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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Projet de loi sur la Corse

Par / 6 novembre 2001

par Robert Bret

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois, après 1982, 1991 et 1996, le Parlement se penche sur la question corse, question toujours soulevée mais jamais pleinement résolue.

Aussi, au nom des sénateurs communistes, je me réjouis, de la tenue de ce débat préparé par le Gouvernement durant l’année 2000, dans le respect du dialogue et de la transparence, ce qui tranche effectivement avec les pratiques antérieures !

Cette manière de faire, que beaucoup ont appelé « le processus de Matignon », a pour la première fois permis de placer l’ensemble des élus corses au coeur de la démarche.

Oui, la Corse a bien besoin de ce débat, car il faut enfin s’attaquer aux deux maux si complémentaires qui frappent l’île depuis de nombreuses années : la violence et le retard de développement économique.

La violence perdure, ces derniers mois l’ont tristement démontré. Elle menace la construction d’un projet pour la Corse. Il faut poursuivre, aller plus loin dans l’élaboration démocratique pour contrer ceux qui, par la voie des armes, tentent de déstabiliser la société corse, au profit de l’alliance dangereuse entre l’ultralibéralisme d’un côté et les nationalistes de l’autre.

La violence, les Corses en ont assez ! On ne parle plus, et je le regrette beaucoup, de ces femmes courageuses que nous avons rencontrées à Ajaccio lors de notre mission et qui se sont levées, voilà quelques années, pour dire « stop » aux tueurs.

La Corse mérite mieux que cette image terrible de vendetta et de crimes impunis. Comment oublier que les assassins du préfet Erignac ne sont à ce jour pas tous arrêtés ? C’est bien la société corse elle-même qu’il faut mettre en mouvement pour réduire à néant ces poseurs de bombes, nationalistes le jour et terroristes la nuit.

La Corse et son peuple disposent d’un potentiel humain et géographique qu’il est temps aujourd’hui de faire fructifier.

La Corse dans la France doit ouvrir une nouvelle page de son histoire.

Depuis deux siècles, la Corse est une communauté populaire qui a inscrit son histoire dans le cadre de la nation française. Elle en a tiré sa singularité, sa spécificité.

Comme communauté, elle se distingue par une identité double, qui se réfère autant à ses réalités propres qu’à son insertion dans la nation. Une citoyenne et un citoyen de Corse se sentent profondément et indivisiblement corses et français : singularité politique, mais aussi économique.

Chacun le sait, du fait de l’insularité, du relief et des retards pris sur le plan économique, le développement économique de la Corse n’est pas au niveau de celui de la plupart des régions françaises. Selon moi, c’est à cette double singularité, politique mais aussi économique, que tout projet sur la Corse devra s’attacher pour réussir.

Monsieur le ministre, lorsque vous déclarez : « La Corse n’est pas un problème statutaire, ce n’est pas un problème institutionnel, c’est un problème de vie concrète », comment ne pas vous approuver ? Vous étiez à l’époque ministre des relations avec le Parlement !

Mais, avec ce projet de loi, les priorités sont inversées, et le débat public autour de ce projet a basculé. Il s’est trouvé projeté sur le terrain institutionnel, voire « institutionnaliste », au point que les problèmes du développement économique, de la réduction des inégalités sociales, du rattrapage des retards dans le domaine des infrastructures, des équipements et des besoins des services publics n’ont quasiment plus été évoqués en dehors des communistes.

Cette brèche institutionnelle a permis à certains de puiser des arguments utiles à la poursuite d’autres combats, bien trop éloignés des attentes très concrètes des Corses. Certains n’hésitent pas à lever plus haut encore l’étendard ultralibéral d’une Europe fédéraliste et d’une île en quête d’indépendance.

Les sénateurs communistes, je l’affirme clairement de cette tribune, ont toujours refusé, refusent et refuseront de livrer une composante de la France aux appétits financiers et bien souvent mafieux.

Pour nous, le développement économique constitue l’enjeu essentiel de toute réforme.

