliquer. Puis, les travaux avançant, les échanges se faisant, nous avons compris que le Gouvernement voulait éviter à la Haute Assemblée et, plus globalement, à la représentation nationale un réel débat sur les causes, les conséquences, les outils de lutte et sur les notions même de discrimination. Il ne voulait pas faire vite, il voulait éviter un débat d’ampleur qui aurait pu grandir avec le temps et le contraindre à des reculs qu’il ne voulait pas accepter. Ainsi s’explique l’urgence.

De la même manière, nous ne pouvons nous satisfaire du veto ministériel opposé à presque tous nos amendements, au motif que les directives européennes n’avaient pas prévu ce que nous proposons et qu’il fallait en rester à une stricte transposition. Mais alors, que n’avez-vous appliqué cette règle à votre propre rédaction, vous qui avez eu l’audace d’introduire, au détour de l’article 2, une disposition qui ne figure dans aucune des directives communautaires à transposer, et pour cause : cet alinéa prévoit la possibilité d’organiser des enseignements non mixtes ! C’est tout simplement contradictoire avec les objectifs même des directives que nous étions censés transposer.

En réalité, l’attitude du Gouvernement sur ce projet de loi fait écho à celle qu’il a eue lors de l’adoption récente du projet de loi de modernisation du marché du travail. Tantôt, il ne faudrait pas amender un projet de loi parce qu’il est issu d’une négociation avec les partenaires sociaux ; tantôt, il faudrait se contenter d’un simple copier-coller, car le projet de loi est d’inspiration communautaire.

À deux reprises, vous avez ainsi voulu réduire le rôle du Parlement à celui d’une simple chambre d’enregistrement, ce que nous ne pouvons comprendre ! C’est la raison pour laquelle nous avions déposé pas moins de vingt et un amendements, considérant, en outre, que votre projet de loi n’était pas de nature à résoudre les situations discriminantes subies par nos concitoyens.

Or, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une directive, c’est, avant tout, la définition d’une conduite à mener, d’un objectif à atteindre. Les législateurs nationaux ne sont donc pas liés. Ils doivent, certes, transposer en droit interne et veiller au respect des orientations qui la caractérisent. Mais, à côté de ce devoir, réside une liberté, celle de prendre les mesures utiles pour rendre les directives effectives et les améliorer afin que le texte qui en résulte soit de pleine application. C’est ce droit que vous avez voulu restreindre en refusant de discuter sur le bien-fondé de nos amendements, sous le prétexte d’une interprétation très particulière du droit communautaire.

Ne croyez pas, madame la secrétaire d’État, que ces critiques ne soient que de pure forme, elles reposent sur le fond.

Ainsi, avez-vous rejeté les amendements que nous avions déposés visant à préciser les définitions des différentes discriminations. Il est regrettable, par exemple, que vous ayez refusé de transposer intégralement la définition du harcèlement sexuel. Cela ne sera pas sans conséquences pour les victimes de harcèlement sur leurs lieux de travail. Elles seront contraintes d’invoquer le seul harcèlement sexuel, alors que la directive européenne reconnaissait le harcèlement sexiste.

Cette même obstination à refuser la rédaction d’une définition unique du harcèlement, large dans son contenu, se traduit inéluctablement par une hiérarchisation inacceptable des discriminations. S’il est prohibé de discriminer dans l’accès au logement en raison des origines, le projet de loi reste muet pour ce qui est de la discrimination liée à l’état de santé ou aux orientations sexuelles. Cette hiérarchisation est d’autant plus inacceptable que, dans ces situations différentes, c’est toujours le même mécanisme d’exclusion qui se met en œuvre.

Ce débat aura au moins eu le mérite de faire naître sur le sujet une réelle discussion ; effectivement, tout traitement différencié n’est pas discriminatoire, mais reconnaissez que la limite est mince, car toute discrimination est nécessairement caractérisée par un traitement différencié.

Malgré leur opposition résolue à la méthode et bien que constatant l’insuffisance de ce projet de loi, les membres du groupe communiste républicain et citoyen étaient disposés à s’abstenir. Mais c’était sans compter avec l’insertion scandaleuse du dernier alinéa de l’article 2, qui prévoit, ni plus ni moins, l’autorisation légale de revenir dans les écoles à la ségrégation en fonction des sexes. Ce retournement philosophique et historique motive à lui seul l’opposition du groupe CRC. Vous comprendrez donc que je prenne quelques minutes pour approfondir ce qui me paraît être un renoncement inacceptable à l’école du XXIe siècle que nous étions - je le croyais - déterminés à construire.

En effet, quelle étonnante disposition que celle-ci ! Elle apparaît dans ce projet de loi alors même qu’elle n’était contenue dans aucune directive. Curieuse apparition dans un projet de loi qui n’avait pour seule et unique vocation que de transposer, et rien que transposer, les directives communautaires, alors que - je me permets de vous citer, madame Dini - « cette disposition est hors champ de la directive et est contraire à la volonté de lutter contre les discriminations » ! Et comment ne pas faire siens les propos du président About, qui déclara en commission que « la mesure n’était pas acceptable, car elle pourrait conduire à exclure les filles de l’accès à l’éducation ou les astreindre à certaines filières de formation » ? Tout est dit, je crois, sur les objectifs de la mixité scolaire.

