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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Maîtrise de l’immigration

Par / 8 octobre 2003

par Robert Bret

Monsieur Le Président,
Monsieur Le Ministre,
Mes chers collègues,

Le débat qui arrive au Sénat aujourd’hui sur la maîtrise de l’immigration est pour le moins édifiant. Notamment parce qu’il se veut un texte fondateur de la politique du Gouvernement en matière d’immigration.
Cette politique, je crois pouvoir la résumer de la manière suivante :

1° l’étranger peut être admis sur le territoire national à une double condition strictement entendue : celle d’avoir une utilité démontrée pour l’économie nationale et de s’engager à repartir une fois cette utilité épuisée.

2° l’étranger étant, par principe, enclin à vouloir demeurer abusivement sur le territoire national, tout doit être mis en œuvre pour faire obstacle à son installation, et à fortiori celle de sa famille, par un système de contrôle tatillon sur tous les actes de sa vie privée.

Tel est l’axe majeur de la politique que vous préconisez monsieur le ministre au travers de ce texte que les timides considérations "humanitaires" et les quelques améliorations de la commission des lois et les rares acceptations de nos amendements ne sauraient parvenir à dissimuler.

Certes, monsieur le ministre, je vous reconnais le mérite de l’habileté quand vous vous montrez particulièrement modéré et humain s’agissant de la double peine - dont nous avions, je vous le rappelle, demandé l’abrogation depuis de nombreuses années, notre proposition de loi déposée sous la précédente législature en témoigne - ; pour autant toute l’architecture de ce texte aboutit à enserrer les étrangers dans un étau si étroit qu’il en est irrespirable.

Les quelques déclarations emphatiques prononcées à droite sur la richesse que les étrangers ont apporté à l’histoire nationale n’y changeront rien : le simple terme de maîtrise des flux migratoires met bien l’accent sur l’appréhension purement économique, utilitariste et opportuniste de l’étranger, que conforte la référence aux quotas et à la volonté qu’une "approche plus flexible" de l’immigration telle que voulue aujourd’hui par le commissaire européen Antonio Vittorino.

Alors certes, le discours absurde sur l’arrêt de l’immigration fait long feu tant il s’avérait absurde : selon le rapport des Nations Unies de 2002, c’est près de 175 millions de personnes - soit environ 3% de la population mondiale - qui vivent hors de leur pays d’origine ; près d’une personne sur dix habitant dans un région développée est un travailleur migrant : c’est ainsi que le nombre de migrants a plus que doublé depuis 1975 et, selon les déclarations de Juan Somovia, directeur du Bureau international du travail (BIT), le le cite, "compte tenu du phénomène de mondialisation en cours, il est très probable que ces chiffres doubleront dans le prochain quart de siècle". Nous savons tous que l’Europe est et sera déficitaire démographiquement.

Pour autant, l’acceptation de l’internationalisation de la main d’œuvre par les gouvernements libéraux n’est pas de nature à nous rassurer outre mesure : en effet, elle vise avant tout à permettre la mise à disposition du patronat une main d’œuvre idéale : sans droits, corvéable à merci, à bas salaire ; elle n’aboutit au surplus à tirer vers le bas l’ensemble des salariés pour les besoins d’une économie libérale uniquement préoccupée par la baisse des coûts du travail.

Ce qu’on oublie souvent de souligner c’est que, selon le même rapport précité de l’ONU, stopper l’immigration reviendrait pour un certain nombre de pays d’Europe et d’Asie à imposer aux salariés de travailler jusqu’à 77 ans ; on "oublie" de la même façon de rappeler la contribution des étrangers actifs à notre système de retraite - à moindres frais, d’ailleurs puisque s’ils cotisent à même hauteur que les nationaux, les étrangers vieillissant ont le plus grand mal à faire valoir leurs droits à pension - le rapport de novembre 2002 de l’inspection générale des affaires sociales sur les immigrés vieillissants est tout à fait éclairant et je vous y renvoie.

Au lieu de cela, le texte que vous présentez, monsieur le ministre, ne fait que conforter la figure de l’étranger indésirable, représentant une menace : menace pour l’emploi, on l’a vu, menace pour la sécurité ensuite.
L’étranger, dans votre texte, est ainsi toujours suspecté d’être un délinquant du droit au séjour ou du droit au travail, d’être fraudeur lorsqu’il se marie, qu’il se rend dans sa famille ou qu’il la fait venir, ou encore d’être venu en France que pour y commettre des délits dans le cas extrêmes.

