Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Réforme du Sénat
Par Robert Bret / 12 juin 2003Intervention de Robert Bret à propos des conclusions de la commission des Lois sur deux propositions de loi portant réforme de la durée du mandat, de l’élection des sénateurs, et de la composition du Sénat.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,
Certains diront enfin ! Enfin, le Sénat, sa majorité, accepte l’idée d’une réforme. Depuis de longues années, les sénateurs du groupe communiste et apparenté, puis du groupe communiste républicain et citoyen ont fait des propositions pour permettre au Sénat de gagner en légitimité et en représentativité.
Comment ne pas approuver M. le Rapporteur lorsqu’il affirme, dans son texte écrit, « le Sénat doit aujourd’hui adopter son régime électoral en vue de renforcer sa légitimité ».
Il est temps, mes cher(e)s collègues, de se poser cette question.
Je dois toutefois regretter, avant d’analyser plus précisément les propositions avancées aujourd’hui que la réflexion sur la réforme du Sénat, sa place dans l’architecture institutionnelle, ne s’inscrive pas au sein d’un grand débat national sur les rapports entre pouvoir et population, entre représentant et représenté, un grand débat sur la République et la place du Parlement en son sein.
Nous vivons - qui en doutera - une crise profonde des valeurs à laquelle le fait politique n’échappe pas.
Le choc du 21 avril 2002 est toujours là et le formidable sursaut républicain du 5 mai ne peut toujours pas faire oublier la défiance croissante des habitants de notre pays à l’égard des institutions et de la vie politique en général.
Le temps qui est imparti à mon groupe ne me permettra pas, bien entendu, de développer largement sur ce thème.
Mais il faut rappeler, toutefois, l’influence croisée de la précarisation massive, l’insécurité sociale, de l’éloignement des centres de décisions avec une construction européenne qui se fait par le haut, en oubliant bien souvent l’intérêt des peuples, et d’un abaissement progressif du rôle du parlement face à un pouvoir exécutif omniprésent.
Les deux propositions de loi qui sont soumises à la discussion aujourd’hui, l’une organique, l’autre ordinaire, comportent des aspects contradictoires sur lesquels je reviendrai. Une chose est certaine, leur adoption ne modifiera qu’à la marge le Sénat actuel. Aucune ne permettra un jour à notre hémicycle de connaître l’alternance.
Aucune ne permettra un rééquilibrage réel entre la représentation des zones urbaines et rurales.
Aussi, je souhaite vous rappeler l’attitude qui a été la nôtre l’an dernier dans le cadre du groupe de travail déjà évoqué que « pilotait » notre collègue Daniel HOEFFEL.
Outre la nécessité de replacer la réflexion dans un cadre institutionnel plus global, il nous apparaît nécessaire de poser deux questions, parfois tabou, mais, me semble-t-il, pertinente :
ÿ une deuxième chambre est-elle nécessaire dans un régime démocratique ?
ÿ si la réponse est positive, quel sera son rôle, son mode d’élection et ses pouvoirs ?
Notre réponse à ces deux questions est sans ambiguïté.
Nous l’avons déjà affirmé, je tiens à le répéter aujourd’hui, nous estimons l’existence d’une seconde chambre justifiée, mais selon nous, dans le cadre d’un nouveau rôle spécifique à débattre et clairement défini par la Constitution.
Nous estimons, n’en déplaise à certains, que le rôle de l’assemblée élue au suffrage universel direct doit être renforcé. Il est surprenant de constater qu’une chambre, émanant d’un collège électoral particulièrement restreint, puisse tant peser dans le débat législatif.
Bien entendu, ce caractère apparaît d’autant plus choquant que la droite semble vouée à une majorité éternelle au Palais du Luxembourg.
Il faut reconnaître que Michel DEBRE et les artisans de la Constitution de 1958 ont eu un trait de génie en conférant à leur camp un verrou pour bloquer toute volonté transformatrice forte émanant de l’Assemblée Nationale et du suffrage universel.
Je tenais à rappeler cette réalité qui, à mon sens, relativise fortement le débat d’aujourd’hui et les « grandes modifications » que la majorité prétend apporter. Le Sénat demeure à droite, il demeurera une assemblée composée pour une bonne part de notables locaux du fait d’un collège électoral particulièrement restreint.
