Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Récidive des infractions pénales : conclusions de la commission mixte paritaire
Par Robert Bret / 22 novembre 2005Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est sur fond d’état d’urgence que nous sommes amenés aujourd’hui à discuter des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales.
Ce n’est peut-être pas un simple hasard de calendrier. Cela traduit, de mon point de vue, la direction répressive et sécuritaire que ce gouvernement impose à notre société depuis trois ans et demi.
Ce n’est certainement pas un hasard si le Parlement s’est prononcé sur un projet de loi visant à proroger l’état d’urgence, sur un autre projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, et qu’il doit maintenant se prononcer sur cette proposition de loi. Ces trois textes sont le reflet de la politique sécuritaire menée par le Gouvernement depuis 2002, mais ils ont surtout en commun d’être nés de la surenchère pénale et médiatique orchestrée soigneusement, à chaque fois, par le ministre de l’intérieur.
Ces trois textes ont un autre point commun : ils viennent durcir un arsenal juridique répressif qui est déjà bien complet. En cas de violences urbaines, et comme nous l’avons d’ailleurs dit la semaine dernière dans la discussion générale sur le projet de loi prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955, des dispositifs répressifs existent déjà : les préfets et les maires ont le pouvoir d’édicter des couvre-feux, les atteintes aux biens et aux personnes sont des délits punis par la loi ; il n’était donc nullement besoin de recourir à des textes dignes d’un État policier qui rappellent, de surcroît, de bien mauvais souvenirs.
En matière de terrorisme, le constat est le même : la France dispose d’un arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme parmi les plus répressifs. Cet arsenal a d’ailleurs été renforcé récemment par la loi Perben II qui, si je me souviens bien, ne constitue pas un exemple de laxisme.
J’en viens maintenant à la proposition de loi qui nous préoccupe aujourd’hui, qui est l’exemple type de la loi de circonstance, fruit du bras de fer entre Dominique Perben, alors garde des sceaux, qui traînait les pieds concernant les peines plancher, et Nicolas Sarkozy, qui réclamait ces dernières en tant que ministre de l’intérieur.
Au final, après deux lectures dans chaque assemblée, il en ressort un texte qui durcit de manière considérable le code pénal et le code de procédure pénale, alors que ceux-ci ne sont pas non plus particulièrement permissifs.
Même si le Sénat a essayé, en deuxième lecture, d’assouplir le texte voté par l’Assemblée nationale, les conclusions de la commission mixte paritaire sont sans appel : une grande majorité des dispositions votées par l’Assemblée ont été réintroduites dans le texte final.
Je pense, tout d’abord, à la réitération et au rappel des finalités de la peine. Je souhaite revenir quelques instants sur cette notion nouvelle de réitération, que la proposition de loi va introduire dans notre code pénal. Cette codification n’est pas sans poser de problèmes, monsieur le garde des sceaux. Les modalités d’application de la réitération restent en effet très ambiguës.
Je voudrais rappeler que la réitération est une notion appliquée de facto par le juge. Le fait qu’un prévenu soit en situation de réitération influe déjà à la fois sur le choix de la procédure de jugement et sur le prononcé de la peine. Par ailleurs, le texte ne précise pas s’il s’applique à des infractions commises en réitération de même nature ou de nature différente. Il est également dangereux d’opérer une confusion entre une infraction aux biens et une infraction aux personnes.
L’objectif de cette nouvelle législation est de durcir les peines : mais, dans les faits, c’est déjà le cas. Ainsi, par exemple, l’article 132-30 du code pénal prévoit déjà un durcissement de la sanction en cas de réitération puisqu’il limite les possibilités de prononcer un sursis simple : le prévenu ne doit pas avoir été condamné dans les cinq années précédant les faits pour crime ou délit de droit commun à une peine de réclusion ou d’emprisonnement.
L’introduction de la notion de réitération dans le code pénal n’a donc qu’un seul but, monsieur le garde des sceaux : faire croire à l’opinion publique que le prononcé de peines plus lourdes sera systématique, alors que c’était déjà ce que faisaient nombre de juges jusqu’à présent.
