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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Réforme de l’organisation du temps de travail : renvoi en commission

Par / 1er mars 2005

par Guy Fischer

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Durant ces dernières semaines, à propos de la réforme des 35 heures notre premier ministre a affirmé être « attentif » aux « demandes » des syndicats ». Ce dernier a même souligné son « attachement au dialogue social dans l’entreprise et dans les branches pour assouplir la réglementation relative au temps de travail » et demandé en conséquence aux parlementaires de veiller lors du débat à ce que « soit respecté la prééminence de l’accord entre les partenaires sociaux ». Peut être faudrait il prévenir M. Raffarin que le MEDEF ne fédère pas tous les syndicats ni les partenaires sociaux
Toutes ces déclarations de principes ne sont que poudre aux yeux. Le gouvernement s’acharne à faire adopter une « réforme » repoussée par la quasi-totalité des partenaires sociaux et par une grande majorité des salariés de ce pays.

Pourtant, lorsqu’on légifère sur des questions aussi importantes concernant le droit social, il est évident qu’il faut consulter les organisations syndicales et négocier avec elles, comme cela a été le cas pour le projet de loi relatif à la formation professionnelle. Mais sur ce sujet grave, le besoin de revanche sociale et idéologique qui anime la majorité atteint un tel niveau que l’impasse a été faite sur la négociation avec les organisations syndicales. Ainsi, à l’inverse des réformes sur les retraites ou l’assurance maladie, l’adoption de la loi sur les 35 heures n’a pas fait l’objet d’évaluation ni d’étude prospective.

Pourtant, Toutes les organisations syndicales confondues, quels que soient leur sensibilité ou leurs points d’accord et de désaccord, ont protesté contre cette réforme du temps de travail et ses conséquences néfastes, profondes et durables, sur les salariés de notre pays. Même le Président de la République avait en son temps qualifié de « débat imbécile » la polémique sur la RTT. Il faut croire qu’il a été dépassé au sein de sa propre majorité par les plus libéraux emmenés par M. Novelli, à l’initiative de cette proposition de loi.

Ce dernier affirme d’ailleurs que « la durée du temps de travail ne devrait pas être fixée par la loi » mais que « c’est à la négociation (entre les partenaires sociaux) de le faire ». En disant cela, il exprime clairement son voeu le plus cher, celui d’éradiquer toute forme de droit opposable, de rééquilibrage du rapport de force entre le salarié et l’employeur. Pour comprendre, il faut se pencher sur le contenu de cette loi qui réintroduit le face à face entre employeurs et salariés, au mépris des règles collectives, en permettant la négociation directe sur le rachat de jours de repos ou d’heures supplémentaires.

Présentée comme une mise à jour de l’organisation du temps de travail, un « assouplissement », cette proposition de loi n’est en réalité rien d’autre qu’une pure application du dogme libéral.
Une semaine avant les arbitrages du budget 2005, le Fonds Monétaire International a fait connaître ses préconisations pour la France : stopper les hausses programmées du Smic et la réduction de la durée du travail, revoir le fonctionnement du marché du travail, faciliter les licenciements, alléger les charges des entreprises tout en baissant les dépenses publiques, ne pas remplacer les fonctionnaires partant en retraite, etc...
De l’eau au moulin du gouvernement ! Cela éclaire le sens véritable du débat idéologique actuel. Savoir s’il vaut mieux travailler 35 ou 36 heures et avec combien d’heures supplémentaires est un trompe-l’œil pour masquer et faire accepter les choix stratégiques qui visent en tout lieu à faire baisser le niveau de rémunération et de protection du travail.

M. Raffarin veut « remettre la France au travail » ! c’est à la fois une insulte pour les salariés de ce pays mais aussi pour les demandeurs d’emplois ou les précaires. Si la durée légale du travail en France, peut paraître comme une des plus basses d’Europe. C’est parce que la notion de durée légale n’est pas la même selon les pays : chez nous c’est le seuil à partir duquel se déclenchent les heures supplémentaires, ailleurs c’est la durée maximale autorisée (heures supplémentaires comprises).
Si on compare la durée effective moyenne du travail pour l’ensemble des salariés (et pas seulement les salariés à temps plein comme c’est très souvent le cas), on s’aperçoit que la France est dans l’exacte moyenne européenne : 38 heures, pour 36,5 heures en Suède, 37,4 heures au Royaume Uni, et 35,9 heures en Allemagne.
Le coût horaire du travail est plus faible en France (25,1 euros) qu’en Allemagne (26,5) ou en Suède (27,4) et même qu’au Royaume Uni (37,4 euros).
La productivité horaire du travail est par contre supérieure en France, à la moyenne européenne. La France est au 2ème rang mondial devant les USA, l’Allemagne, le Japon, l’Italie, le Royaume Uni.
Les gains de productivité horaire du travail ont avoisiné les 4 à 5% du fait des 35 heures. Pourquoi les employeurs devraient ils être seuls à en tirer profit ?

