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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Protection juridique des majeurs

Par / 14 février 2007

Monsieur le Président,
Monsieur le Garde des Sceaux,
Mes chers collègues,

Nous examinons aujourd’hui, en cette fin de session parlementaire, le projet de loi relatif à la protection juridique des majeurs.

Cette réforme était attendue depuis une décennie Le système actuel est régi par la loi du 3 janvier 1968, inscrite dans le code civil, et la loi du 18 octobre 1966 relative au code de la sécurité sociale pour les tutelles aux prestations sociales.

Ce système, prévu au départ pour quelques milliers de personnes, incapables de gérer leurs biens, est aujourd’hui au bord de l’implosion.

Quelque 700 000 personnes sont aujourd’hui concernées par la tutelle, auxquelles il faut ajouter près de 60 000 personnes bénéficiant d’une tutelle aux prestations sociales. Elles seront environ 1 million en 2010. Sont en cause l’allongement de la durée de la vie et le vieillissement de la population, mais également la maladie d’Alzheimer, dont on recense près de 200 000 nouveaux cas chaque année.

Un autre facteur, et non des moindres, est à prendre en compte dans cette augmentation des mesures de tutelle. La montée de la précarité et de l’exclusion a eu pour effet de voir des mesures de tutelles prononcées à l’encontre de personnes ne présentant aucun trouble mental ni aucun handicap, mais « seulement » victimes -si je puis dire- d’exclusion, et dont le traitement des difficultés devrait relever de l’aide sociale.

Nous avons donc observé, depuis une dizaine d’années, une augmentation exponentielle des mesures de tutelle jusqu’à un dévoiement de celles-ci. De nombreux abus ont été pratiqués en direction des personnes en situation d’exclusion.

Ces abus ont pu être pratiqués notamment parce que le nombre de juges des tutelles est insuffisant. Pour régler ces situations souvent délicates, toujours difficiles, seuls 80 juges des tutelles et leurs greffiers sont en mesure de se prononcer sur les mesures de protection. L’insuffisance de contrôle des mesures génère inévitablement nombre de dérives.

En 1996, le Médiateur de la République préconisait une « réforme humanisée » du dispositif juridique en vigueur et, en 1998, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, de l’Inspection générale des finances, l’IGF, et de l’Inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ, mettait l’accent sur les nombreux dysfonctionnements en matière de protection des majeurs en France.

Le contrôle des tutelles ne doit pas se limiter au simple enregistrement des dossiers. Des comportements frauduleux ont été constatés, mais aussi des cas de maltraitance aux dépens de personnes particulièrement fragiles.

L’objectif aujourd’hui doit être de favoriser autant que possible l’autonomie de la personne protégée. La liberté individuelle est réduite à sa plus simple expression dans le cas de la tutelle. La personne perd tous ses droits. La tutelle est un dispositif particulièrement contraignant et attentatoire aux droits de la personne. Dès que la personne est protégée, tout relève de son tuteur, et son autonomie est tout simplement inexistante.

Le projet de loi vise à redonner toute leur effectivité aux principes fondateurs de la loi du 3 janvier 1968 : nécessité, subsidiarité et proportionnalité des mesures de protection. Il était urgent en effet de réaffirmer que les incapacités ne peuvent avoir qu’un caractère exceptionnel et que seules doivent être prises les mesures d’encadrement strictement nécessaires eu égard à la situation. Il s’agit de restreindre la liberté individuelle dans le cadre de ce qui est strictement nécessaire à la protection de la personne.

Placer la personne au cœur du dispositif, notamment par une meilleure prise en compte de ses intérêts passe par la recherche de son adhésion au régime de protection qui lui est appliqué, l’individualisation de la mesure en fonction de son degré d’incapacité ou de capacité, et enfin la nécessité de respecter sa volonté chaque fois que c’est possible.

Le projet de loi recentre les tutelles sur les seules personnes dont les facultés mentales sont réellement altérées. Pour les autres, une mesure d’accompagnement social personnalisé est créée en amont. La mise sous tutelle pour cause de prodigalité, d’intempérance ou d’oisiveté est enfin supprimée.

Le projet de loi organise donc une meilleure lisibilité des mesures de protection, tout en prévoyant une meilleure identification des rôles de la famille et des professionnels et associations en charge de la gestion des tutelles.

Il scinde ainsi la protection juridique en deux domaines distincts : les tutelles et curatelles sous la responsabilité du juge et la mesure d’accompagnement social personnalisé sous l’égide du département.

Le régime des tutelles et des curatelles est simplifié tout en garantissant le respect des droits fondamentaux de la personne protégée.

L’évaluation de la situation de la personne vulnérable sera systématique : une mesure de protection juridique ne pourra être ouverte que lorsqu’une personne se trouvera dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté.

Cette altération doit être constatée par un médecin spécialiste inscrit sur une liste établie chaque année par le procureur de la République. L’absence de certificat médical circonstancié rend irrecevable la demande d’ouverture de la mesure de protection. Sur ce point, je tiens à préciser que le coût de ce certificat médical est particulièrement élevé, puisqu’il avoisine les 200 euros.

Il serait regrettable qu’un tel coût représente un obstacle à l’ouverture d’une mesure de protection pour des personnes qui en ont pourtant besoin. Nous souhaitons par conséquent que le coût de ce certificat médical puisse être pris en charge au titre de l’aide juridictionnelle.