La réalité économique de la Corse a évolué depuis 1991. Le taux de chômage, avec 10,5 %, a baissé tout en restant élevé mais, dans le même temps, la précarité a fait un bond.

La question des emplois saisonniers est importante en Corse. Le tourisme et l’agriculture y recourent de façon très significative. Aussi est-il nécessaire d’apporter des garanties sociales à ces salariés.

Cette précarité montre bien la fragilité des statistiques sur l’emploi dans l’île. Prenons l’hôtellerie et la restauration : 75 % des saisonniers employés dans ce secteur ne résident pas en Corse. Le volume même des emplois demeure faible, avec 93 599 salariés et non-salariés.

La part des emplois industriels est évidemment faible. Comment s’en étonner puisque, en Corse, 7 % de la valeur ajoutée produite provient de l’industrie, alors que, à l’échelon national, ce pourcentage est de 22 % ?

Sur le plan des revenus, la Corse se situe au quinzième rang des régions françaises, mais, à l’inverse de la moyenne nationale, 50 % de ces revenus proviennent des prestations sociales et 33 % des salaires nets.

Les salaires sont faibles en Corse. Dans l’industrie agricole, ce sont 75 % des salariés qui gagnent moins de 8 060 francs. Dans l’hôtellerie et la restauration, le salaire moyen est de 6 210 francs, alors que 75 % des salariés touchent moins de 7 930 francs ; 25 % des ovuriers corses gagent moins de 5 700 francs net.

Mes chers collègues, la réalité corse, c’est cela ! C’est aussi celle de nombreuses personnes âgées ou handicapées qui ne pourraient vivre sans la solidarité nationale.

Je l’indiquais, la situation corse s’est améliorée, mais elle demeure confinée dans une enveloppe trop restreinte, qui génère une situation d’insularité subie plutôt qu’exploitée.

Au-delà de cet ensemble de chiffres, c’est la participation de la Corse au produit intérieur brut de la nation qui marque les limites de cette économie : 0,3 %.

Il faut donc mettre en chantier un vaste projet pour l’île. Sans nier l’importance de l’activité touristique, de son devenir, nous considérons comme prioritaire l’investissement productif, qui seul créera et fixera de l’emploi stable sur l’île. L’effort doit être mené dans ce sens et il devra être important.

Les transports constituent également un enjeu vital pour l’île, aussi bien les liaisons extérieures, sur lesquelles je reviendrai, que les liaisons intérieures. Mon ami Paul-Antoine Luciani, premier adjoint au maire d’Ajaccio, n’a-t-il pas pleinement raison lorsqu’il s’étonne de la durée du trajet ferroviaire entre Bastia et Ajaccio, qui est de trois heures trente, soit un temps supérieur au trajet entre Paris et Marseille aujourd’hui ?

Au-delà de cet exemple, que certains caractériseront de galéjade, il y a une réalité : une politique de grands travaux doit être engagée, et cela nécessite des investissements importants.

Le temps qui m’est imparti ne me permettra pas d’explorer toutes les voies du développement économique de la Corse. Nous pourrions, par exemple, examiner longuement la question des productions d’énergie, notamment hydroélectrique. Je m’attacherai plutôt aux transports vers l’extérieur.

Qu’ils soient aériens ou maritimes, les transports constituent un enjeu particulièrement important pour les insulaires, comme pour les continentaux. Ils représentent, en effet, plus de cinq millions de voyageurs - dont la moitié dans le secteur du transport maritime - entre l’île et le continent français et italien, ainsi que plusieurs centaines de milliers de voitures et de camions.

Le principe de la continuité territoriale matérialise la continuité du rail par voie maritime. Les liaisons maritimes entre le continent et l’île traduisent, à cet égard, l’attachement fort qui existe entre ces deux parties.

Ce système, qui a permis la mise en oeuvre d’une desserte de l’ensemble des ports corses moderne, efficace et répondant aux besoins non seulement insulaires, mais aussi extérieurs à l’île, se trouve aujourd’hui menacé et, avec lui, le service public maritime.

