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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Mandat d’arrêt européen

Par / 22 janvier 2003

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Nous devons aujourd’hui nous exprimer sur l’introduction dans notre Constitution du mandat d’arrêt européen.

Je voudrais dire d’abord que je regrette que la France ait accepté des dispositions contrevenant à nos principes constitutionnels par une décision-cadre qui n’a pas valeur de traité.

Il s’agit d’une disposition lourde de sens, puisqu’elle sort l’extradition du champ politique par le transfert au champ judiciaire.

Concernant les objectifs visés par cette disposition, il va sans dire que les méthodes de la grande criminalité, devenue largement transfrontalière, nous obligent à nous doter de moyens adaptés, et donc harmonisés au niveau européen, afin de lutter efficacement contre ce phénomène.

Nous ne pouvons également fermer les yeux sur les difficultés rencontrées par les Etats membres lorsqu’il s’agit d’extrader une personne, telle que Rachid Ramda qui est toujours en Angleterre depuis maintenant 7 ans ou encore Patrick Henry, qui utilisent tous deux toutes les subtilités de la procédure d’extradition actuelle pour retarder leur retour en France.

Le traité d’Amsterdam prévoit la construction d’un espace de liberté, de sécurité et de justice. Cet objectif -louable- qui permettrait de s’attaquer à une grande criminalité de plus en plus mobile et profitant de l’ouverture des frontières, pourrait être atteint de deux manières : en procédant à l’harmonisation progressive des législations pénales des Etats membres ou en organisant la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. Lors du Conseil européen de Tampere d’octobre 1999, il a été décidé de privilégier la deuxième solution.

Par conséquent, au lieu de travailler à une unification des codes pénaux et des procédures pénales des Etats membres, œuvre effectivement difficile entre les Etats membres mais indispensable, la voie empruntée depuis Tampere aboutit à la mise en place d’un espace judiciaire alors que subsistent des disparités entre les législations.

Le mandat européen vient s’inscrire dans cette démarche, puisqu’il s’inscrit dans le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, alors qu’il n’existe pas d’harmonisation des systèmes pénaux en Europe. Ce mandat d’arrêt a été décidé en toute hâte, l’Union européenne ayant voulu réagir immédiatement aux attentats du 11 septembre 2001.

Nous sommes bien entendu favorables à une plus grande efficacité dans la lutte contre la grande criminalité et le terrorisme, et nous soutenons tout ce qui va en ce sens - mais uniquement dans ce sens. Or nous ne pouvons dissocier le mandat d’arrêt européen de la décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme dont la définition est si vaste et imprécise qu’elle pourrait inclure les luttes syndicales.

Car ce nouveau procédé permettant l’extradition de personnes recherchées dans l’Union européenne n’est pas une petite réforme : le mandat d’arrêt va profondément modifier la procédure d’extradition.

Le mandat d’arrêt vise tant des infractions lourdes que mineures et dans tous les cas les droits des personnes seront moins protégés qu’avec la procédure actuelle.

En effet, une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt, matérialisé par un formulaire unique pour tous les Etats membres, pourra être remise à l’Etat d’émission du mandat si elle est poursuivie pour une infraction passible d’une peine d’au moins un an d’emprisonnement ou si elle est condamnée à une mesure privative de liberté ou à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins quatre mois. Pour ces infractions, le principe de double incrimination subsiste, l’infraction devra être reconnue comme telle dans l’Etat d’émission comme dans l’Etat d’exécution.

En revanche, la décision-cadre du 13 juin 2002 prévoit une liste de 32 infractions graves, pour lesquelles le principe de double incrimination a été écarté. Il s’agit notamment du terrorisme, du trafic d’armes, de drogue, de la traite d’êtres humains, du blanchiment, etc. Or, le caractère générique de ces infractions soulève des interrogations au regard du principe de la légalité des peines et de l’égalité entre les justiciables européens.

Mais surtout, le mandat d’arrêt européen a pour objet de supprimer le mécanisme traditionnel de l’extradition dans sa dimension politique et intergouvernementale, puisqu’il représente une application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires au sein de l’Union européenne, principe issu du Conseil européen de Tampere de 1999.

Dans une procédure traditionnelle d’extradition, c’est au pouvoir politique que revient la décision de procéder une extradition ou à la refuser. Le mandat d’arrêt devient une procédure exclusivement judiciaire, en supprimant la phase administrative et politique, ainsi que le contrôle exercé par les juridictions administratives.

Mais le contrôle des juridictions administratives n’est pas le seul à être supprimé : les juridictions judiciaires voient également leur contrôle en grande partie réduit.

En effet, lors d’une procédure d’extradition classique, le contrôle judiciaire porte sur la matérialité des faits et la légalité de la demande. Dans le cadre du mandat d’arrêt, ce contrôle ne portera plus que sur la régularité formelle du document.

Ainsi, la procédure du mandat d’arrêt, en permettant la remise quasi automatique d’une personne recherchée, dans des délais beaucoup plus courts, entraîne également une réduction des procédures de vérification, conduites jusque là par les juridictions judiciaires.

