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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Modernisation des institutions de la Ve République (2)

Par / 17 juin 2008

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quatre petites heures de discussion générale sur un projet de loi constitutionnelle qui est jugé par ses auteurs et ses partisans comme le plus important depuis 1958, c’est bien peu !

Nous sommes loin d’un grand débat national, pourtant démocratiquement nécessaire dès lors que l’on touche à l’équilibre de nos institutions. Nous sommes bien loin, à l’heure où se déroulent des opérations contestables pour gagner quelques voix à Versailles, du référendum tout aussi démocratiquement nécessaire, comme en 1958, en 1962, en 1969 et en 2000, lors de réformes constitutionnelles importantes.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est vrai !

M. Guy Fischer. Mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat a montré tout à l’heure que le rééquilibrage annoncé était inexistant et que, bien au contraire, la dérive présidentialiste s’accentuait. Celle-ci, selon certains professeurs de droit constitutionnel, s’apparenterait même à une « dérive consulaire », en référence à la pratique institutionnelle de Bonaparte. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Un fait est certain : ce texte ne satisfait pas à l’attente démocratique de notre peuple, qui, à chaque consultation électorale, s’annonce plus forte et plus impatiente.

Rien n’est prévu pour répondre à une question essentielle : comment rapprocher le citoyen et ses représentants des centres de décision européens ? Pourtant, il s’agit tout de même de l’un des problèmes clefs de l’heure !

M. Michel Charasse. Le problème de l’Europe, c’est le peuple !

M. Guy Fischer. Or, le projet de loi constitutionnelle effleure le sujet. Pis, il impose un traité, celui de Lisbonne, qui, comme l’a rappelé Robert Bret, est aujourd’hui rendu caduc dans sa forme actuelle par le peuple irlandais.

Ainsi, les vestiges des défunts traités s’accumulent dans notre Constitution. Comment commencer ce débat sans tirer les leçons de la crise institutionnelle européenne actuelle, qui emporte de lourdes conséquences sur la hiérarchie des normes entre la nation et l’Europe ?

Ce texte ne répond pas non plus aux attentes démocratiques de notre peuple à l’échelle nationale. Rien n’est prévu, sauf une initiative parlementaire s’appuyant sur une démarche populaire extrêmement encadrée pour rétablir le lien entre les institutions et les citoyens. La démocratie participative, dont tout le monde ou presque se réclame, reste lettre morte.

Cette révision n’améliore pas la représentativité des assemblées. L’idée même d’une représentation proportionnelle, pourtant affichée, certes de manière très restreinte, par Nicolas Sarkozy durant sa campagne, lors de l’installation du comité Balladur et dans la lettre qui dictait à François Fillon le présent projet de loi constitutionnelle, se trouve écartée d’un revers de main. Pourtant, 81 % des Français y sont favorables, comme le révélait un sondage publié l’hiver dernier.

En outre, le droit de vote des étrangers se trouve exclu, ainsi que toute réforme réelle du Sénat.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, affirmait que cette réforme n’était ni de gauche ni de droite. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

M. Bernard Frimat. Il s’est trompé !

M. Guy Fischer. En tout cas, les refus que j’évoque montrent qu’il ne s’agit pas d’une réforme de gauche, bien au contraire !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Mais puisque j’ai dit : « Ni de gauche ni de droite » !

M. Guy Fischer. Le combat de la gauche, des forces qui portent l’espérance des plus faibles, des exploités, des plus modestes, des plus démunis, ...

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Allons donc !

M. Guy Fischer. ... ne peut se retrouver dans un texte qui vise à concentrer les pouvoirs entre les mains d’un seul homme et à briser le débat démocratique au sein des assemblées parlementaires.

La conception, la construction puis la représentation de ce texte reposent sur une hypocrisie fondamentale : il restaurerait les droits du Parlement et permettrait de brider le pouvoir exécutif. Depuis un an, nous observons M. Nicolas Sarkozy, relayé par M. Édouard Balladur et par le Gouvernement, agiter ce leurre.

C’est une véritable campagne d’intoxication qui s’est déroulée, et qui continue. Cadrés par différentes lettres de mission invoquant la nécessité d’un « renforcement des pouvoirs du Parlement », les porte-parole du Président de la République se sont mis à l’ouvrage : la réforme aurait pour conséquence « un pouvoir législatif profondément renforcé », selon Mme Dati ; elle constituerait une « révolution », selon M. Karoutchi, ...

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est expert en la matière !

M. Guy Fischer. ... qui pense « faire aboutir des réformes souhaitées depuis des années, voire des décennies, par tous les groupes parlementaires ».

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Ah oui ! J’ai le droit de rêver !