En effet, l’ouverture à la concurrence des compagnies étrangères, couplée avec les dispositions prévues aux articles 14 et 36 du projet de loi, constitue des menaces qui, à notre sens, justifient les amendements que nous avons déposés et qui portent sur la conception du service public de la continuité territoriale, la protection de l’emploi et la sécurité martime, ainsi que sur l’utilisation des crédits publics correspondants.

L’article 36 prévoit une déspécialisation de la dotation de la continuité territoriale, en permettant l’affectation des reliquats disponibles aux financements autres que ceux pour lesquels elle était destinée ; je pense à l’achat d’avions par exemple.

Avec une telle disposition, le risque est grand de voir se multiplier les ponctions de crédits initialement destinés aux concessionnaires des services publics, pour attribuer finalement des dotations aux chambres de commerce concessionnaires des infrastrucutres portuaires et aéroportuaires.

Avec la diminution ainsi annoncée des subventions allouées aux compagnies concessionnaires, le risque est grand d’aboutir à la fin du service public maritime.

Je me félicite de la récente décision du Conseil d’Etat qui, en cassant le jugement du tribunal administratif de Bastia en date du 6 juillet dernier, a validé l’appel d’offres pour le service public maritime entre Marseille et la Corse, déboutant ainsi la compagnie Corsica Ferries.

M. Paul Girod, rapporteur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Bret ?

M. Robert Bret. Je vous en prie.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l’autorisation de l’orateur.

M. Paul Girod, rapporteur. Afin d’éviter toute erreur, je précise simplement qu’il s’agit des conclusions du commissaire du Gouvernement, mais que la décision est attendue ce soir. On ne sait donc pas encore ce qu’elle sera.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.

M. Robert Bret. J’espère alors avoir anticipé sur la décision, et sur une bonne décision !

M. Paul Girod, rapporteur. C’est un autre problème !

M. Robert Bret. En tout cas, ce que j’ai dit au sujet des enjeux demeure !

Cette décision permettra à la Corse de mettre au point la nouvelle délégation de service public pour la desserte de l’île pendant cinq ans, du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2006, qui devra ensuite être approuvée par l’Assemblée territoriale. Cet accord entérinera le nouveau montant des subventions qui seront attribuées à la Société nationale maritime de Corse-Méditerranée, la SNCM, et à la Compagnie méridionale de navigation, la CMN.

En ce qui concerne les crédits d’impôts, qui représentent une part importante du projet de loi, les dispositions, renforcées par la majorité sénatoriale, doivent se substituer à la zone franche. L’expérience a malheureusement démontré, mes chers collègues, que les exonérations fiscales ont rarement débouché sur une création d’emplois stables.

Une chose est certaine : il faudra que la commission régionale de contrôle des fonds publics soit rapidement opérationnelle pour éviter toute dispersion de fonds et récupération par des officines mafieuses, telle « la brise de mer », qui, nous le savons, existent en Corse.

Les sénateurs communistes sont hostiles à l’extension de ce régime d’aide, tel qu’il est proposé par la commission spéciale, dont je dois au demeurant saluer l’importance et le sérieux de son travail.

Le programme exceptionnel d’investissement devra être l’élément clef du processus. Relegué à l’article 46, il passerait presque inaperçu. Je proposerai, au nom des sénateurs communistes, un amendement afin d’en préciser le contenu et les modalités.

La question de l’investissement est cruciale. Une perspective de développement est-elle, en effet, envisageable sans production insulaire ? Ce que j’ai indiqué précédemment en fait la démonstration.

L’article 46 n’est pas satisfaisant. Nous le trouvons à la fois trop imprécis et trop flou. Il ne permet même pas de garantir la capacité de la Corse à se doter d’infrastructures pour gérer le programme lui-même.

Souvent, j’entends citer le tourisme comme la clef de l’avenir pour la Corse et ses habitants. Bien sûr, il faut poursuivre le développement envisagé depuis des années, savoir exploiter au mieux la formidable richesse géographique et climatique de l’île de Beauté.