Au lieu de ça, la mise à mort des 35 heures et tout le discours idéologique qui l’entoure permet à certaines entreprises de procéder à de véritables chantages au licenciement à l’égard de leurs employés.

En déréglementant l’organisation du temps de travail, vous ne faites d’ailleurs que suivre ce qui se fait déjà dans certaines entreprises à l’image de Bosch, responsable d’un véritable chantage au licenciement poussant les salariés à signer un accord qui les conduit à travailler plus longtemps en gagnant moins. Cet accord démontre d’ailleurs que sans changer la loi, les entreprises ont d’ores et déjà d’immenses latitudes qu’elles utilisent non à valoriser le travail mais à le détruire. Il pose question également quant à la politique européenne où le dumping social risque de se développer et poser d’immenses problèmes de société.

Les salariés d’Arcelor se trouvent dans une situation similaire. Ceux-ci ne dépendent pas des minima du Code du travail mais de la convention collective de la sidérurgie et des accords de branche contractés dans la métallurgie. Cela étant dit, la direction a décidé de faire baisser les salaires en payant ses salariés sur la base de 35 heures et non plus 39. Ainsi, après plusieurs années de modération salariale, alors qu’en 2004, le groupe a réalisé 300% de profits supplémentaires sur 2003 et l’ensemble des sites ont travaillé à 97%, la direction de cette entreprise voudrait qu’un accord sur le temps de travail se traduise par une augmentation du temps travaillé, une flexibilité à outrance, le tout sans augmentation de salaire.
Bref, c’est là un accord perdant pour tous les salariés, alors que la situation de l’entreprise est favorable.
Ces deux cas ne sont pas isolés, ces derniers temps, les exemples se sont multiplié : Outre-Rhin, deux sites du groupe Siemens sont ainsi passés de 35 à 40 heures de travail hebdomadaire, sans compensation salariale, sous la menace d’une délocalisation en Hongrie. Le leader européen de la volaille, Doux, en Bretagne, a dénoncé l’accord sur les 35 heures et supprimé 23 jours de RTT. L’entreprise Ronzat de Châlons-en-Champagne a proposé à ses salariés de revenir aux 39 heures, en conservant le même salaire, pour « éviter un dépôt de bilan ». Plus récemment, le fabriquant d’isolateurs électriques en verre Sédiver, à Saint-Yorre, a demandé à ses 294 salariés d’accepter une réduction de 25 à 30 % de leurs salaires, pour « pouvoir maintenir le site en France au lieu de le délocaliser en Chine ou au Brésil ». L’argument fonctionne, même si les syndicats dénoncent ces « chantages à l’emploi », certains, comme la CGT, allant jusqu’à demander qu’ils soient rendus illégaux. Jacques Chirac, dans son interview du 14 juillet, a dénoncé cette « pente glissante sur laquelle il ne faut pas se laisser entraîner ». Mais le chômage de masse dont souffre la France demeure une arme redoutable contre le niveau des salaires et des garanties sociales
Et c’est ce type d’accords injuste que vous allez valider derrière votre argumentaire simpliste selon lequel travailler plus serait la solution à tous nos maux. Avec cette proposition de loi, le Compte Epargne Temps devient un outil de flexibilité de plus à la disposition des employeurs qui pourront y affecter de leur propre initiative les heures effectuées au-delà de l’horaire collectif .

La réduction du temps de travail n’est pourtant pas un luxe. Il en dépend en effet de la santé des travailleurs. En 2001, les statistiques de l’Organisation Internationale du Travail ont montré que sur terre, le travail tuait d’avantage que les guerres, les accidents de la route et la malaria cumulés. En France, D’ici la fin de l’année, plus de 600 personnes seront tuées au travail et au moins 3000 décèderont d’une maladie liée à l’amiante. Sans compter les 40 000 personnes qui seront obligées d’arrêter de travailler à cause d’une maladie grave ou invalidante due à leur emploi comme les TMS (Troubles Musculo-Squelettiques). A force de gestes répétitifs des salariés de plus en plus jeunes souffrent par exemple du syndrome du tunnel carpien qui affecte un nerf au niveau du poignet et entraîne des paralysies.
Jeudi 17 février, le ministre délégué aux relations du travail, Gérard Larcher, a présenté son plan santé au travail 2005-2009 au conseil supérieur de la prévention des risques professionnels. Il est évidemment plus que nécessaire et urgent d’intervenir pour améliorer les conditions de travail des salariés en France mais pour cela, il faudrait revenir sur la flexibilisation accrue des horaires, les cadences de travail infernales, les compressions de personnel qui sont des causes majeures de dégradation de la santé due au travail.