Alors certes, vous prenez maintes précautions pour vous défendre d’une telle lecture renvoyant de façon un peu trop commode les accusations qui vous seraient faites.

Ce que je constate, pour ma part, c’est une dérive générale du discours qui consiste à présenter systématiquement l’immigration comme un "problème". Cette même dérive fait admettre comme un élément incontestable la responsabilité de l’immigration dans l’augmentation de la délinquance, ce qu’aucune statistique ne vient démontrer : je vous renvoi aux conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs.
Comment ne pas penser que ces "liaisons dangereuses" ne contribue pas à banaliser la xénophobie bien au-delà de la seule sphère d’influence du Front national ? Avec un bénéfice moindre puisque, que vous le vouliez ou non, ceux chez qui ce discours trouvera écho préféreront toujours l’original à la copie !

L’idée que l’immigration est une menace pour l’identité nationale transparaît de façon encore beaucoup plus insidieuse et beaucoup plus dangereuse au travers des dérives législatives répressives de votre texte, monsieur le ministre : telle est le sens de la stigmatisation de l’altérité, de la pénalisation du travailleur clandestin devenu coupable et non plus victime, du "délit d’hospitalité" qui devient même un élément constitutif de la criminalité organisée : autant d’éléments, qui, bien loin de l’affichage généreux que vous voulez donner à votre texte, monsieur le ministre, contribuent à alimenter le racisme et la xénophobie.

Pire encore, le projet de société que vous nous présentez pour les étrangers apparaît comme une véritable entreprise de démolition de leur statut. Vous avez maintes fois cité le terme d’intégration et renvoyé au fameux "contrat d’intégration" dont on n’entend plus guère parler que pour signifier la présence d’obstacles supplémentaires au droit au séjour. Mais j’attends que vous me démontriez le contraire, monsieur le ministre.

Notre vision de l’intégration va, en tout cas, bien au-delà de l’apprentissage de la langue et le rappel des valeurs de la société française : elle résulte d’une politique volontaire en matière économique, culturelle et sociale qui permet à chacun, au sein de la communauté nationale de trouver sa place. Elle résulte également pour nous de l’octroi du droit de vote que vous réclamons depuis des années : je vous rappelle l’impossibilité que nous avons eu, sous la précédente législature à la faire inscrire à l’ordre du jour malgré nos demandes répétées à la conférence des présidents : ma collègue Hélène Luc, s’en souvient.

Or, telle n’est pas la politique du Gouvernement : le débat sur l’immigration n’est qu’un des aspects des effets sociaux du libéralisme dans la mesure où il permet de faire très nettement le lien entre le démantèlement des droits économiques et sociaux dans notre pays et la situation des étrangers en France ; nous pouvons aisément faire le constat que chaque étape du processus de privatisation et de déréglementation de l’économie, chaque atteinte portée aux droits sociaux aura été accompagnée d’un renforcement de la défiance à l’égard des populations immigrées.

La politique de démantèlement des services publics en constitue un des effets les plus immédiats qui substitue la communauté ethnique à la communauté nationale.

Mais nous en trouvons des effets directs dans le présent texte de loi :
Comment ne pas être choqué par la privatisation de la gestion des centres de rétention, à la suite des prisons, qui est un bon indicateur de l’investissement financier du Gouvernement pour assumer les moyens de sa politique : la volonté d’augmenter les flux de reconduites ou d’expulsion se heurtent singulièrement à la problématique du coût ?

Comment ne pas s’interroger sur la façon dont le Gouvernement se "décharge" de la politique de l’immigration sur les maires ? Comment ne pas voir dans ce mouvement la traduction de cette décentralisation inéquitable dont le prochain projet de loi dont nous aurons à examiner prochainement est une illustration supplémentaire ? Vous nous proposez de leur donner des droits renforcés : pouvoir de s’opposer aux attestations d’accueil ( en réalité de s’opposer aux étrangers, puisque, ne nous leurrons pas, ce sera en ces termes que la question sera gérée dans les mairies tenues par le Front national !), pouvoir de s’opposer au mariage : tout ce qui devrait a priori séduire l’électeur confronté majoritairement à une dégradation de ses conditions de vie - l’étranger non-communautaire, lui, ne vote pas aux élections locales, même s’il y paye ses impôts.