Curieusement, malgré l’opposition de Mme la rapporteur, de bon nombre de nos collègues de l’UMP, de la délégation aux droits des femmes, de l’opposition, cette disposition a été entérinée !

Quel est donc le reproche fondamental fait à l’école mixte ? Car si cette disposition a été adoptée, ce n’est pas pour satisfaire les établissements possédant des internats. Ils parviennent déjà à s’organiser correctement. Et l’on ne peut légitimement justifier une mesure législative pour une seule école, serait-ce celle de la Légion d’honneur !

Il faut dire que nombreux sont ceux qui défendent un retour au passé, à une conception ancienne de l’éducation, revenant pêle-mêle à la morale, à la blouse grise, à l’enseignement réduit à des fondamentaux et, avec cet article 2, à la séparation entre les sexes pour certains enseignements...

J’ai en mémoire l’argument développé par le sociologue Michel Fize selon lequel, en somme, la présence de jeunes filles dans les classes influe sur le comportement et le résultat des jeunes garçons. Mais enfin, rien, aucun élément scientifique ne vient corroborer ces propos. Cela renvoie indirectement à la position machiste qui suggère que les femmes qui travaillent usurpent le travail des hommes !

Je reconnais toutefois qu’un contexte favorable à ce type de conception sexuée de l’éducation - et je ne dis pas sexiste - se trouve, précisément, dans ce qui a présidé à la création de l’école mixte, c’est-à-dire non un désir d’émancipation, d’égalité, mais un état d’esprit que définit en ces termes une circulaire de 1957 : « La crise de croissance de l’enseignement secondaire nous projette dans une expérience que nous ne conduisons pas au nom de principes mais pour servir les familles au plus proche de leur domicile ». On a ainsi construit la mixité autour d’une conception utilitariste, sans l’avoir, au préalable, pensée dans ses fondements.

Certes, l’école mixte n’est, hélas, pas parvenue à réduire, à elle seule, le sexisme de notre société. Elle a, toutefois, eu le mérite de permettre aux jeunes filles d’accéder à des enseignements qu’elles se voyaient jusqu’alors refuser. Progressivement, l’école est devenue le reflet d’un monde bisexué affirmant la coexistence des sexes.

Aussi, nous refusons qu’en une ligne un projet de loi fasse le procès de la mixité, car, si l’on doit faire un reproche à la mixité, ce n’est pas son existence, c’est le manque de moyens engagés pour la faire vivre autrement. C’est la raison pour laquelle le groupe CRC ne cesse de proposer des amendements visant à confier à l’école une mission pédagogique et à dispenser aux enseignants les formations nécessaires pour réussir dans cette mission.

Nous sommes rejoints dans cette proposition par Mme Marie-Jeanne Philippe. En effet, lors de son audition, mercredi 30 avril, Mme Philippe a estimé nécessaire que soit dispensée une formation particulière aux enseignants en la matière et a souhaité que des modules de formation adaptés, lesquels existent déjà dans certains instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, soient, à l’avenir, généralisés dans la totalité de ces établissements.

Vous comprendrez donc que nous ne pouvons nous satisfaire de la position de M. André Blandin, secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique, qui affirme : « Nous ne souhaitons pas remettre en question la mixité, mais en faire une véritable éducation à la différence et une ressource éducative. Il y a des écarts de maturité évidente au collège qu’il faut prendre en compte. De même, quand des adolescents de 13 ans sont condamnés pour agression sexuelle, on peut se demander si on a vraiment tout fait pour éviter cela ». Ainsi s’interroge ce brave homme !

Drôle de raisonnement que d’expliquer des faits de viols par la simple présence de jeunes filles ! C’est ainsi que, une fois encore, on culpabilise les femmes ayant subi des violences sexuelles en les accusant soit de les avoir provoquées - on connaît la vieille rengaine ! - soit, tout simplement, d’avoir côtoyé de jeunes hommes. Cette seule phrase est, je crois, la preuve qu’il nous faut investir en moyens et en concepts pour la mixité. Il ne faut pas la mettre à bas. Elle n’est pas la cause des défaillances scolaires ; la mixité est en soi une évidence et la réalité de toute société.

Les membres du groupe CRC regrettent également que vous n’ayez pas retenu leurs amendements visant à renforcer la HALDE, pour en faire un véritable outil de lutte contre les discriminations.

Pourtant, un rapport des Nations unies, intitulé « Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels », remis par Mme Gay McDougall, experte indépendante, pointe précisément ces insuffisances. Elle en fait d’ailleurs l’objet d’une de ses recommandations en son point 78, en précisant : « La législation antidiscrimination de la France devrait être modifiée de façon à permettre de sanctionner les pratiques discriminatoires par des peines et des amendes suffisamment lourdes pour être dissuasives. Elle devrait également être modifiée - et ce point me paraît le plus important - de façon à renforcer les pouvoirs de sanctions de la HALDE en cas de non-versement de l’amende transactionnelle ». Or le projet de loi prend, madame la secrétaire d’État, le contre-pied total de cette orientation !

Vous comprendrez que le groupe communiste républicain et citoyen vote contre ce texte et, en ce centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir, je vous recommande, madame, mes chers collègues, - vous l’avez d’ailleurs sûrement déjà lu - de relire Le Deuxième Sexe.

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