Mais attention au veau d’or ! Le tourisme n’a jamais été en soi un moyen de développement harmonieux et généraliste d’une région ou d’un pays. Je citerai deux exemples : le Languedoc-Roussillon assiste à l’arrivée massive d’estivants chaque année, mais l’absence de bassin d’emplois stables, de production ne permet pas l’essor de l’économie locale ; la Côte d’Azur ne doit pas sa superbe au seul tourisme. C’est également une région de production et de recherche internationalement reconnue - je pense à Sophia Antipolis, cher à notre collègue Pierre Laffitte.

Cette poussée de fièvre pour le tourisme en Corse doit être contrôlée.

Certes, les équipements hôteliers sont insuffisants et des mesures doivent être engagées pour permettre de nouvelles réalisations. Mais ne vous faites pas d’illusion, les retombées économiques ne seront pas considérables ; je vous rappelle mon propos sur les emplois saisonniers.

De même, j’alerte le Sénat sur la nécessité de réfléchir à l’essor du tourisme populaire, du tourisme vert qui permet de désengorger le littoral. Il ne faut surtout pas opposer tourisme populaire et tourisme de luxe. Mais, de toute évidence, les choix se portent actuellement sur le second.

Il sera de toute façon déterminant d’allier développement touristique et prévention de l’environnement ; c’est une responsabilité de la République.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, pour nous, il ne s’agit pas de changer le statut institutionnel de la Corse pour le simple plaisir de le faire ou pour flatter telle ou telle fraction politique particulièrement intéressée par le sujet. Il s’agit d’adapter au mieux les institutions pour permettre à tous ceux qui vivent en Corse d’être les moteurs du développement de l’île.

Or, l’ensemble du projet de loi modifié par l’Assemblée nationale s’articule non pas autour du développement, mais autour de la décentralisation, pour ne pas dire de l’autonomie croissante qui serait accordée à la collectivité territoriale de Corse.

Certes, nous sommes partisans d’une réforme profonde des institutions, dont le ressort essentiel est l’accroissement de la participation des citoyens au processus de décision et à la vie politique. Pour autant, le texte qui est issu des travaux de l’Assemblée nationale ainsi que les amendements de la droite sénatoriale qui éludent cette question pourtant essentielle, ne peuvent nous satisfaire. La décentralisation ne doit pas se réduire au seul transfert de pouvoir des mains des uns aux mains des autres. Ce doit être une démocratisation profonde de la République où le pouvoir est transféré des mains des uns aux mains de tous.

Cette réflexion, cette action démocratique ne peut s’arrêter à la Corse. Elle doit être nationale, car partout dans notre pays monte l’aspiration d’une réappropriation de la politique par le peuple.

J’en reviens au projet de loi proprement dit. Où est la place du peuple corse ? Généraliser le mode d’élection proportionnelle pour l’élection de l’Assemblée territoriale de Corse ne constituerait-il pas une avancée ? Pourquoi ne pas remettre en cause la prééminence de l’exécutif corse, renforcé par les offices et les moyens dont il dispose, reproduction locale de la dichtomie des pouvoirs nationaux entre le législatif et l’exécutif ?

Enfin, pourquoi ne pas avoir associé les habitants de la Corse au processus ? Nous le disons depuis le départ et il est encore temps de le faire.

C’est le seul moyen d’obtenir un consensus puisé dans le dialogue. Plusieurs pistes existent : le référendum consultatif, tel qu’il fut utilisé à Mayotte voilà quelques années, après la prochaine réélection de l’Assemblée territoriale de Corse pour valider le processus ; l’extension des consultations d’initiatives minoritaires, qui existent déjà au niveau des communes, aux départements et régions, en modifiant la législation.

Les députés communistes avaient fait cette proposition voilà maintenant plus d’un an. Si l’on avait accepté d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour du Parlement, nous disposerions aujourd’hui d’un outil efficace.