Si j’avais personnellement apprécié la qualité du travail de réflexion effectué l’an dernier, même si avec mes amis, nous en avions, comme aujourd’hui, souligné les limites.
Les propositions de loi qui nous sont soumises aujourd’hui ne me paraissent pas à la hauteur de cette réflexion.
La proposition de loi organique est bien entendu mise en avant puisqu’elle confirme la réduction du mandant de sénateur de 9 à 6 ans.
Nous approuvons bien entendu cette mesure que nous demandons depuis de nombreuses années par propositions de loi organiques successives et amendements.
Réduire le mandat parlementaire le plus long d’Europe apparaît aujourd’hui, une mesure de bon sens et je dirais même une obligation démocratique.
Par contre, nous n’approuvons pas le maintien d’un renouvellement sur plusieurs séries, deux au lieu de trois, alors qu’un renouvellement intégral en une seule fois aurait permis au Sénat de refléter, de manière plus directe et plus réaliste, l’état de la société française à un moment donné.
Ne serait-ce pas une nécessité pour une assemblée qui détient un pouvoir législatif fort ?
Comment ne pas percevoir que cette volonté d’atténuation de l’expression de la volonté populaire est un reliquat du principe d’une seconde chambre, modératrice, voire conservatrice, héritière du Conseil des 500, institué par le Directoire pour briser les élans démocratiques et révolutionnaires, ou d’une assemblée telle que la Convention ?
La proposition de loi organique propose d’abaisser l’âge des sénateurs de 35 à 30 ans.
Nous sommes en désaccord, M. le Rapporteur, lorsque vous affirmez, je vous cite, que « la fixation d’un âge d’éligibilité plus élevé pour les sénateurs répond à la vocation traditionnelle de chambre stable et modératrice du Sénat dans le bicaméralisme français. »
Malgré tout le respect que je dois à l’éminent juriste que vous êtes, je m’étonne de cette crainte, voire de cette peur, empreinte d’un certain mépris, que vous conservez avec la majorité sénatoriale à l’égard de la jeunesse.
Je note d’ailleurs que vous-même, vous soulignez votre contradiction avec le groupe de travail présidé par M. HOEFFEL qui avait pointé « cette image d’une assemblée d’élus âgés ».
M. LARCHE, je ne vois aucune raison valable, en dehors de la tradition, laquelle, d’ailleurs, pour écarter la jeunesse de cet hémicycle.
Comme vous le pointez par ailleurs, l’âge d’éligibilité pour être conseiller municipal, départemental ou régional est même de 18 ans.
Pour être député, il est de 23 ans, ainsi que pour être Président de la République.
Faut-il plus de sagesse pour être sénateur que Chef d’Etat ? Je m’interroge très sérieusement sur ce point, M. le Rapporteur.
Nous proposons ainsi que d’autres, un amendement pour aligner l’âge d’éligibilité des sénateurs sur celui de député. Le voter serait la voie d’une vraie sagesse.
Dernier point significatif, abordé par la proposition de loi organique, l’adoption de la répartition des sièges sénatoriaux entre départements au recensement de 1999, concrétisé par l’augmentation du nombre de sénateurs.
Le Sénat d’aujourd’hui représente toujours la France de 1975. Nous avons tenté, en vain, dès le recensement de 1990, de provoquer cette évolution. Il faut se souvenir que la majorité sénatoriale s’est opposée frontalement, en 2000, à cette évolution proposée alors par le gouvernement de Lionel JOSPIN.
Bien entendu, même si cela arrive bien tard, le renouvellement de 2001 aurait pu être concerné, nous approuvons cette disposition, tout en rappelant qu’un rééquilibrage plus important entre zones urbaines et rurales pourrait être effectué en établissant un nouveau quotient résultant de la division de la population totale du pays par le nombre de siège. Cette proposition émanant notamment d’un juriste éminent, connu au demeurant pour ses opinions conservatrices, M. GOGUEL.
Malgré cette ensemble de réserves, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront la proposition de loi organique tout en regrettant le caractère limité à ces avancées.