M. Guy Fischer. M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui a sans doute décroché le prix du meilleur vendeur de cette révision constitutionnelle, indiquait même, le 23 avril dernier, que ce texte allait « rendre à chaque parlementaire un vrai rôle, une vraie identité et lui donner une vraie influence dans l’élaboration des lois ».

Comme le dit l’adage, « plus c’est gros, mieux ça passe » ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Louis Carrère applaudissent.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Et plus c’est vrai !

M. Guy Fischer. Mais quel aveu du réel mépris que vous portez à l’égard des assemblées, monsieur le secrétaire d’État !

Ainsi, M. Accoyer, président de l’Assemblée nationale,...

M. Jean-Claude Carle. Excellent président au demeurant !

M. Guy Fischer. ...percevait-il dans ce texte, voulant sans doute ne pas être en reste, « une chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement ».

Avant de vous démontrer point par point que de telles affirmations relèvent de la plus pure propagande, permettez-moi une première remarque : pourquoi ne pas avoir fait confiance au Parlement pour élaborer cette révision qui, selon vous, le concerne en premier lieu ?

Comme l’indiquait un professeur de droit constitutionnel, « qu’une commission nommée par l’exécutif octroie des droits nouveaux au Parlement a quelque chose de paradoxal, presque d’indécent ». C’est ce même professeur, M. Serge Sur, qui a lancé cette formule particulièrement pertinente selon laquelle « ce prétendu renforcement du Parlement n’est que la salade qui entoure le rôti ». (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le « rôti », c’est le discours du Président de la République devant le Parlement, c’est la présidentialisation du régime, mise en place selon « la politique de l’artichaut », c’est-à-dire feuille après feuille. (M. Jean-Luc Mélenchon rit.)

Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, dénoncent la tromperie de ce projet de loi et mettent en lumière sa vraie nature, à savoir un pas vers la présidentialisation, je dirai même vers l’hyper-présidentialisation.

Or cette baudruche se dégonfle au fil des semaines, et nous pouvons être reconnaissants à M. Hyest de ne pas masquer grand-chose dans son rapport, en exposant sans sourciller comment les droits des parlementaires, celui d’amender, celui de débattre, seraient réduits à néant ou presque.

Une cohérence profonde apparaît après décryptage. La primauté conférée au débat en commission, la restriction évidente du droit d’amendement et les nouvelles modalités de fixation de l’ordre du jour constituent une agression voilée, mais d’une rare violence, contre les acquis démocratiques du débat parlementaire.

Ces dispositions constituent un concentré des souhaits affichés depuis des décennies par les adversaires du pluralisme et de la transparence.

Le travail en commission nous est présenté comme la panacée. Or, s’il est nécessaire - et j’attache personnellement une grande importance à ce travail préparatoire, d’approfondissement -, il doit cependant demeurer le prélude de la séance publique, qui est le lieu naturel de la confrontation d’idées, de la présentation au grand jour des propositions des groupes politiques et de chaque parlementaire.

Limiter le travail législatif au travail en commission, c’est mettre à mal le pluralisme, car seuls les groupes importants disposent des moyens d’assumer une présence forte et régulière en leur sein ; c’est donc renforcer le fait majoritaire.

C’est également un coup porté à la transparence. Est-ce le modèle des commissions du Parlement européen qui vous inspire, commissions mises constamment sous pression par des milliers de lobbies qui se révèlent être un véritable fléau ?

Ainsi, le fait de discuter en séance publique sur la base du texte élaboré en commission et non plus du projet gouvernemental est-il présenté comme une avancée démocratique. Or, c’est un mensonge ! Il s’agit, en fait, d’un tour de passe-passe pour modifier profondément la nature du débat en séance publique.

Il convient de faire le lien avec cette nouvelle disposition qui précise, à l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, que le droit d’amendement s’exerce « en séance ou en commission ».

Comme le confirme M. Hyest, c’est la conjonction « ou » qui est fondamentale. Il sera ainsi permis de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, depuis 1990, permettait à chaque parlementaire d’amender en séance publique.

Le but poursuivi est maintenant clair : vous voulez étendre la pratique des procédures simplifiées qui interdit aux parlementaires de déposer des amendements lors de la séance plénière.

Cette procédure est aujourd’hui limitée à des textes d’une portée politique secondaire, comme les conventions internationales. Fait important, tout groupe parlementaire peut aujourd’hui s’opposer à la mise en œuvre de la procédure simplifiée et demander un examen en séance publique.

Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est de généraliser le champ d’intervention de cette procédure et de retirer aux groupes la possibilité de s’y opposer, en renvoyant la décision à la conférence des présidents, donc à la majorité.

