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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Rétention de sûreté

Par / 30 janvier 2008

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Je commencerai par la consternation qui m’a saisie - et je ne suis pas la seule - au moment du dépôt du projet de loi.

Comment admettre que, avant la présentation d’une loi pénitentiaire tant attendue et pourtant annoncée, et alors que les lois votées récemment, destinées à lutter contre la récidive ne fut pas ou peu appliquée du fait de leur caractère récent et de l’absence de moyens correspondants, nous soyons sommés de voter en urgence, une loi radicale d’affichage politique certes, mais dont le contenu pose d’énormes problèmes !
Notre Rapporteur nous dit qu’il y a bien eu consensus entre vous pour constater qu’il y a dans les prisons des personnes très dangereuses dont la sortie « est programmée ». La preuve, un horrible crime commis par une telle personne peu de temps après sa sortie. Oui !

Mme la Ministre, pourquoi s’interdire de prendre à bras le corps le problème de la détention et la lancinante question des moyens de l’application des lois ?
Ce n’est donc pas pour débattre d’une grande loi pénitentiaire que nous nous retrouvons aujourd’hui. Pourtant, cette loi nous était présentée comme essentielle, fondamentale, ne serait-ce que pour permettre à la France de ne plus être montrée du doigt.

Un Comité d’orientation restreint de la loi pénitentiaire, installé en juillet 2007, a été chargé de réfléchir à son élaboration. Vous avez reçu, madame la ministre, le rapport du Comité le 20 novembre 2007. Ce document présente 120 préconisations destinées à orienter les travaux « d’élaboration du projet d’une grande loi pénitentiaire ».
Le rapport préconise, entre autres, de faire de la privation de liberté une sanction de dernier recours, par le développement des aménagements de peine ou encore de donner un sens à la privation de liberté, et constituer par exemple au sein de chaque établissement une équipe pluridisciplinaire en charge du suivi du parcours de chaque détenu. La loi pénitentiaire devait être examinée par le Parlement à l’automne.
Débattre de votre projet de loi avant même d’examiner une réforme pénitentiaire et sans tirer les conséquences de la législation en vigueur en matière de prévention de la récidive est une aberration. Ca l’est d’autant plus qu’aujourd’hui, nous n’entendons plus parler de cet ambitieux projet de loi. Les prisons sont pourtant plus surpeuplées que jamais -près de 63 000 personnes y sont détenues, un record !- et que les personnes y souffrant de troubles mentaux y sont plus nombreuses que jamais.

Déjà, en 2000, dans son rapport intitulé « Prisons : une humiliation pour la République », la commission d’enquête sénatoriale mettait l’accent sur le nombre élevé de détenus souffrant de troubles mentaux. Déjà le chiffre de 30 % de détenus souffrant soit de troubles psychiques à leur entrée de détention, soit de troubles s’étant révélés au cours de leur détention était avancé. Le rapport n’hésite pas employer les termes de « retour à la prison de l’ancien régime », considérant que « la solution du "moindre mal", celle de l’incarcération des psychotiques, est ainsi retenue, pour le plus grand malheur de l’administration pénitentiaire. ».

La commission conclut ainsi : « Paradoxe terrible, la réforme du code pénal et la nouvelle "pratique" des psychiatres ont abouti à un résultat inattendu : de plus en plus de malades mentaux sont aujourd’hui incarcérés. La boucle est bouclée : la prison, aujourd’hui en France, est en train de retrouver son visage antérieur au code pénal napoléonien. ».

Comme pour beaucoup de préconisations de ce rapport d’enquête parlementaire, celle concernant les détenus malades mentaux n’a pas été suivie d’effet. C’est ainsi que tous les rapports, du rapport Burgelin à celui de nos collègues Goujon et Gautier de juin 2006 relatifs aux délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques jusqu’à celui du député Jean-Paul Garraud d’octobre 2006 relatif à la dangerosité et à la prise en charge des individus dangereux, n’ont pu que constater l’augmentation du nombre de ces détenus et l’impuissance tant de l’administration pénitentiaire que de la psychiatrie devant cet état de fait.
Mais ce constat ne pèse pas bien lourd face à l’instrumentalisation des faits divers et de l’émotion qu’ils suscitent.

Nous ne nous étonnons même plus que les deux volets de ce projet de loi tirent leur source de deux faits divers, comme ce fut le cas pour les précédents projets de loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales et celui sur les peines planchers.
C’est donc tout naturellement que le gouvernement en arrive aujourd’hui à utiliser une notion floue, la dangerosité, que d’ailleurs vous déclinez de différentes façons, soit grande dangerosité, soit dangerosité exceptionnelle ou encore, comme notre collègue, PORTELLI, « personnes qui sont inamendables » pour justifier une mesure qui n’existait plus depuis l’ancien régime, à savoir, l’incarcération sans infraction ou « la peine après la peine » par précaution.

Le projet de loi prévoit en effet de créer des centres socio-médico-judiciaires de sûreté. Le projet de loi initial prévoyait que seules les personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à quinze ans pour crime, torture ou actes de barbarie, et viol commis sur des mineurs de 15 ans pouvaient y être placées. Des députés, toujours prompts à la démesure, ne se sont pas privés pour étendre ces deux critères : ils ont ajouté à la liste l’enlèvement et la séquestration et ont souhaité viser les victimes majeures.

Ainsi, les personnes condamnées dans ces conditions et qui présentent un trouble grave de la personnalité, une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau l’une de ces infractions, pourront, à l’issue de leur peine, être placées dans un centre de rétention de sûreté pour un an, mesure renouvelable pour la même durée sans aucune limite à son renouvellement.
Pour la première fois depuis 1789, le lien de causalité entre une infraction et la privation de liberté est rompu. La personne condamnée aura purgé sa peine.