Par contre, la proposition de loi ordinaire relative à l’élection des sénateurs nous interroge beaucoup plus fortement et suscite, en fait, une opposition claire de notre part.
Cette position se justifie par la présence dans ce texte d’une régression et d’une omission.
La régression concerne le recul important en matière de proportionnelle. La réforme de juillet 2000 avait apportée une bouffée d’air frais dans notre hémicycle.
En effet, l’instauration de ce mode de scrutin plus juste aux départements comprenant trois sénateurs a permis l’élection de plusieurs femmes.
Il faut le dire et le répéter, c’est la proportionnelle qui permet de combattre les effets de la notabilisation en empêchant la réélection systématique de personnalités masculines, solidement établies parmi les grands électeurs.
La proportionnelle garantit la parité, ce principe constitutionnel qui crée les conditions d’une meilleure représentation des femmes dans la vie politique.
C’est cette avancée de la proportionnelle qui a permis au groupe communiste républicain et citoyen d’accueillir plusieurs sénatrices émanant de départements où le scrutin majoritaire prévalait auparavant.
Mme DAVID, dans l’Isère, Mme BEAUFILS dans l’Indre-et-Loire, Mme MATHON dans la Loire ou Mme DIDIER en Meurthe-et-Moselle ont pu ainsi percer les barrières de la primauté masculine dans la vie politique française.
La proportionnelle c’est bien entendu aussi le moyen de rajeunir nos assemblées et surtout, de garantir le pluralisme politique dans une instance représentative.
Pour toutes ces raisons, nous condamnons ce retour en arrière décidé par la majorité sénatoriale. Nous déposerons, bien entendu, des amendements de suppression pour permettre le maintien des dispositions existants en la matière.
L’omission qui motive notre opposition à la proposition de loi ordinaire, c’est l’absence de réforme du collège électoral.
Le groupe de réflexion indiquait pourtant dans ses conclusions :
« S’agissant de composition du collège électoral, le groupe de réflexion s’est prononcé en faveur d’une augmentation du nombre des électeurs sénatoriaux. »
Les conclusions stipulaient la nécessité de « mieux prendre en compte le fait urbain. »
En 2000, la majorité sénatoriale avait d’ailleurs déposé un amendement qui élargissait le collège électoral.
Bien que nous le jugeons insuffisant, nous vous convierons toutefois à l’adopter, puisque nous le proposerons en amendement.
Pour notre part, nous estimons nécessaire de procéder à un élargissement beaucoup plus significatif en reprenant le texte censuré par le Conseil Constitutionnel en 2000 qui organisait la désignation des grands électeurs à la proportionnelle par tranche de 1 pour 300.
Comment parler d’effort pour une plus grande représentativité du Sénat alors que le nombre de délégués qui représentent les communes de moins de 1000 habitants où vit 16,5% de la population française dépasse 30% ?
Le fait que la présente proposition de loi n’aborde pas cette lourde question du collège électoral marque un recul de la majorité sénatoriale.
C’est sans doute, un excès de certitude dû à votre majorité écrasante au parlement, qui fonde cette attitude. Nous le regrettons fortement.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc contre la proposition de loi ordinaire.
Sur l’ensemble de la démarche, nous avons le sentiment que le vrai débat sur les institutions de la République est renvoyé toujours à plus tard.
Quinquennat, décentralisation, inversion du calendrier, construction européenne, sont des strates qui n’offrent pas la lisibilité nécessaire à nos compatriotes.
Nous l’avons dit et répété, nous considérons qu’une certaine idée de la République est aujourd’hui en danger face à la poussée libérale.
En effet, le gouvernement de M. RAFFARIN se fixe l’objectif de remodeler les institutions dans ce sens tout en rabaissant de manière caricaturale, le parlement au niveau d’une simple chambre d’enregistrement.
La marche forcée du débat sur les retraites confirme pleinement cette analyse. Mais c’est sans compter sur la volonté largement majoritaire de nos concitoyens qui s’opposent à vos projets.
La réforme qui nous est soumise aujourd’hui ne masquera pas, malgré quelques points positifs, résultat de l’évidence, la formidable régression sociale et démocratique engagée par le gouvernement.