Cela donne également le ton quant à l’idéologie de cette proposition de loi, à savoir alourdir les peines et recourir encore davantage à l’emprisonnement.
L’article 4, qui organise les conditions d’incarcération dès le prononcé de la peine, en est une parfaite illustration. Le Sénat avait essayé de préserver un grand principe de notre démocratie, monsieur le garde des sceaux, à savoir que la liberté doit être la règle et la détention l’exception, comme il est indiqué dans les rapports des commissions d’enquête des deux assemblées sur les maisons d’arrêt et l’ensemble des établissements pénitentiaires. L’Assemblée nationale a pourtant maintenu sa position en défendant, en cas de récidive, le mandat de dépôt quasi automatique après le prononcé de la peine.
La commission mixte paritaire a donc conclu que ce mandat sera délivré systématiquement, sauf si le juge en décide autrement par une décision spéciale et motivée.
D’une part, cela restreint la liberté d’appréciation du juge et, d’autre part, cela traduit la volonté de la majorité, soutenue activement par le Gouvernement, d’incarcérer plus de délinquants.
Même les détenus malades n’auront pas pu échapper à cette obsession sécuritaire, puisque le Gouvernement a finalement obtenu que des conditions drastiques viennent compléter le dispositif de la suspension de peine pour raison médicale. Outre que cette mesure est inhumaine - les détenus malades sont décidément condamnés à mourir derrière les barreaux -, elle est injustifiée, compte tenu du très petit nombre de détenus concernés.
L’article 5, qui prévoit la limitation des crédits de réduction de peine pour les récidivistes, traduit lui aussi cette tendance à l’enfermement à tout prix. L’objectif du crédit de réduction de peine est, comme son nom l’indique, de faire rester moins longtemps en prison un condamné. S’il existe, ce n’est pas sans raison, monsieur le garde des sceaux : la prison a très vite révélé ses effets pervers, notamment quand elle est surpeuplée et que les détenus y sont livrés à eux-mêmes, sans aucun accompagnement.
Alors que toutes les études indiquent que la récidive est moins élevée chez les condamnés ayant bénéficié d’un aménagement de leur peine, le Gouvernement persiste et signe. L’article 5, après avoir été à deux reprises supprimé par le Sénat, a finalement été réintroduit dans le texte en commission mixte paritaire.
Il est particulièrement scandaleux que le Gouvernement ait prétendu, durant les débats sur l’article 5, que les récidivistes étaient traités par la justice de la même manière que les primo-délinquants. Cet argument est mensonger et jette de surcroît l’opprobre sur nos magistrats et sur notre justice.
Cet article 5 est donc totalement contraire à l’effet souhaité de prévention de la récidive, puisqu’il va aboutir à prolonger l’emprisonnement d’une personne. Il aura également pour conséquence d’aggraver la surpopulation carcérale, alors que celle-ci est déjà très préoccupante et a valu à la France plusieurs condamnations au niveau européen.
Une autre mesure contestable de cette proposition de loi est le placement sous surveillance électronique mobile des délinquants sexuels et dangereux.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen se sont interrogés sur ce procédé présenté comme la panacée en termes de prévention de la récidive, puisqu’il est censé permettre de localiser immédiatement la personne en cas d’infraction.
Mais c’est justement la seule chose que permet ce bracelet GPS : il n’est qu’un moyen de localisation de la personne et n’a absolument aucune vertu préventive !
La commission des lois du Sénat avait d’ailleurs émis de nombreuses réserves sur l’application du bracelet électronique, ce qui l’avait conduit à supprimer des articles relatifs au placement sous surveillance électronique mobile.
Cette prudence était notamment motivée par le fait que l’on ne disposait pas encore d’éléments permettant d’évaluer les conséquences d’un tel placement et qu’il fallait attendre, pour ce faire, le rapport Fenech, rendu public en avril 2005.
Ce rapport ne nous a guère rassurés car il met en relief la disproportion manifeste qui existe entre les propositions de la majorité contenues dans ce texte, et ce qui s’avèrerait être du domaine du raisonnable.