Par ailleurs, le projet de loi réorganise la procédure judiciaire préalable au prononcé de la mesure de protection.

D’une part, il supprime la possibilité offerte au juge des tutelles de se saisir d’office, qui est non seulement contraire à la convention européenne des droits de l’homme mais qui traduisait aussi un certain abandon des familles.

D’autre part, il organise l’obligation pour le juge d’entendre systématiquement la personne qui va faire l’objet d’une mesure de protection. Aujourd’hui, une personne sur trois seulement est auditionnée. En raison de l’encombrement de leur cabinet, les juges préfèrent souvent faire envoyer un questionnaire pour obtenir certains renseignements. De telles pratiques étaient bien évidemment insatisfaisantes, notamment du point de vue du respect des droits de la personne, qui risquait pourtant de voir prononcer à son encontre une mesure de protection totalement incapacitante.

Avec la présente réforme, l’audition est une formalité substantielle qui ne peut être écartée qu’en cas de contre-indication médicale. Cependant, une des contre-indications prévues par le texte semble poser problème. Il s’agit de celle permettant au juge de ne pas auditionner la personne si son état ne lui permet pas d’en comprendre la portée. Le risque existe qu’avec une telle formulation, le juge n’auditionne jamais les personnes handicapées mentales.

Néanmoins, malgré ces quelques remarques, force est de constater que la réforme de la procédure de protection juridique offre un plus grand respect des libertés individuelles. Le fait que la tutelle à vie disparaisse constitue de ce point de vue une véritable avancée. Le juge devra réexaminer le dossier de protection juridique tous les cinq ans. Cette périodicité est un excellent moyen de vérifier l’opportunité d’une mesure de protection et de dresser un bilan de l’action exercée.
Dans ce même esprit, et grâce à nos collègues députés, le juge devra consulter la personne en charge de la mesure de protection avant d’ y mettre fin, de la modifier ou de lui substituer une autre mesure.

Je tiens à saluer également l’introduction dans notre droit du mandat de protection future, qui permettra d’organiser son propre avenir en prévision d’une maladie incapacitante ou du vieillissement, ou d’anticiper sur le devenir d’un enfant handicapé.

Ce nouveau dispositif, qui est un des axes majeurs de cette réforme, devrait permettre à toute personne, alors qu’elle est en possession de ses moyens, de désigner un mandataire pour agir en son nom et pour compte dans le cas où elle deviendrait inapte.
Il pourra également s’agir de parents d’enfants handicapés qui désigneront la personne qui s’occupera de leur enfant quand ils ne seront plus eux-mêmes en capacité de le faire ou en cas de décès.
Il permet ainsi, quelque soit le cas de figure, d’éviter l’ouverture d’une mesure judiciaire de protection.

Ce mandat de protection future peut être donné par acte notarié ou sous seing privé : nous souhaitons cependant que toutes les garanties soient apportées si l’option de l’acte sous seing privé est retenue.
Il faut néanmoins se féliciter de l’adoption d’un tel mandat, attendu depuis longtemps par les familles.
Le projet de loi renforce ainsi la place de la famille dans le dispositif de protection juridique. Aujourd’hui, la famille a parfois du mal à assumer son rôle dans ce dispositif : les multiples configurations familiales et l’éclatement géographique ne favorisent pas le volontariat familial pour ce type de responsabilité. Les tuteurs familiaux ne disposent pas, le plus souvent, d’aide véritablement organisée. Il est donc primordial que ceux-ci puissent bénéficier d’un soutien organisé pour leur apporter des conseils, des informations et facilite les échanges.

De même, les professionnels des associations tutélaires doivent se voir reconnaître un véritable statut avec des mesures de qualification et de formation. Nous souhaitons par conséquent compléter le projet de loi, qui ne prévoit pas de réel diplôme, et permettre ainsi une homogénéisation des pratiques professionnelles.

J’en viens maintenant à la mesure d’accompagnement social personnalisé. Si nous nous félicitons de la séparation effectuée par le projet de loi entre les mesures de protection juridique et les mesures d’accompagnement social, nous ne pouvons que regretter l’absence de financement de cette mesure d’accompagnement social.

Le texte s’inscrit tout naturellement dans la logique des compétences sociales des départements. Mais la mesure d’accompagnement social vient s’ajouter à des transferts de compétences récents, tels que l’APA ou le RMI, et pour lesquels les compensations financières sont loin d’être suffisantes. Vous comprendrez par conséquent notre scepticisme lorsque le gouvernement nous assure que cette nouvelle charge sera intégralement compensée aux départements, charge évaluée par le CES à quelque 33 millions d’euros

En conclusion, nous approuvons l’esprit de ce projet de loi qui vise à redonner une dimension humaine à la protection juridique des majeurs. Le respect de la dignité de la personne, l’encadrement plus strict du placement sous protection juridique emporte bien évidemment notre adhésion. Destiné à mieux protéger les majeurs vulnérables, en nombre croissant avec le vieillissement de la population, et à mettre fin à de nombreux abus, ce texte est bien évidemment positif. Néanmoins, il ne peut susciter un vote totalement positif en sa faveur compte tenu du problème du financement du nouveau transfert de charges aux départements et du nécessaire recrutement de juges des tutelles et de greffiers pour une pleine application des nouveaux dispositifs. Il est donc fort probable, en attendant de voir le sort réservé à nos amendements, que le groupe communiste républicain et citoyen s’abstienne sur ce texte.

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