Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Récidive des infractions pénales : motion d’irrecevabilité
Par Josiane Mathon-Poinat / 25 octobre 2005Le problème de la récidive n’est pas anodin. Synonyme d’échec, il ne doit pas être traité dans la précipitation, accompagnée d’un remue-ménage médiatique. Pourtant, la première comme la deuxième lecture de ce texte se fait sous le feu des projecteurs, suite à des faits divers tragiques. Le gouvernement veut apporter une réponse immédiate au problème de la récidive. La solution proposée serait de suivre les soi-disant récidivistes potentiels à l’aide d’un bracelet électronique mobile, alors que le Sénat a émis des doutes sur son application. Les députés n’en ont pas tenu compte et ont profondément modifié le texte.
Nous critiquions déjà vivement les mesures qui remettent en cause l’aménagement des peines et permettent un allongement de la durée de rétention. Or la liste des dispositions répressives a été complétée, et le gouvernement et la majorité maintiennent leur volonté d’imposer une surveillance électronique mobile après la sortie de prison. Celle-ci pourrait être appliquée soit dans le cadre du suivi socio-judiciaire, soit dans le cadre de la libération conditionnelle, soit enfin dans celui de la surveillance judiciaire.
Certes, la durée du placement sous surveillance électronique mobile a été nettement diminuée depuis la première lecture. Elle ne pourra plus excéder 6 ans en matière correctionnelle et 10 ans en matière criminelle, contre 20 à 30 ans dans la première version du texte. Néanmoins, elle reste importante, ce qui n’est pas exempt de conséquences.
Tout d’abord, le placement sous bracelet électronique mobile est une mesure totalement déshumanisée, qui prive l’ex-détenu du contact avec un agent de probation ou un travailleur social.
Ensuite, l’impact psychologique d’une telle mesure est particulièrement fort. Certes, les personnes concernées ont commis des infractions graves, mais elles ont pour cette raison effectué une longue peine de prison - davantage encore si ce texte est voté en l’état - et ont donc déjà connu une sanction afflictive et infamante.
Il faudra un jour ou l’autre repenser le sens de la peine. La surveillance s’effectuera 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Je me contenterai de citer Georges Fenech : « Les études sur le placement sous surveillance électronique démontrent que cet aménagement de peine peut rarement durer plus de 4 à 5 mois. Au-delà, la pression devient telle que les personnes placées sous surveillance électronique mobile ont tendance à commettre des violations de leurs obligations ».
Les durées prévues par la proposition de loi, même réduites par rapport au texte initial, restent disproportionnées et l’efficacité d’un placement aussi long n’est pas assurée.
Le bracelet électronique mobile constitue une entrave constante, pouvant durer plus de dix ans, à la liberté d’aller et venir. Il s’agit d’une contrainte importante qui porte atteinte à l’intégrité physique de la personne.
Nous considérons donc que le placement sous surveillance électronique est assimilable à une peine et non à une mesure de sûreté. Par conséquent, il ne saurait s’appliquer à des personnes déjà condamnées sans porter atteinte au principe de non rétroactivité de la loi pénale la plus sévère, défini par l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit ».
Le principe de sûreté, ainsi garanti, est un des piliers de notre état de droit. Portalis a d’ailleurs écrit : « Partout où la rétroactivité serait admise, non seulement la sûreté n’existerait plus, mais son ombre même ».
Avant l’examen du texte par l’Assemblée nationale, le garde des Sceaux prévoyait d’appliquer de manière rétroactive le placement sous surveillance électronique mobile. Il reconnaissait pourtant le risque d’inconstitutionnalité d’une telle mesure et menaçait les parlementaires, en cas de saisine du Conseil constitutionnel, de les rendre responsables du premier drame impliquant un récidiviste. C’est tout simplement scandaleux.
M. BÉTEILLE. - C’est ce que vous avez demandé pour la vente à la découpe la semaine dernière !
Mme MATHON. - Les réactions ne se sont d’ailleurs pas fait attendre et le président du Conseil constitutionnel, pourtant proche de la majorité, a lui-même tenu à rappeler que « le respect de la Constitution est non un risque mais un devoir ».
Il a donc fallu trouver une astuce sémantique pour échapper à la censure constitutionnelle. Ainsi, le port du bracelet électronique ne serait plus une peine mais une mesure de sûreté, applicable dans le cadre des remises de peine. C’est ainsi qu’il fait son apparition dans les mesures de « surveillance judiciaire ».
Le dispositif est, pour la Chancellerie, imparable. Grâce aux réductions de peine, un détenu peut être libéré quelques années avant le terme initialement prévu. Or, avec le nouveau dispositif de surveillance judiciaire, il pourrait être astreint par le juge de l’application des peines au port du bracelet électronique, mais uniquement pendant la durée égale aux remises de peine.