Le mandat d’arrêt ne doit pas se transformer en un instrument uniquement répressif, pouvant conduire à des dérapages de la part des autorités chargées de l’arrestation de la personne poursuivie, étant donné le minimum de contrôles prévus par la décision-cadre.

Nous pouvons craindre que cette procédure, plus rapide qu’une procédure traditionnelle d’extradition, soit l’occasion d’abus de pouvoirs à l’encontre de la personne poursuivie, tant dans la mise en œuvre du mandat (arrestation, notification du mandat, détention provisoire) que dans son exécution (remise de la personne à l’autorité judiciaire d’émission).

D’autant plus que si la personne poursuivie a bien le droit, selon l’article 11 de la décision-cadre du 13 juin 2002, à un conseil et à un interprète, rien n’indique que leur présence soit obligatoire dès le début de la procédure.

Enfin, certains droits, comme le droit au recours contre la décision d’exécution du mandat, sont éludés de la décision-cadre par renvoi aux droits nationaux.

Le mandat d’arrêt européen repose sur un principe de confiance mutuelle entre les Etats membres. Il est donc supposé que chacun de ces Etats, au travers de leur législation pénale, respecte la démocratie et l’Etat de droit, ce qui est une exigence que nous sommes en droit d’attendre.

Malheureusement, nos craintes se trouvent justifiées par des faits bien réels : les manifestants de Gênes lors du sommet du G8 ne risquent-ils pas d’être incriminés en Italie pour terrorisme ?

D’autant plus que la procédure de mandat d’arrêt ne pourra être suspendue qu’« en cas de violation grave et répétée par les Etats membres des droits fondamentaux ».

Le fait que les garanties au regard des droits des personnes poursuivies sont insuffisantes nous interpelle d’autant plus que la remise d’une personne sera possible pour des infractions d’une gravité moindre. Le risque est alors de voir émises des demandes de mandat d’arrêt pour des infractions minimes, telles que le vol simple, les dégradations volontaires, les outrages à agents en réunion, etc… sans que les contrôles judiciaires soient étendus, et sans que les disparités entre les systèmes de droit pénal de chaque Etat membre soient supprimées au profit d’un droit pénal européen.

Dans le cadre du mandat d’arrêt, il suffira d’être soupçonné d’avoir commis un crime puni d’au moins un an d’emprisonnement pour en faire l’objet. Ce sont pratiquement toutes les infractions du code pénal français qui sont ainsi concernées par cette nouvelle procédure, de l’usage de cannabis à l’assassinat, en passant par le séjour irrégulier des étrangers.

Cette question du seuil de peine encourue s’est d’ailleurs posée dès l’instauration, en 1957, d’un droit européen de l’extradition. La Convention de 1957 avait posé le principe que l’extradition est possible pour les faits punis d’une peine privative de liberté d’au moins un an. La France avait alors émis une réserve pour porter à deux ans, comme le prévoit sa loi du 10 mars 1927 relative à l’extradition des étrangers, le seuil de peine encourue à partir duquel elle accepte l’extradition.

Cette question s’accompagne aujourd’hui immanquablement de celle des garanties apportées à la personne poursuivie tout au long de la procédure du mandat d’arrêt, mais également de celle de l’unification des législations et des procédures pénales.

Or, le mandat d’arrêt n’induit pas cette unification nécessaire à une lutte efficace de la grande criminalité. Il permet au contraire la coexistence de profondes disparités entre les Etats membres et justifie ainsi l’utilisation, dans chaque pays membre de l’Union, l’utilisation de procédures exceptionnelles.

Mais ce procédé qui consiste à pouvoir mettre en œuvre des procédures exceptionnelles devient systématique depuis les attentats du 11 septembre, et qui a fait s’instaurer dans nos démocraties un climat ultra-sécuritaire.

La menace que font peser ces attentats sur nos pays semble justifier l’adoption de mesures non seulement attentatoires aux libertés, mais surtout floues et imprécises, que n’ont pourtant pas hésité à entériner d’une seule voix les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, dans un souci d’image médiatique plus que de sagesse.

La suppression de la procédure traditionnelle d’extradition et son remplacement par le mandat d’arrêt européen, procédure adoptée sans aucune légitimité démocratique, vont faire exploser les boucliers de protection des libertés individuelles que sont encore pour peu de temps, en matière de d’extradition, la procédure contradictoire, l’audience collégiale et les voies de recours.

Le mandat d’arrêt européen devrait suivre et non précéder la construction d’un droit pénal européen unifiant les incriminations et les institutions judiciaires européennes. Des propositions restent dans ce sens, par exemple les propositions franco-allemandes pour la construction européenne.

Mais seule la précipitation a guidé les esprits prompts à lutter contre le terrorisme en instituant une législation d’exception dans l’Union européenne.

J’ajouterai les nécessaires mesures communes pour lutter contre le financement du terrorisme : transparence des transactions, levée du secret bancaire…

Vous comprendrez donc aisément que nous ne pourrons voter en faveur de ce projet de loi constitutionnelle qui vise à introduire une procédure pour le moins controversée que constitue le mandat d’arrêt européen.

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