S’agissant de l’article 1er du texte, considéré à tort ou à raison comme l’article phare du projet de loi, les sénateurs communistes émettent les plus vives réserves sur le dispositif de transfert des pouvoirs législatifs à l’Assemblée territoriale de Corse. Nous en proposons d’ailleurs la suppression, malgré l’habillage constitutionnel dont il a pu faire l’objet lors du débat à l’Assemblée nationale. Selon nous, seul le Parlement peut disposer du pouvoir de faire la loi ; il s’agit d’une clef de voûte de la République.

Même si notre inquiétude est moins forte, nous nous interrogeons également sur le transfert des pouvoirs réglementaires. Je prendrai un exemple avancé par des syndicalistes : le droit de grève des marins est d’ordre réglementaire ; est-ce l’Assemblée territoriale qui, demain, au gré des majorités, devra gérer ce droit de grève ?

Ne vous méprenez pas, notre attitude ne constitue pas une fermeture à l’égard de la décentralisation, bien au contraire. Mais pourquoi l’article 26 de la loi de 1991, qui comportait déjà un dispositif de proposition d’adaptation législative, n’a-t-il pas fonctionné ? Poser la question c’est déjà y répondre. Quel bilan en dressons-nous ? Cet article 26 ne permettait-il pas déjà d’aller très loin dans l’initiative réglementaire et législative ? Nous savons que tel est le cas.

Avant d’examiner brièvement quelques autres points forts du projet de loi, je souhaite clarifier le débat institutionnel sur la Corse.

Les Corses ne veulent pas de l’indépendance ; je l’ai déjà indiqué, ils sont corses et français. C’est l’histoire qui a « maillé » ces deux identités. Ce qui m’inquiète dans la tournure que prend le débat, devant le climat détestable imposé par la mouvance nationaliste - on voit refleurir sur les murs corses les inscriptions « IFF : Français dehors » - mouvance qui exerce une pression peu démocratique en se retirant du processus au cours même du débat législatif, c’est que l’ambition même qui soustend le projet de loi est menacée.

Monsieur le ministre, comme vous l’avez précisé, la pérénnisation de ce dispositif, prévue en 2004 dans le préambule du projet de loi, est soumise à la réunion de trois conditions : premièrement, le bon usage des nouvelles responsabilités pour l’Assemblée territoriale ; deuxièmement, la concrétisation pour l’Etat de son engagement ; troisièmement, la disparition durable de la violence.

Or, lors de votre récente visite dans l’île, vous avez indiqué ceci : « j’ai voulu rappeler que le processus devait aller au bout. Ce processus, qui doit se traduire en 2004 par une révision constitutionnelle afin d’atteindre les objectifs du relevé des conclusions de Matignon... ». Au-delà du fait que le conditionnel a disparu, monsieur le ministre, que sont devenues les trois conditions ? Il ne s’agit certainement que d’une omission, mais elle fut très remarquée en Corse.

M. Daniel Vaillant, ministre de l’intérieur. Je l’ai dit ! Il n’y a pas eu d’omission !

M. Robert Bret. Si ! Il est urgent, monsieur le ministre, de lever l’ambiguïté.

En Corse et sur le continent, nos concitoyens dans leur ensemble, le Parlement dans son immense majorité, ne souhaitent pas se laisser piéger dans l’engrenage de l’indépendance où cherchent à nous mener quelques politiciens corses et nationaux. Ces manoeuvres ne sont pas acceptables. Les sénateurs communistes refusent de jouer ce jeu détestable avec la Corse et ils le font savoir solennellement aujourd’hui à cette tribune.

Pour terminer, je souhaite aborder quelques points importants ; la discussion des articles nous permettra d’ailleurs d’y revenir.

L’article 7 traite de l’enseignement de la langue corse. Nous souhaitons maintenir la généralisation de cet enseignement, qui répond à une forte attente des habitants de l’île et à une nécessité historique pour sauvegarder ce patrimoine culturel. Mais nous ne voulons pas pour autant que celui-ci soit obligatoire. Nous proposerons donc que la volonté de recevoir l’enseignement soit exprimée, tout en garantissant l’enseignement partiel.