Pour justifier le fait que ce bracelet serait une mesure de sûreté, vous rangez l’obligation de le porter au même niveau que d’autres dispositions, qui sont effectivement des mesures de sûreté, comme : répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du travailleur social désigné ; se soumettre à des examens médicaux ou à des soins ; ne pas se lier à l’activité professionnelle liée à l’infraction ; ne pas fréquenter les débits de boissons ; ou s’abstenir de paraître dans certains lieux.
Assimiler à ces diverses mesures de sûreté, le placement sous surveillance électronique ne tient pas. Et ce n’est pas le simple fait de rebaptiser les nouveaux titres du Code pénal du Code de procédure pénale « Du placement sous surveillance électronique mobile à titre de mesure de sûreté » qui vous exonérera des règles de droit.
Les mesures de sûreté énumérées sont certes contraignantes, mais jamais autant que le port du bracelet électronique. Dans le dispositif présenté aujourd’hui, la contrainte physique est bien plus grande. La personne sera surveillée en permanence. Elle pourra être soumise à d’autres obligations, comme celles qui découlent du suivi socio-judiciaire. Sa liberté d’aller et venir est fortement compromise.
Vous envisagez de cumuler suivi socio- judiciaire et placement sous surveillance électronique. Mais le suivi socio-judiciaire est lui-même assimilé à une peine qui, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 2 septembre 2004, ne peut être prononcée que pour des infractions commises après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998.
Le principe de non rétroactivité déborde le domaine strictement pénal car il s’étend à tout texte prévoyant ou accentuant une répression. Il s’applique ainsi à la période de sûreté, alors qu’il s’agit d’une mesure relative à l’exécution de la peine et non d’une peine elle-même, comme l’a admis le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 septembre 1986.
Le port du bracelet électronique est bien une peine. Cela ne fait également aucun doute pour Georges Fenech, qui l’écrit très clairement dans son rapport : « Force est de constater que le placement sous surveillance électronique mobile constitue une mesure fortement restrictive de la liberté d’aller et venir. Il a en outre un impact sur la vie de famille et de ce fait présente le caractère d’une peine, non seulement au regard des principes du droit français mais également au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Il résulte de la plupart des auditions réalisées par la mission que le placement sous surveillance électronique mobile, bien qu’ayant un aspect préventif, ne peut pas être conçu comme une simple mesure de sûreté et qu’il doit être clairement rattaché à la notion de peine ».
Par conséquent, plusieurs dispositions de cette proposition de loi sont manifestement inconstitutionnelles.
En vertu de l’article 16, la surveillance judiciaire prévue à l’article 5 bis serait d’application immédiate. Étant donné le fait qu’elle peut comprendre une obligation de porter le bracelet électronique et que cette mesure est assimilée à une peine, cette application immédiate est contraire au principe de non rétroactivité.
Le même constat peut être fait au nouvel article 131-36-9 du Code pénal.
Enfin, l’article 8 bis A prévoit, dans son premier alinéa, que la personne faisant l’objet d’une libération conditionnelle peut être soumise aux obligations du suivi socio-judiciaire si elle a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure était encourue. Dans son second alinéa, il précise que cette personne pourrait alors être placée sous surveillance électronique mobile. Mais c’est tout simplement impossible, puisqu’il est clair dans le texte que cette peine n’était pas encourue au moment de la condamnation. Ou alors l’article 8 bis A, ou tout du moins son second alinéa, ne peut pas être d’application immédiate. Là encore, le principe de non rétroactivité n’a pas été respecté.
Pour conclure sur le bracelet électronique mobile, nous en récusons le principe tant sur le fond que sur la forme.
Nous le jugeons inefficace en termes de lutte contre la récidive. À nos yeux, le recours à des dispositifs techniques de surveillance ne peut remplacer un réel accompagnement et un suivi humains - à plus forte raison s’il s’agit de mineurs.
Ensuite, j’ai largement démontré que l’application immédiate qui en est proposée n’est pas conforme à la Constitution.
En conclusion, je dresse un sombre tableau du texte, qui ouvre la voie à une justice automatique. Certes, le gouvernement a refusé, très opportunément, les suggestions du ministre de l’Intérieur à propos des peines-plancher, mais la proposition de loi comporte l’incarcération immédiate des récidivistes. Elle réduit la possibilité pour les juges de prononcer des sursis avec mise à l’épreuve.
Enfin, elle laisse planer l’illusion qu’un enfermement toujours plus long permet de combattre efficacement la récidive. Citons à titre d’exemple l’allongement des périodes de sûreté ou d’épreuve dans les cas de libération conditionnelle, ou l’impossibilité d’accorder une libération conditionnelle à un condamné récidiviste parent d’un enfant de moins de dix ans. Alors que l’emprisonnement long et sans accompagnement est facteur de récidive, le gouvernement veut-il réellement la combattre ? Il est vrai que donner aux services d’insertion et de probation les moyens d’accompagner les détenus et mettre l’accent sur la prévention serait moins médiatique mais plus efficace que ce texte pour combattre la récidive.