Vous évoquez, monsieur le rapporteur, une loi organique censée préciser la portée de ce nouveau dispositif. Est-il possible d’envisager une telle restriction du droit d’amendement et de la séance publique en restant dans le flou d’un renvoi à une loi organique au contour hypothétique ? Celle-ci aurait déjà dû être élaborée et présentée aujourd’hui aux parlementaires.

Avec une franchise inquiétante, M. Hyest conclut sur ce point en évoquant la possibilité d’une adoption complète des textes de lois en commission, tout en affirmant que les Français ne sont pas encore prêts à cette évolution.

Le droit d’amendement est également attaqué par un autre biais, à savoir la mise en place d’un véritable 49-3 parlementaire. En effet, les motivations de l’article 18 du présent projet de loi, exposées dans le rapport du comité Balladur, sont claires : « La principale proposition du comité est de donner à la conférence des présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l’examen des projets et propositions de lois. Cela suppose que le temps de la discussion, y compris celui consacré aux motions de procédure, à la discussion générale et à celle des articles soit réparti entre les groupes politiques [...] Une fois écoulé le temps de la discussion, celle-ci serait close et l’on en viendrait au vote. En cas de besoin, la conférence des présidents disposerait de la faculté de décider qu’il y a lieu de prolonger le débat, en accord avec le Gouvernement ».

Cette tentation de réduire le débat démocratique est grave. Je constate, monsieur le rapporteur, que, dans vos commentaires sur l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, vous n’évoquez pas cette proposition de M. Balladur. C’est pourtant la logique profonde du projet de révision qui transparaît ici, ce qui est appelé « renforcement des droits du Parlement » n’étant autre que le renforcement du fait majoritaire.

Les droits de l’opposition, de la minorité, seront foulés au pied par une conférence des présidents totalement acquise au pouvoir exécutif en place. D’ailleurs, le rapport du comité Balladur ne s’y trompe pas : il évoque cette programmation concertée de la durée des débats comme « un élément essentiel de la rénovation du travail parlementaire ».

Ainsi, pour le Président de la République et l’UMP, rehausser les droits du Parlement, c’est étouffer le droit d’amendement et réduire autant que possible la séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Le silence et l’obscurité deviendraient de ce fait les qualités nouvelles d’un Parlement modernisé, rénové ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Très bien ! Mais nos collègues de la majorité n’écoutent pas !

M. Guy Fischer. Enfin, comment ne pas faire le lien entre ces deux premiers points : d’une part, la limitation du débat au cadre des commissions et la restriction du droit d’amendement et, d’autre part, la nouvelle organisation de l’ordre du jour ? Cette dernière qui, selon M. Hyest, est d’ailleurs complexe, irréaliste, rigide et offre des garanties très insuffisantes pour le Parlement, met en place le recul programmé de la séance publique dédiée au travail législatif.

Faire la loi est pourtant la prérogative première de la représentation nationale depuis la Révolution française. C’est donc à la remise en cause fondamentale de ce principe républicain que nous assistons aujourd’hui.

Deux semaines seraient désormais consacrées à l’examen des textes du gouvernement et à des débats thématiques, une semaine le serait au contrôle, et une journée serait consentie aux groupes non majoritaires : telle serait la nouvelle organisation de l’ordre du jour.

Nous estimons, quant à nous, que le Parlement doit être totalement maître de son ordre du jour et que, s’il souhaite légiférer quatre semaines sur quatre pour répondre aux besoins du peuple, il en a le droit, il en a le pouvoir, il en a le devoir ! (M. Patrice Gélard s’exclame.)

Comment ne pas constater, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, que vous imposez un véritable corset au Parlement (Protestations sur les travées de l’UMP.),...

M. Éric Doligé. Quelle exagération !

M. Guy Fischer. ... dont le Président de la République peut resserrer les liens selon son bon vouloir et les exigences de l’heure, avec la complicité du groupe majoritaire, qui détiendra un pouvoir absolu dans chaque assemblée ?

On comprend mieux, dans ce contexte, l’acharnement stupéfiant de l’UMP à conserver la maîtrise du Sénat contre vents et marées, contre la volonté populaire.

Mes chers collègues, en évoquant ces quelques points, j’ai tenu à vous alerter sur l’importance de votre vote. J’ai tenu à dévoiler la véritable ambition du pouvoir en place : changer le régime, porter un coup masqué à la démocratie.

L’évolution du fonctionnement de nos institutions depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel, en 1962, devrait vous inciter à une réflexion en profondeur sur le mode d’élection du Président de la République.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, pour leur part, refusent cette rupture d’équilibre au profit du Président de la République et au détriment du pluralisme et du débat démocratique, et c’est sans hésitation qu’ils voteront contre le texte qui nous est soumis.

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