La flexibilisation des horaires de travail est responsable de perturbations dans la vie personnelle, notamment pour ce qui relève de la santé, les troubles du sommeil bien entendu mais aussi la dérégulation de l’alimentation.
L’intensification des rythmes du travail avec augmentation concomitante des niveaux d’exigence pesant sur les salariés d’exécution et, concernant la polyvalence, les flux tendus et la qualité. C’est cette intensification qui est responsable de l’explosion des troubles de santé mais aussi de ce qu’on appelle, en langage courant, le stress au travail pourvoyeur de conduites addictives diverses (tabac, alcool, drogues, médicament) pour « tenir le coup ».
L’acharnement dans la compression drastique de personnel, relevant d’un excès de la logique gestionnaire, est responsable de surmenage physique mais aussi de souffrances psychiques par l’impossibilité de bien accomplir son métier. Un seul exemple, celui des maisons de retraites où le ratio personnel/pensionnaire est de 4 pour 10 en France contre 8/10 en Allemagne ; on en a vu les conséquences largement médiatisées en 2003.

Au lieu de prendre des mesures drastiques pour améliorer la condition des salariés de ce pays, ce gouvernement à relevé le contingent d’heures supplémentaires à 180 heures, ce qui revient à faire travailler 39 heures en moyenne par semaine, relever ce contingent à 220, c’est autoriser le travail à 40 heures hebdomadaires. Si on ajoute à cette augmentation du contingent, la suppression d’un jour férié, les 80 heures de formation hors du temps de travail de la loi sur la formation professionnelle, on arrive à une durée hebdomadaire effective nettement supérieure à 35 heures.

De plus, le fait que le salarié puisse désormais affecter au CET des congés annuels est réellement inquiétant : ces jours sont, en principe, fait pour se reposer. Les supprimer laisse donc craindre des problèmes quant à l’hygiène et à la sécurité des salariés.
En somme, cette proposition de loi instaure un marchandage honteux, en exerçant une pression plus importante sur les salariés, les incitant à faire plus d’heures supplémentaires. Il s’agit d’une manière de faire travailler les personnes « sans passer par l’inspection du travail, donc sans contrôle. Cette mesure laisse en outre à la porte les chômeurs, les précaires et les salariés à temps partiel.

Pour l’instant, le contingent d’heures supplémentaire effective est très en dessous de celui qui est autorisé (on estime ce contingent effectif entre 60 et 80 heures en moyenne). La loi Fillon du 17 janvier 2003 ouvrait la voix à un allongement négocié du temps de travail. Or seulement 22 des 274 branches employant plus de 5000 salariés ont revu leur accord 35 heures. Et seules 14 d’entres elles ont négocié un volume d’heures supplémentaires au contingent légal. Pourtant, alors que la marge d’heures supplémentaires non-utilisées est énorme, le gouvernement, depuis plusieurs mois, ne cesse de ressasser son nouveau slogan : « il faut plus de libertés pour les travailleurs et notamment pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus et plus de libertés pour les entreprises ».
Pour nous, permettre que les salariés puissent gagner plus, impliquerait des politiques actives de relance des salaires au lieu d’accumuler les allégements de cotisations patronales (19 milliards d’euros par an) qui compriment les salaires dans les zones à bas salaires parce qu’ouvrant droit aux abattements.
On pourrait aussi permettre aux salariés en contrats temporaires ou partiels, et aux sans emplois d’accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés, mais ce n’est pas ce chemin que le gouvernement prend, loin s’en faut (voir le Plan Borloo).

En somme, ce gouvernement, qui se présente comme « fer de lance » du dialogue social a tout fait pour éviter le débat avec les représentants de salariés, ceux-ci ont pourtant été nombreux à manifester il y’a quelques semaines, et gageons qu’ils seront encore nombreux le 10 mars prochain. C’est parce que l’unanimité des syndicats de salariés se sont montrés réticents à l’égard de ce texte que nous estimons qu’il serait pertinent de renvoyer le texte en commission. Il est indispensable, non seulement plus au fond, de les consulter sur la pertinence d’un allongement de la durée du temps de travail, mais aussi de les consulter sur la question de santé au travail, sur la situation des salaires et le pouvoir d’achat, sur une vraie politique publique de l’emploi.

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