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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Présomption d’innocence et droits des victimes

Par / 29 mars 2000

Intervention générale de Robert Bret

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner en deuxième lecture l’un des volets fondamentaux de la réforme de la justice : le renforcement de la présomption d’innocence.

Depuis son premier passage au Sénat, en juin 1999, bien des événements se sont produits qui auraient pu jeter le voile sur une réforme pourtant essentielle pour les justiciables.

Je pense au report du Congrès et de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans la mesure où le sort de ces deux textes avait été lié étroitement par le Président de la République lui-même, on aurait pu craindre le pire. Heureusement, tel n’a pas été le cas, et nous vous le devons pour une part, madame le garde des sceaux.

Les parlementaires de la majorité comme de l’opposition ont fait la démonstration que, sur un sujet aussi important que la réforme de la procédure pénale, ils savaient dépasser leurs clivages partisans et se retrouver autour d’un idéal commun de justice.

Certes, des divergences demeurent encore, au moment de cette deuxième lecture, sur les dispositions qui nous reviennent de l’Assemblée nationale. Chaque groupe apportera sa contribution sur les différents points qui restent en discussion.

Néanmoins, comme l’a rappelé le président de la commission, le travail parlementaire a été le résultat d’un dialogue fructueux au sein de chaque assemblée comme entre les deux chambres. Ainsi, vingt-sept articles ont été adoptés par le Sénat en première lecture, vingt et un l’ont été par l’Assemblée nationale en deuxième lecture et, si mes calculs sont bons, sur les cent quatre articles qui demeurent en discussion, trente-sept font l’objet d’une proposition d’adoption conforme par la commission des lois, tandis que la vingtaine de propositions de suppression présentées par l’Assemblée nationale pourrait être entérinée, si nous décidions de suivre ses conclusions.

C’est pourquoi nous regrettons la position adoptée par la commission des lois sur des points terminologiques.

Ainsi, est-il vraiment utile de focaliser le débat sur la question de la dénomination du juge de la détention provisoire si l’on n’en change fondamentalement ni le rôle ni la composition ? Doit-on vraiment remettre en débat des articles pour retenir l’appellation de " chambre de l’instruction " plutôt que " chambre d’appel de l’instruction " ? L’adjonction ou le retrait de l’adjectif " précis " pour les indices graves ou concordants bouleverse-t-il réellement les conditions de mise en examen ?

Je pense que, si nous pouvions éviter, lors de la discussion, les petites guerres de tranchées, le débat ne s’en porterait que mieux au regard des objectifs fondamentaux du projet, que nous partageons tous ou presque ici.

Il s’agit de concilier efficacité de la procédure pénale et respect des droits de la défense, de faire coexister, voire coïncider droits des victimes et droits de la personne soupçonnée, de trouver un juste équilibre entre défense sociale et garantie des libertés individuelles.

Entre ces exigences souvent antinomiques ou contradictoires, notre droit oscille sans cesse.

Il revient au projet de loi, singulièrement enrichi par la navette parlementaire, d’avoir eu le mérite de poser la question en termes globaux et non plus seulement parcellaires.

C’est, en effet, l’ensemble de notre système pénal qui est passé au peigne fin ici : de l’arrestation de l’individu à l’application de la peine, nous avons assisté à de véritables débats de fond qui ont su bousculer les idées préconçues et nous confronter à des questions aussi fondamentales que les mérites et inconvénients respectifs des modèles inquisitoire et accusatoire, avec les rôles respectifs du juge d’instruction, de l’avocat et de la police, ou l’appréciation critique de notre conception de la peine, avec les questions relatives à la détention provisoire, au bracelet électronique et aux libérations conditionnelles.

Parce que ce texte est ambitieux, parce qu’il permet de faire un pas important dans le sens d’une meilleure justice pénale - même s’il ne règle pas, loin s’en faut, tous les problèmes - il est temps d’aboutir.

J’avoue ne pas comprendre que certains de nos collègues aient souhaité mettre en débat de nouvelles questions. Je pense, notamment, aux propositions relatives aux chambres régionales des comptes, qui n’ont qu’un lien bien ténu avec le texte en discussion, d’autant que nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion en commission des lois de la proposition de Jacques Oudin, le 3 mai prochain - et le 11 mai en séance publique de façon bien plus approfondie que cavalièrement au détour du présent projet de loi sur la présomption d’innocence.

Je ne reviendrai pas sur la protection des élus locaux. Les sénateurs communistes se sont déjà expliqués sur cette question à différentes reprises : ils se sont toujours refusés à la morceler ainsi, au détriment d’une réflexion de fond sur le statut de l’élu.

Présentées au cours de cette deuxième lecture, ces nouvelles questions risquent de retarder encore un peu plus l’aboutissement de ce texte et de rendre un peu plus hypothétique la réforme de la justice.

