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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nier le génocide, c’est porter atteinte à la démocratie, à notre Déclaration des droits de l’homme

Répression de la négation des génocides -

Par / 23 janvier 2012

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut avoir la lucidité et le courage de reconnaître que l’examen cet après-midi par la Haute Assemblée de la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi suscite un certain malaise parmi nous.

Depuis son adoption par l’Assemblée nationale à une très large majorité, mais en présence d’une cinquantaine de députés seulement, ce texte, qui pourrait en apparence sembler logique et cohérent, a ouvert la boîte de Pandore des questions et des doutes.

Curieusement, à l’inverse de ce qui s’était passé ici même au mois de mai dernier, le clivage sur la question de la pénalisation des génocides se situe non plus entre la droite et la gauche, mais entre partisans et opposants à l’idée de légiférer sur ce sujet.

Que s’est-il passé depuis qui puisse, en partie, expliquer cette situation ?

Ce texte ne concerne pas explicitement le génocide arménien, mais celui-ci étant désormais reconnu par la loi française, c’est implicitement le cas.

L’inscription assez précipitée de ce texte, il faut le relever, à l’ordre du jour de notre assemblée a fait resurgir à la fois des questions de fond qui n’avaient pas véritablement été tranchées et des soupçons de manœuvre électorale. Le cocktail de ces deux éléments contribue à entretenir le malaise que je viens d’évoquer.

Le soupçon d’électoralisme est patent.

Nous sommes nombreux ici à avoir compris que sur cette question particulière, comme sur d’autres sujets – l’adoption jeudi d’une proposition de loi concernant les harkis étant le dernier exemple en date –, le Président de la République tente d’amadouer telle ou telle catégorie de la population pour obtenir une majorité à l’élection présidentielle.

Après les harkis, bien utiles pour récupérer des voix, ce sont maintenant nos 500 000 compatriotes d’origine arménienne qui sont à leur tour utilisés.

Mme Natacha Bouchart. N’importe quoi !

Mme Isabelle Pasquet. Je dis cela sans détour, car les déclarations du Président de la République et l’attitude de nos collègues de la majorité présidentielle, qui sont insidieusement électoralistes, prêtent le flanc à de telles critiques.

Certes, Nicolas Sarkozy avait promis de légiférer sur cette question lors de son voyage en Arménie l’an dernier. Toutefois, quelles raisons peuvent bien expliquer que, alors qu’il était hier agacé par les demandes de repentance concernant les actes de notre pays, il soit aujourd’hui si prompt à adresser une telle demande à un État souverain ?

Une telle précipitation, sur un sujet aussi délicat, aussi douloureux, aussi complexe, est suspecte à l’approche de l’élection présidentielle.

Ce sujet est d’ailleurs si complexe et soulève tant de questions juridiques et constitutionnelles qu’il est difficilement acceptable de délibérer si rapidement. Songez ainsi que la commission des lois n’a disposé que d’une semaine à peine pour rédiger son rapport !

L’attitude de nos collègues de la majorité présidentielle ajoute aux doutes que l’on peut avoir sur la sincérité de la démarche. En effet, alors qu’une proposition de loi traitant de la même question était venue ici même en discussion en mai 2011, vous aviez utilisé pour la repousser, chers collègues de l’opposition sénatoriale, des arguments totalement contraires à ceux que vous avancez aujourd’hui. Pour justifier ce retournement acrobatique, le président du groupe de l’UMP n’a aucunement hésité à avouer qu’il s’agissait de ne pas gêner le Président de la République. Tout est dit ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Les arrière-pensées électoralistes éclatent au grand jour !

M. Jean-Claude Gaudin. Je devrais être fusillé pour cela !

M. Jean-Louis Carrère. Au minimum ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Gaudin. Je rappelle que, en 2001, j’étais le premier signataire de la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 !

M. le président. Veuillez laisser l’orateur poursuivre, s’il vous plaît !

Mme Isabelle Pasquet. Électoralisme, communautarisme, lecture politique de l’histoire : c’est dans ce contexte confus, passionné, mais aussi malsain, que se déroule notre discussion.