Notre réflexion sur l’article 12, dont on parle beaucoup, puisqu’il touche au littoral, tend à trouver un équilibre entre la protection du littoral, patrimoine irremplaçable, et l’ouverture de certains espaces à la construction. Il nous faut rester vigilants : les appétits des financiers sont bien réels, comme l’atteste telle ou telle intervention de banquiers suisses ou luxembourgeois et comme l’a précisé mon ami Dominique Bucchini en ce qui concerne la commune de Sartène.

Une responsabilité nationale doit s’exercer pour préserver la Corse et sa nature.

Enfin, je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l’inquiétude des fonctionnaires de l’Etat qui exercent en Corse. Il serait grand temps de consacrer une discussion à l’avenir de ces milliers de salariés aujourd’hui placés dans l’incertitude du fait de la suppression envisagée de leur administration. Nous avons déposé un certain nombre d’amendements tendant à préserver leur droit.

Chers collègues, par mon intervention, j’ai souhaité rappeler l’objet initial de la réforme : le développement de la Corse, l’épanouissement de ses habitants en assurant notamment le retour à la paix.

Il est grand temps d’éclairer ce débat qui sombre au fil des mois dans la confusion. J’ai le sentiment que ce processus de Matignon, est aujourd’hui en crise.

Si je reconnais que la commission spéciale s’est inscrite dans le débat parlementaire en amendant le texte - et nous y avons pris toute notre part avec ma collègue Hélène Luc - en même temps, la majorité sénatoriale a accentué les multiples transferts de compétences des services de l’Etat qui, souvent au nom de l’Europe, mettent en pièces l’unicité du service public, pilier républicain.

Autrement dit, la majorité sénatoriale refuse toute idée de transfert de pouvoir politique, tout en acceptant la désagrégation programmée de l’Etat.

Ce débat sur la Corse anticipe de maniètre confuse le débat sur les formes futures de la République dans l’Europe.

La poussée fédéraliste est grande ; elle s’appuie sur un pouvoir accru des régions au détriment de la cohésion nationale et en faveur d’une cohésion européenne.

Les sénateurs communistes refusent, quant à eux, que la Corse devienne ce trop fameux laboratoire souhaité par certains. Ils approuvent qu’enfin la spécificité de la Corse, son histoire, son insularité, soient prises en compte dans ce débat.

En 1991, nous avons soutenu l’idée de la reconnaissance du peuple corse comme composante de la nation française. Mais nous n’oublions jamais le lien si étroit qui unit la France à la Corse, n’en déplaise à quelques aventuriers.

Je conclurai en citant mon ami Louis Minetti, qui m’a précédé comme sénateur des Bouches-du-Rhône. Il évoquait ici même, en 1982, un fait historique : « Sous l’occupation fasciste de Mussolini, un des communistes de Sartène a crié devant le peloton d’exécution : "Nous allons montrer au procureur du roi comment nous savons mourir en Corse, et en Français, non pas l’un sur l’autre mais l’un et l’autre". »

C’est cette citation forte du lien indéfectible entre l’île et le continent qui guide notre action en faveur du développement de la Corse. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

II Explication de vote

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès les premières annonces de ce projet de loi, les parlementaires communistes, leur parti, ont rappelé leur soutien au processus de Matignon, qui se fondait sur le dialogue et la volonté du développement, si nécessaire, de la Corse, tout en soulignant leur inquiétude sur certains aspects du texte qui était censé en être l’émanation.

Ces réserves ont eu pour conséquence l’abstention des députés communistes, à l’Assemblée nationale, le 22 mai dernier.

Au fil des mois, cette inquiétude a perduré et, je dois le dire, le débat de ces trois derniers jours au Sénat ne l’a pas dissipée.

Les sénateurs communistes ont estimé que le projet de loi ne répondait ni aux exigences de développement économique ni aux exigences de démocratie, d’intervention citoyenne. Ils ont estimé que l’idée de retour à la paix civile marquait le pas.