En ce qui concerne la garde à vue, on a beaucoup parlé de l’enregistrement sonore des débats. Nombreux sont les syndicats de policiers qui ont publiquement fait part de leur mécontentement, soutenus par l’association française des magistrats instructeurs. Or, en réalité, pour avoir discuté avec eux, je sais que leur hostilité aux dispositions du projet de loi ne vient pas tant de la mesure elle-même que de la façon dont elle a été introduite dans le débat.

Faut-il, pour autant, la supprimer, comme l’a décidé ce matin une majorité de nos collègues de la commission des lois, sur un amendement de nos collègues Hubert Haenel et Patrice Gélard ?

Pour ma part, je pense qu’une réflexion pourra être engagée sur les modalités d’enregistrement sonore des gardes à vue, mais que le principe doit être d’ores et déjà inscrit dans la loi. Il constitue, en effet, une avancée importante pour le respect effectif de la présomption d’innocence et je pense que les réticences qui s’expriment à leur encontre ne sont pas toutes fondées, même si des questions se posent quant à la fiabilité d’un tel système.

Les auteurs de l’amendement invoquent la suspicion que cette mesure ferait peser sur les policiers et les gendarmes. Il me semble, pour ma part, que cette opposition est, en réalité, le résultat d’un déficit de dialogue plus qu’une hostilité de principe à la réforme du code de procédure pénale.

Derrière ce point de focalisation s’expriment des revendications légitimes quant aux moyens dont disposent les officiers de police judiciaire pour accomplir leur mission : ils ont souvent le sentiment d’être des boucs émissaires faciles des dysfonctionnements, non seulement de la justice mais également de la société tout entière.

Je ne pense pas qu’il nous faille nous retrancher derrière l’article 2 bis A pour éviter d’aborder de front le malaise des forces de l’ordre.

Je n’en donnerai qu’un exemple concernant l’article 2 DA nouveau. Cet article est excellent parce qu’il réaffirme que tout individu a droit au respect de sa dignité humaine, y compris lorsqu’il est en état d’arrestation. Néanmoins, si l’on se réfère à l’état de certains locaux dans lesquels s’exercent les gardes à vue, on peut être pour le moins sceptique sur le respect de ce principe.

De manière plus générale, on est en droit de regretter que tous les lieux d’enfermement, qu’ils soient locaux de garde à vue, prisons ou centres de rétention, ne fassent pas toujours partie des priorités en matière budgétaire.

C’est pourquoi nous pensons que tous ces lieux doivent être appréhendés de la même façon, tant du point de vue des contrôles qui s’exercent sur eux que des exigences qui s’imposent du point de vue du respect des droits de l’homme.

Tel est le sens des amendements que nous avons déposés concernant les centres de rétention et les zones d’attente.

Cette identité de traitement, nous l’avions également recherchée du côté du contrôle extérieur : c’est dans cet esprit que nous avions proposé d’étendre la compétence de la commission de déontologie de la sécurité à tous les lieux où les personnes sont privées de leur liberté, au sens de la Convention européenne de 1987 sur la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants.

La détention provisoire est sans conteste la plus grave atteinte au principe de la présomption d’innocence : comment accepter, en effet, qu’une personne innocente jusqu’à preuve du contraire - c’est-à-dire jusqu’à ce qu’une juridiction, à l’issue d’un procès contradictoire et impartial, se soit prononcée sur sa culpabilité - puisse être privée de sa liberté ? Par principe, on ne peut l’admettre ! Ce n’est que dans des cas absolument exceptionnels, dans le but exclusif de parvenir à la vérité, que l’on doit avoir recours à la détention provisoire, et dans des conditions qui garantissent une décision sereine. Or la pratique montre qu’on y a recours bien trop volontiers, bien au-delà des pures nécessités de l’enquête.

Les dispositions du projet de loi, telles que modifiés après son passage devant le Parlement, constituent une avancée décisive de ce point de vue : la mise en place de conditions strictes pour le placement et la durée de la détention provisoire sont une petite révolution, même si nous pensons que ces conditions peuvent encore être améliorées. Nous avons d’ailleurs déposé des amendements en ce sens.

Certes, nous regrettons que nos appels en faveur de la collégialité n’aient pas été entendus, et le motif invoqué - le coût budgétaire - ne nous semble pas du tout convaincant.

Néanmoins, je constate avec plaisir que cette solution a été retenue par la commission des lois du Sénat pour la décision relative au choix de la cour d’assises d’appel, alors que l’Assemblée nationale avait opté pour une décision individuelle du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Je pense également que la procédure de comparution immédiate aurait mérité d’être remise à plat. C’est en effet en cette matière que le respect de la présomption d’innocence présente les plus graves dangers de se voir mis en péril du fait du caractère parfois expéditif des procédures. On aurait pu opportunément penser à lui appliquer les conditions restrictives de la mise en détention provisoire !

Je souhaite m’arrêter un instant sur la question de ce que l’on appelle communément le " bracelet électronique ".

