Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Récidive des infractions pénales : question préalable
Par Josiane Mathon-Poinat / 9 février 2005par Josiane Mathon-Poinat
Cette proposition de loi est tout à fait révélatrice de la politique menée par le gouvernement depuis trois ans et qui consiste à traiter les symptômes par des effets d’annonce.
L’actualité récente en matière de délinquance sexuelle vous a permis de déposer des textes opportunistes, comme la très controversée proposition de loi sur les peines automatiques En raison de la forte opposition à ce texte, au sein même de votre majorité, une mission d’information sur le traitement de la récidive fut mise en place et cette proposition de loi n’en serait que la traduction législative. En réalité, ce texte va bien plus loin. Quel sens donner aujourd’hui à l’incarcération ? Depuis trois ans, les textes renforçant progressivement les peines se sont succédés, pour de bien maigres résultats. La politique du précédent ministre de l’Intérieur, M. Sarkozy, fut un échec.
Le nombre de détenus n’a cessé de croître, et ce qui était, il y a cinq ans, une humiliation pour la République ne vous indigne plus aujourd’hui ! Les modifications successives du Code pénal et du Code de procédure pénale n’ont eu qu’un objectif : aggraver toujours plus des peines déjà lourdes, sans même prendre en compte la réalité. En outre, une telle inflation législative complique les choses pour les magistrats qui appliquent la loi et pour les citoyens qui sont censés ne pas l’ignorer.
Ces textes révèlent une conception autoritaire de la société et une incapacité à répondre autrement à la délinquance et à la récidive. Pourtant, les sanctions pénales sont légion et on ne peut affirmer que le Code pénal recèle un quelconque angélisme ou laxisme à l’égard de ceux qui ne respectent pas la loi ! Les peines de prisons sont de plus en plus longues et les aménagements de peine de plus en plus exceptionnels. Les peines alternatives sont elles aussi de plus en plus rares ce qui explique l’explosion carcérale actuelle.
Malheureusement, cette proposition de loi ne fera que renforcer la surpopulation carcérale. Le problème n’est pas de rajouter des sanctions à d’autres sanctions, mais bien d’appliquer les peines qui existent ! La mission d’information a d’ailleurs démontré que l’arsenal juridique destiné à lutter contre la récidive existe et que le problème réside essentiellement dans l’exécution des peines. Nous en revenons donc aux moyens alloués à la justice. Il s’agit là d’un problème essentiel dans la lutte contre la récidive.
La peine doit sanctionner une infraction à la loi. Pour qu’elle soit une juste sanction, elle doit être individualisée et proportionnée à l’infraction commise. Or, avec ce texte, nous en arrivons aux peines automatiques.
La personnalité de l’auteur de l’infraction ne pourra plus être prise en compte par le juge, ce qui réduit encore sa capacité d’intervention. Le gouvernement estime que les sursis avec mise à l’épreuve ne sont pas mis en œuvre en raison du manque de moyens dont disposent les services d’insertion et de probation. Pourquoi réduire la possibilité de recourir à un procédé reconnu efficace et qui évite les courtes peines d’emprisonnement plus néfastes qu’utiles ? En outre, vous partez du principe que les moyens étant insuffisants, il faut réduire le recours aux services de suivi éducatif et social alors que c’est l’inverse qu’il faudrait faire.
Réduire le nombre de sursis avec mise à l’épreuve entraînera inéluctablement une augmentation du nombre de prisonniers ; alors qu’il y a déjà une scandaleuse surpopulation carcérale. Ce faisant, vous écartez les recommandations d’observateurs extérieurs des prisons, des professionnels pénitentiaires, mais aussi celles qui émanent de votre propre majorité. Le rapport Warsmann sur les peines alternatives préconisait ainsi de créer 3 000 postes de conseillers d’insertion et de probation. Or, avec 330 postes créés depuis la loi d’orientation et de programmation pour la justice et 200 postes prévus pour 2005, nous sommes loin du compte.
La priorité donnée à l’emprisonnement aura bien évidemment des effets en matière de récidive, mais aussi des conséquences budgétaires. Il est beaucoup plus coûteux de construire des prisons que d’augmenter les moyens des services d’insertion et de probation. Pourtant, vous refusez d’augmenter les moyens de ces derniers au profit de la prison. Nous ne pouvons cautionner ce choix idéologique et budgétaire.