De la dislocation de la politique d’immigration entre les communes, monsieur le ministre, ne peut sortir rien de bien sauf des situations d’inégalités accompagnées de tensions sociales exacerbées.
Dans quelques temps, à ce rythme, il ne restera plus rien des missions régaliennes de l’Etat ! Et ce n’est vraiment pas faire cadeau aux maires que de les rendre responsables de votre politique, monsieur le ministre. Ils en jugeront d’eux-mêmes dans quelques années lorsque les français à qui on aura refusé des certificats d’hébergement - car la plupart de ces certificats sont demandés par des français !, leur en demanderont compte.

Enfin, dans son avis d’autosaisine sur le texte, le rapporteur de la Commission nationale consultative des droits de l’homme - un de vos amis, si je ne me trompe, monsieur le ministre, devait souligner que "l’on ne saurait borner la politique d’immigration à sa seule dimension policière tant il est vrai que le développement des flux migratoires est dans la nature d’un monde de plus en plus globalisé. La commission s’interroge sur la pertinence d’une approche qui tiendrait pour acquise la liberté des échanges commerciaux, financiers et de l’information, tout en astreignant les hommes à résidence dans leurs propres pays".

Elle avait raison de s’interroger, nous semble-t-il puisque rien dans ce texte n’est fait pour nous rassurer. Ce texte dont la philosophie est très largement confirmée par le rapport contribuera à déstabiliser les étrangers en situation régulière plus qu’à lutter contre l’immigration clandestine ; elle amorce une profonde régression des droits élémentaires de la personne et pas seulement de l’étranger - ma collègue Nicole Borvo vous en apportera la démonstration dans quelques instants.

Tout cela se fait au nom d’une "normalisation" européenne, sur laquelle je clôturerais mon intervention. Cette justification, nous la contestons sur la forme comme sur le fond :
D’abord parce qu’au niveau européen, on sait bien que l’accord se fait sur le plus petit dénominateur commun - d’où l’expression de "normes minimales" ; cela ne veut pas dire pour nous qu’il faille accepter un nivellement par le bas.
Il faut le dire, on peut faire un autre choix comme celui de maintenir un haut niveau de protection sociale, sans céder systématiquement aux sirènes du libéralisme, nous le disons régulièrement.

D’autre part comparaison n’est pas raison. Et l’on peut s’interroger sur le fait de se fonder sur l’exemple allemand, dans la mesure où, l’aurait-on oublié ?, ce pays n’est devenu que très récemment dans l’histoire un pays d’immigration - à telle enseigne d’ailleurs qu’il a eu le plus grand mal à faire évoluer un droit de la nationalité dominé par le droit du sang, pour intégrer les jeunes turcs nés en Allemagne.

Tant que nous ferons prévaloir une vision purement économique de l’immigration, nous irons à l’échec : l’exemple du partenariat euroméditerrannéen est de ce point de vue riche d’enseignements. Au lieu d’une "zone de prospérité partagée", que prétendait instituer le processus de Barcelone, il est devenu une zone de libre échange assurant la suprématie politique et économique de l’Union européenne au détriment des pays et des peuples de la rive Sud. Les effets en sont catastrophiques sur le plan, de la destructuration et fragilisation de ces pays et de leurs peuples alors qu’on leur interdit, de l’autre côté, l’accès à l’autre rive.
C’est ainsi une lecture univoque de la libre circulation des personnes pourtant prônée dans la logique de la mondialisation. Une logique qui ne peut conduire qu’à des crises et des conflits.

Voici donc tracées les grandes lignes, non exhaustives, de ce que nous pensons de ce texte, dont les aspects liberticides et profondément rétrogrades vous seront démontrées par ma collègues Nicole Borvo dans la question préalable. Nous avons, vous le savez, déposé une soixantaine d’amendements dont je vous épargnerais ici la lecture exhaustive - mais qui vous le savez ont tous pour objet de combattre la philosophie de ce texte, et d’en contrer les effets les plus pervers : en bref, de sortir le débat de la discussion en catimini dans laquelle vous souhaitez l’enfermer.

En tout état de cause, et quel que soit l’avis favorable donné sur certains de leurs amendements, les sénateurs communistes refusent de s’inscrire dans la logique de votre texte, monsieur le ministre, et ne le voteront pas.

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