Les sénateurs communistes prennent note du consensus qui semble se faire autour de cette question, mais ils continuent à s’interroger sur le bien-fondé d’une telle mesure.

Qu’il soit retenu comme moyen d’application de la peine ou comme substitut à la détention provisoire, le placement sous surveillance électronique nous semble en effet constituer une grave menace pour la liberté individuelle.

Depuis 1996, les parlementaires communistes ont eu plusieurs fois l’occasion de s’exprimer sur ce sujet pour mettre en garde contre les risques de dérive que contient en germe cette solution.

En particulier, cette solution risque d’institutionnaliser une justice à deux vitesses : l’une pour les délinquants en col blanc, qui bénéficieraient de ce régime, tandis que les établissements pénitentiaires seraient réservés aux grands criminels, aux indigents et à tous ceux qui n’auraient ni les garanties de représentation ni un bon avocat pour les réclamer. Les moyens conférés à la rénovation du parc pénitentiaire pourraient ainsi faire long feu, si l’on n’y prend pas garde.

Madame le garde de sceaux, vous aviez indiqué vos craintes que le placement sous surveillance électronique ne devienne un substitut du contrôle judiciaire plus qu’une alternative à l’emprisonnement.

J’avoue partager entièrement ces craintes.

Vous savez pourtant combien le sujet des prisons me tient à coeur. Moins que quiconque je souhaite voir perdurer la situation de surpopulation dans les prisons. Je commence malheureusement à être un " habitué de prisons ", sans vouloir faire de mauvais jeu de mots : depuis ma visite aux Baumettes avec le rapporteur spécial du budget de la justice, j’ai eu l’occasion, en tant que membre d’une commission d’enquête parlementaire créée à cet effet, de visiter d’autres établissements avec le président de ladite commission, M. Jean-Jacques Hyest. Je peux vous le dire, le choc est à chaque fois aussi grand : on franchit toujours avec un certain malaise les grilles des prisons, et on les quitte à chaque fois avec soulagement.

J’estime, pour ma part, qu’il existe d’autres alternatives à l’incarcération que le bracelet électronique, et je pense notamment aux régimes de semi-liberté.

Je regrette également que la question des peines de substitution ait été absente du débat.

Le travail parlementaire a néanmoins permis qu’une réflexion de fond s’engage sur l’application des peines.

Nous voyons ainsi d’un oeil particulièrement favorable les dispositions adoptées en deuxième lecture par l’Assemblée nationale qui tendent à favoriser l’insertion sociale des prisonniers par l’intervention des services socio-éducatifs habilités.

Je note aussi les efforts réalisés par votre ministère, madame le garde des sceaux, efforts que vous avez rappelés il y a un instant.

La judiciarisation de l’application des peines, adoptée à l’Assemblée nationale en deuxième lecture et pour laquelle la commission des lois du Sénat a souhaité pousser plus loin la logique, nous agrée particulièrement.

Dans la lignée du rapport Farge, l’Assemblée nationale nous propose de supprimer le rôle du garde des sceaux en cette matière et de créer une juridiction collégiale compétente pour les peines supérieures à dix ans. L’appel serait porté devant une " juridiction nationale de la libération conditionnelle ", et vous nous avez informés des mesures que vous envisagez à ce sujet, madame la ministre. Nous ne pouvons qu’approuver cette solution, qui permettra un renforcement notable des droits de la défense.

A ce brossage des principaux axes du projet de loi, on mesure combien sont importantes les étapes franchies, même si un long chemin reste encore à faire, en particulier du point de vue de la prévention, dont on n’a guère parlé jusqu’ici.

Rappelons que, si l’on veut que de véritables progrès soient réalisés en matière de justice pénale, c’est bien plus en amont qu’il faudra agir, notamment en direction de la petite délinquance, qui ne profitera guère des nouvelles garanties données par le projet de loi. N’oublions pas que 90 % des affaires ne sont pas renvoyées devant le juge d’instruction !

Il faut également insister sur le fait que le succès de la réforme dépendra largement des efforts budgétaires qui lui seront consacrés. Nous prenons acte, madame la ministre, de vos efforts, depuis votre arrivée au ministère, pour dégager des moyens supplémentaires. Je pense, par exemple, à l’introduction du droit d’appel des décisions des cours d’assises, même si les syndicats nous ont semblé douter que le chiffre de quarante magistrats, avancé par vos services, soit suffisant.

" Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ", énonce l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Au-delà des proclamations généreuses, les règles de la procédure pénale révèlent très précisément l’idée que l’Etat se fait de la liberté individuelle. Elles en constituent le miroir impitoyable : qu’elles permettent à un coupable de glisser au travers des mailles du filet, et on demandera de les resserrer ; qu’elles aboutissent à priver un innocent de sa liberté, et nous tenterons de les élargir. Il n’existe certainement pas de système idéal.

Néanmoins, mes chers collègues, si, avec l’adoption d’un tel projet, nous réussissons à renforcer les libertés individuelles, alors nous aurons rempli pour partie notre mission !

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