La capacité d’intervention du juge, réduite en matière de sursis, l’est également en matière de surveillance électronique mobile. La juridiction de jugement pourra prononcer, en matière de délinquance sexuelle, en plus d’une condamnation à une peine d’emprisonnement, le placement sous surveillance électronique mobile après la privation de liberté. Ce sera au juge de l’application des peines de prononcer ce placement. Mais, à ce moment-là, il ne sera pas demandé à la juridiction de jugement de se prononcer à nouveau sur cette mesure de sûreté, ne serait-ce que pour prendre en compte la personnalité de l’individu. Il est évident que le juge de l’application des peines ne prendra jamais la responsabilité de ne pas recourir au placement sous surveillance électronique. Et confier l’examen de la dangerosité d’une personne à une commission administrative est contraire à l’idée que nous nous faisons de la justice. Cette mesure de sûreté s’apparente à une peine, qui ne sera pas individualisée.
Il sera possible de placer une personne sous surveillance électronique mobile pour trois ans renouvelables si elle a commis un délit ou pour cinq ans renouvelables si elle a commis un crime. Une personne qui a été condamnée, qui aura payé sa dette envers la société, pourra être surveillée en permanence durant encore vingt ou trente ans !
Il est urgent de s’interroger sur le traitement de la délinquance sexuelle et de cesser d’y apporter des solutions uniquement médiatiques. Alors que le secteur psychiatrique public est laissé à l’abandon, et que le suivi socio-judiciaire est totalement insuffisant, le bracelet électronique serait le seul outil de lutte contre la délinquance sexuelle. Ce bracelet est pourtant loin de s’apparenter à une thérapie.
Le suivi socio-judiciaire devrait être la mesure prioritaire pour lutter contre la récidive d’agressions sexuelles. Il se pratique sur des durées longues : dix ans pour un délit, vingt pour un crime. D’où la nécessité de disposer d’un nombre suffisant de médecins, ce qui n’est pas le cas actuellement.
La finalité du suivi socio-judiciaire est de seconder la personne qui y est soumise en vue de sa réinsertion sociale. L’astreinte consiste à se soumettre à des mesures de surveillance et d’assistance, notamment des interdictions de paraître en certains lieux.
Cette proposition de loi fait référence à la réinsertion sociale mais se réinsérer signifie, au minimum, trouver un travail et un logement. Croyez-vous qu’un porteur de bracelet électronique se verra proposer un emploi ?
En outre, les effets sur la récidive seront dérisoires. Soit le dispositif sera utilisé sur des personnes sensibles à l’interdit et, dans ce cas, elles pourraient être valablement accompagnées dans le cadre des dispositifs existants - libération conditionnelle ou suivi socio-judiciaire -, à condition que ceux-ci disposent de moyens suffisants. Soit la surveillance électronique mobile est utilisée pour des personnes qui n’arrivent pas à contrôler leurs pulsions et, dans ce cas, le bracelet n’empêchera pas la commission d’une nouvelle infraction. Au mieux, il facilitera l’enquête policière mais cela voudra dire que l’infraction aura déjà été commise.
Les réelles conditions de la réinsertion et de la prévention de la récidive sont bien davantage la régularité et la qualité du suivi social, éducatif et psychologique.
Enfin, il est difficilement admissible qu’une peine supplémentaire s’applique après la fin d’une peine. Nous n’admettions déjà pas, en 1997, la possibilité de recourir au bracelet électronique dans le cadre des peines alternatives à l’emprisonnement. Notre opposition au bracelet G.P.S. est d’autant plus forte aujourd’hui qu’on en fait une seconde peine. Et ce bracelet du xxie siècle rappelle fâcheusement un sinistre passé, celui des forçats entravés par leur chaîne. Nous regrettons que d’autres moyens n’aient pas pu faire leurs preuves, faute d’avoir été réellement développés ; cela nous aurait évité une proposition de loi dangereuse pour nos droits fondamentaux. Il faut avoir conscience des conséquences de son adoption.
Même si l’idée de peine plancher a été aujourd’hui écartée, une brèche a été ouverte pour l’automaticité de la sanction, ce qui va à l’encontre de toute notre tradition judiciaire et pénale, laquelle s’appuie sur l’héritage des juristes et philosophes du siècle des Lumières. Leurs idées n’ont rien perdu de leur modernité. C’est au xviiie siècle qu’apparaît l’idée selon laquelle la prévention du crime peut en accompagner la répression. S’inspirant des idées de Montesquieu, William Blackstone, juriste britannique consacre un chapitre de son ouvrage sur les lois criminelles aux moyens de prévenir les délits et y écrit : « la justice qui prévient les délits est bien préférable à la justice qui les punit ».
Cette proposition de loi n’apporte pas de réponse valable à la question, déjà ancienne, de la récidive. Je vous demande donc d’adopter cette motion. Dans l’équilibre déjà si fragile entre prévention et répression, n’aggravez pas cette dernière car c’est la justice qui serait perdante.