Monsieur le ministre, l’émotion et l’indignation que j’ai ressenties lors de l’hommage rendu à Claude Erignac après son assassinat, hommage auquel j’ai assisté comme présidente de mon groupe, ne sont pas prêtes d’être oubliées.

M. le président. Merci, madame Luc !

Mme Hélène Luc. Avec le Premier ministre, avec tous les préfets de France, avec des dizaines de milliers d’habitants de la Corse, l’engagement a été pris de tout faire pour retrouver les assassins du préfet Erignac. Vous l’avez redit, monsieur le ministre, et je vous ai bien entendu. Il faut aller au bout, sans faiblesse, et rapidement.

Au lieu de ramener à la raison les revendications nationalistes, de nombreux aspects de ce texte vont au contraire encourager ceux qui souhaitent parvenir à la nouvelle étape attendue par la minorité qu’ils représentent, à savoir l’indépendance.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, pourquoi refuser toujours et encore l’idée d’une consultation des habitants de la Corse sur l’avenir de leur île ? Nous avons bien entendu, depuis de longs mois, l’argument constitutionnel qui nous était opposé. Mais pourquoi ne pas avoir favorisé l’adoption de la proposition de loi déposée par les députés communistes afin d’organiser un référendum dans les régions et les départements, comme il en existe déjà à l’échelon communal ?

Comment parler d’avancée dans la décentralisation si cette décentralisation des pouvoirs ne s’accompagne pas d’une démocratisation de la vie politique, économique et sociale ?

Le débat au Sénat n’a pas apporté de réponse à nos interrogations. Bien au contaire, la question institutionnelle a pris une place plus grande encore dans nos échanges.

Mon ami Robert Bret a expliqué en détail dans son intervention sur l’article 1er en quoi la similitude de certains de nos amendements avec ceux de la commission spéciale - je pense notamment à la suppression du pouvoir d’expérimentation législative - ne signifiait en rien une approche commune de la question corse. Nous avons d’ailleurs exprimé nos propres conceptions de la décentralisation et de la démocratie et insisté sur le volet économique.

Nous avons noté que la droite sénatoriale, hormis l’effet d’affichage concernant l’habillage constitutionnel du texte, était favorable à l’idée du transfert de compétences massif des services de l’Etat à la collectivité territoriale de Corse aboutissant à une destruction de l’unité nationale.

Nous avons dit et redit que nous souhaitions confier aux Corses les moyens de participer aux choix décisifs pour leur île. Nous estimons cependant qu’il ne faut pas pour autant faire de la Corse un véritable laboratoire de la future régionalisation européenne qui menace le service public.

Nous sentons, nous pressentons qu’un danger existe sur ce point pour la Corse et pour ses habitants. Quel avenir un tel statut réserverait-il au service public ?

Nous sommes toujours préoccupés par le sort des fonctionnaires de l’Etat, qui sont placés dans une situation très difficile.

Sur la question des moyens du développement économique, nous restons sur notre faim, puisque nous n’avons pas assez de précisions sur le montant et les conditions de l’aide. Nous aurions pu faire plus, monsieur le ministre.

Notre abstention se fonde donc sur le sentiment que tout n’a pas été dit sur ce texte, sur les conséquences d’un certain nombre d’articles, sur l’avenir de la Corse je pense notamment au difficile débat sur l’article 12 relatif au littoral.

Sur cet article, il vous faudra - peut-être la commission mixte paritaire le permettra-t-elle - apporter des garanties sur des moyens nouveaux non seulement pour le développement, mais également pour la sauvegarde de la beauté de la nature corse. Ce dernier point relève d’une responsabilité nationale, de notre responsabilité.

Pour conclure, j’insisterai une nouvelle fois sur le fait que le processus de Matignon, pour sortir de la crise dans laquelle il semble être aujoud’hui, doit faire appel à l’engagement de la population corse elle-même. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

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