Pourtant, une question aussi grave mérite du respect, de la dignité et de la cohérence, toutes caractéristiques qui ont toujours guidé notre démarche. Pour notre part, nous voulons rester cohérents et logiques avec nous-mêmes, mais aussi demeurer fidèles à notre engagement auprès de nos compatriotes d’origine arménienne et faire preuve à leur endroit de la solidarité active que nous leur avons toujours manifestée.

La cohérence, c’est de considérer que la reconnaissance il y a dix ans par une loi française du génocide des arméniens dans l’Empire ottoman doit maintenant être prolongée par des sanctions pénales.

Mon ami Guy Fischer, pour qui j’ai une pensée toute particulière aujourd’hui – il est certainement en train de nous regarder –, fut le premier signataire d’une proposition de loi similaire à celle que nous examinons aujourd’hui, déposée par notre groupe en juillet 2005, puis redéposée régulièrement jusqu’en 2010. Dans son exposé des motifs, il soulignait l’importance du travail qu’il restait à accomplir pour tirer toutes les conséquences de la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

C’est la même logique qui avait conduit à l’adoption de la loi Gayssot en 1990 sur la contestation des crimes contre l’humanité figurant en annexe à l’accord de Londres du 8 août 1945, mais aussi du génocide du peuple juif tel qu’il a été défini par le tribunal militaire de Nuremberg.

Cette loi ne pouvait évidemment pas, en l’absence d’une reconnaissance qui n’interviendra que plus tard, prendre en compte le génocide du peuple arménien. C’est la raison pour laquelle il est aujourd’hui nécessaire de compléter les dispositions de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, à laquelle la présente proposition de loi fait référence, et de créer un délit pénal, non seulement pour contestation, mais aussi pour minimisation outrancière d’un génocide désormais juridiquement reconnu en France.

C’est aussi une question de logique juridique et de coordination pénale.

Il serait naïf de croire que les Français d’origine arménienne sont aujourd’hui, sur notre territoire, à l’abri de manifestations d’opinions ou d’actes visant à nier ou à contester le génocide dont ont été victimes leurs ancêtres. Car il y a bien eu, au sens juridique du terme, une entreprise délibérée de massacre et d’élimination programmée d’un peuple par des troupes agissant sous les ordres d’un gouvernement. Ce n’est pas une assemblée politique qui le dit, mais des historiens ayant travaillé scientifiquement, selon les règles de leur discipline, en rassemblant documents et témoignages et en les soumettant à un examen critique.

Comme le prévoit le texte dont nous discutons, la contestation ou la minimisation de ces faits doit pouvoir être sanctionnée. Il s’agit de reconnaître les souffrances héritées du passé, d’offrir une réparation symbolique aux pires blessures de l’histoire et d’interdire la négation des pages les plus dramatiques du siècle passé. Voilà de quoi il s’agit ! Il n’est pas question de limiter la liberté d’expression ni d’entraver la recherche historique.

Périodiquement, le gouvernement turc suscite des manifestations de négationnisme, lesquelles prennent la forme de profanations de lieux de mémoire arméniens, de stèles, de monuments commémoratifs ou bien encore de propos révisionnistes et négationnistes, qui se propagent en toute impunité sur internet.

Nous avons tous en mémoire ce type de manifestations violentes et les actes de profanation commis à Lyon en 2006 visant explicitement la communauté arménienne.

Au-delà de simples délits de droit commun, il faut aussi pouvoir prendre en compte la signification profonde de tels actes. Il ne faut plus que le négationnisme et les actes de propagande puissent être à l’œuvre dans notre pays. Ils doivent être pénalisés !

Au nombre des pressions exercées par le gouvernement turc sur notre pays, il faut aussi relever l’impressionnante manifestation qui a eu lieu samedi dernier à Paris. Plus d’une dizaine de milliers de ressortissants turcs, venus de toute l’Europe, ont scandé des slogans démontrant sans ambigüité leur volonté de nier le génocide des arméniens.