C’est pourquoi, contrairement à ce qu’a dit le président de la commission des lois lors de la commission mixte paritaire, nous pensons que les recommandations du rapport Fenech n’ont pas été prises en compte à l’occasion de la deuxième lecture. Le rapport Fenech est clair et sans ambiguïté sur ce point : il insiste sur le fait que le placement sous surveillance électronique mobile ne devrait pas excéder quatre ou cinq mois.
Pourtant, l’excès était de mise en première lecture : la majorité avait prévu que ce placement pouvait être de trente ans en matière criminelle et vingt ans en matière délictuelle.
La suppression par le Sénat des dispositions relatives au placement sous surveillance électronique mobile et les conclusions du rapport Fenech n’ont pas totalement calmé nos collègues députés. Le temps de placement prévu en deuxième lecture par l’Assemblée nationale était encore de dix ans maximum, puisque la durée de l’application de la mesure était de cinq ans renouvelables une fois, en matière criminelle, et de trois ans renouvelables, en matière délictuelle.
Bien que le Sénat ait ramené cette durée à quatre ans maximum - deux ans renouvelables une fois -, la commission mixte paritaire en a encore décidé autrement : désormais, la durée du placement pourra être de quatre ans maximum, en matière délictuelle, et de six ans maximum, en matière criminelle. Cette durée est encore bien supérieure au bilan établi dans le rapport Fenech.
Enfin, pour conclure sur le bracelet électronique mobile, nous maintenons, monsieur le garde des sceaux, que ce dispositif s’apparente bien à une peine, compte tenu de la durée de placement et de la contrainte physique et morale pour la personne qui le portera.
À ce titre, nous ne pouvons admettre son application immédiate aux détenus condamnés à un moment où cette peine n’était pas encourue. C’est manifestement contraire au principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale répressive, et nous regrettons que le Sénat ait finalement cédé en commission mixte paritaire devant l’Assemblée nationale, alors que la suppression de l’article 16 A avait été votée par les sénateurs.
À nos yeux, le suivi socio-judiciaire est le meilleur dispositif à utiliser afin de prévenir au mieux la récidive chez les délinquants sexuels et dangereux. Mais s’il est aujourd’hui insuffisamment appliqué, monsieur le garde des sceaux, c’est en raison du manque criant de moyens nécessaires à sa mise en oeuvre.
Au lieu de renforcer les crédits des services pénitentiaires d’insertion et de probation, d’augmenter le nombre de médecins psychiatres ou de travailleurs sociaux, le Gouvernement préfère engager des dépenses dans un dispositif technique très critiquable, qui ne remplacera jamais l’accompagnement humain et personnalisé.
D’ailleurs, nous nous interrogeons sur le financement du bracelet électronique, surtout lorsque nous vous entendons dire, monsieur le garde des sceaux, que vous vous « débrouillerez » pour le financer ! Nous ne pouvons que dénoncer des choix budgétaires contraires aux priorités en matière de suivi des détenus et de conditions de détention.
Enfin, nous regrettons également que le Sénat ait encore cédé en commission mixte paritaire sur l’article 15 quater A, qui prévoit l’éloignement du conjoint du domicile conjugal en cas de violences au sein du couple.
Nous avions demandé la suppression de cet article et nous l’avions obtenu. Il a pourtant été réintroduit à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire dans le texte final.
En effet, cet article était, pour le Gouvernement, un prétexte pour ne jamais inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple, pourtant adoptée en mars dernier par le Sénat.
La décision de maintenir cet article dans la proposition de loi est donc fortement regrettable, d’autant qu’il n’y a pas sa place.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous nous opposons à ce texte démagogique, opportuniste et dangereux.
La priorité, une fois encore, a été donnée à l’allongement des peines et à l’incarcération, qui est censée prévenir la récidive. Cette politique devient la règle. Cependant, ne vous y trompez pas, monsieur le garde des sceaux, vos choix auront fatalement de graves conséquences, notamment sur le nombre des détenus et sur l’aggravation des conditions carcérales. Or tant que la surpopulation carcérale existera, toutes les conditions seront réunies pour favoriser la récidive.
Ce texte de circonstance est donc loin de régler le problème de la récidive. C’est la raison pour laquelle nous voterons résolument contre les conclusions de la commission mixte paritaire.