Nos compatriotes d’origine arménienne attendent, à juste titre, de pouvoir être protégés dans ce domaine. Ils attendent de nous que justice soit rendue à la mémoire de leur peuple et qu’on ne puisse impunément lui porter atteinte en France.

La pénalisation que prévoit le présent texte relève tout simplement du droit élémentaire de chacun à ne pas être publiquement injurié. C’est aussi la possibilité d’obtenir réparation quand sont niées les raisons pour lesquelles a eu lieu un massacre et les conditions dans lesquelles il s’est déroulé.

Ce que sanctionne ce texte, c’est la négation en tant qu’elle représente une incitation à la haine qui provoque un trouble à l’ordre public.

En légiférant, le Parlement confirmera le vote historique de 2001 et pourrait, à l’échelon international, conforter le rôle de défenseur des droits de l’homme de la France partout dans le monde.

Dans notre pays, la négation et la contestation de pratiques génocidaires doivent pouvoir être réprimées toutes les fois qu’elles constituent une atteinte à l’ordre public démocratique, et une atteinte à la démocratie tout court. Or, en l’état actuel de notre droit, cela n’est pas possible.

De même, ces pratiques étant clairement contraires aux droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans des déclarations universelles opposables en droit international, en les niant, on porte du même coup atteinte à ces déclarations et on affaiblit la portée des garanties qu’elles présentent pour les citoyens.

En outre, les réactions courroucées du gouvernement turc, qui a rappelé son ambassadeur, multiplié les pressions et brandi des menaces de rétorsions diplomatiques et économiques, indiquent clairement que cet État pratique une forme de négationnisme officiel sur la question du génocide arménien et montrent que la liberté d’expression sur ces questions n’existe pas dans ce pays.

Les autorités turques ne s’élèvent pas seulement contre le fait qu’une loi réprimant le négationnisme puisse être adoptée : elles nient la réalité même du fait génocidaire. Ce négationnisme sournois, insidieux, qui se réfugie derrière le respect de la liberté de penser, conforte les partisans des sanctions nécessaires pour s’en défendre.

Cela étant, comme d’autres membres du groupe CRC, je suis consciente des difficultés que soulève cette proposition de loi. Je suis également sensible aux nombreuses interrogations et aux fortes réticences qu’elle suscite. Il faut évidemment s’interroger sur la compétence de nos assemblées parlementaires à qualifier des faits historiques et à encadrer, d’une manière ou d’une autre, le travail des historiens.

Comme l’a soutenu avec son talent habituel M. Sueur, rapporteur de la commission des lois, la légitimité de l’intervention du législateur dans le jugement de l’histoire et sa compatibilité avec plusieurs principes fondamentaux de notre droit soulèvent de grands risques d’inconstitutionnalité.

De la même façon, on ne peut que s’inquiéter de la détérioration de nos relations avec la Turquie, mais également de la perte d’influence de notre diplomatie dans la région.

Notre pays se prive de marges de manœuvre internationales sans pour autant favoriser la réconciliation entre la Turquie et l’Arménie et aider à la reconnaissance du génocide arménien. Si l’on souhaite sincèrement que la Turquie se penche sur son histoire, est-ce là la meilleure méthode ?

Enfin, certains pensent qu’il y a une contradiction entre le fait de prendre le risque de faire dépendre notre politique extérieure du poids de toutes les communautés fondant notre pays et celui de prétendre lutter contre le communautarisme, comme le fait le Gouvernement.

Je ne rejette pas ces arguments, qui justifient l’opposition de certains à l’adoption de ce texte. Toutes ces critiques et ces interrogations ont suscité des différences d’appréciation et divisent le groupe communiste républicain et citoyen. Toutefois, le plus grand nombre de sénatrices et de sénateurs du groupe CRC votera en faveur de l’adoption de ce texte. Certains voteront contre. D’autres, enfin, ne participeront pas au vote.

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