Mais le seul fait qu’elle puisse éventuellement commettre une nouvelle infraction conduirait, si ce projet était adopté, à la maintenir à l’écart de la société pour une durée dont elle n’aura pas connaissance. Une peine de prison a une durée définie. Au mieux, elle est réduite en fonction des réductions de peine accordées. Ce ne sera même pas le cas pour la rétention de sûreté. Pire, la durée de la rétention peut être rallongée année après année. C’est une véritable relégation à perpétuité qui est prévue ici.

J’ai la désagréable sensation d’atteindre ici une limite qu’un Etat de droit ne peut théoriquement pas franchir. Je comprends d’autant moins cet extrémisme que, au risque de me répéter, le code de procédure pénale n’est pas exempt de mesures censées lutter contre la récidive. Tout existe déjà dans le code : le suivi socio-judiciaire depuis 10 ans, le bracelet électronique, la surveillance judiciaire ou encore le fichage dans le Fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles, le FIJAIS, ces trois derniers moyens étant présentés par vos prédécesseurs comme la panacée en matière de prévention de la récidive. Même les peines planchers ne semblent pas vous convaincre de leur efficacité puisque vous présentez un nouveau texte six mois après. Les condamnés pour des crimes sexuels bénéficient-ils de tous ces dispositifs ? Non. Ceux qui ont malheureusement récidivé en ont-ils bénéficié ? Pas plus. Pourquoi ? Par manque de moyens, de personnels et de volonté politique. Avez-vous fait réaliser un bilan de l’application de la loi du 12 décembre 2005 avant de vous lancer dans ce dangereux projet ? Je ne le crois pas.

De même, la question des causes de la délinquance n’est jamais traitée, pas plus avec ce texte qu’avec les trois derniers.
Exclure d’office toute cause sociale à des troubles de la personnalité traduit la volonté de fermer les yeux sur la violence qui s’exerce dans notre société et que certains individus, certainement plus fragiles que d’autres, ne peuvent gérer. On ne peut occulter l’environnement d’une personne dont on veut comprendre le comportement.

Vous avez enfin trouvé la solution à un problème qui vous taraude depuis 2002 : comment faire croire à un risque zéro de récidive ? En enfermant à vie les personnes qui potentiellement pourraient à nouveau commettre un crime. L’étape suivante sera-t-elle d’enfermer à vie les personnes qui pourraient potentiellement commettre un crime ? Si l’on se fie à la volonté de certains, tels que le député Bénisti ou encore l’ancien ministre de l’intérieur aujourd’hui Président de la République, il serait possible de prédire, à partir de comportements considérés comme anormaux ou à partir de ses antécédents génétiques qu’un enfant va devenir un délinquant, un pédophile ou une personne suicidaire. Un tel projet de loi ouvre une brèche sans précédent vers l’enfermement de précaution.

Vous dites vous inspirer des exemples étrangers. Certes, le Canada, les Pays-Bas ou encore l’Allemagne ont mis en place des mesures de rétention de sûreté. Mais vous oubliez l’essentiel : dans ces pays, l’évaluation et la prise en charge des détenus considérés comme dangereux interviennent dès le début de la détention.
Comment justifier le fait de dire qu’on ne peut rien faire pendant quinze ou vingt ans mais qu’ensuite on prendra en charge médicalement des personnes considérées comme dangereuses ?

C’est oublier, une fois de plus, que la détention accroît bien souvent des troubles psychiques.
C’est enfin admettre que ces longues années de détention n’ont servi à rien, puisque la personne est toujours considérée comme dangereuse. Pourquoi, par conséquent, ne pas évaluer son comportement dès le début de l’incarcération ?
Par ailleurs, les pays étrangers ont fait le choix, malgré son coût particulièrement élevé, d’organiser une prise en charge structurée et interdisciplinaire des détenus considérés comme dangereux. Mais vous ne proposez pas de faire ce choix, le projet de loi n’étant assorti d’aucun budget.

S’agissant maintenant du volet relatif aux irresponsables pénaux, le projet de loi ne peut emporter notre adhésion. Après le drame de Pau, il était question de juger ces irresponsables pénaux.

Le projet de loi, sans aller jusque là, crée une procédure juridictionnelle hybride, qui n’est pas un jugement, et qui ne permet même pas une amélioration de la prise en charge psychiatrique de ces malades.

L’audience devant la chambre de l’instruction s’apparente effectivement à une audience juridictionnelle de droit commun, mais le problème est qu’elle va aboutir à un préjugement qui va déterminer si les faits sont imputables à la personne considérée comme irresponsable et si celle-ci est effectivement irresponsable. Si la chambre de l’instruction estime que l’article 122-1 du code pénal n’est pas applicable, elle devra renvoyer la personne devant la juridiction de jugement compétente. Il sera alors difficile à cette dernière de se prononcer de façon impartiale, puisque les faits auront déjà été imputés à l’accusé.

Enfin, le projet de loi prévoit l’inscription au casier judiciaire de la déclaration d’irresponsabilité pénale alors que ce n’est pas une condamnation, l’application de mesures de sûreté à l’égard d’une personne dont le discernement a été aboli et qui de surcroît, si elle ne les respecte pas, pourrait se voir appliquer une peine de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende ! Que va-t-on faire : déclarer une nouvelle fois qu’elle est irresponsable pénalement ?

Décidément, ce projet de loi ne peut emporter notre adhésion, tant sur la forme, l’urgence ayant été déclarée, que sur le fond. Ce texte, qui bafoue un nombre important de principes fondamentaux et constitutionnels, représente un véritable danger pour notre Etat de droit. Le simple fait de rendre rétroactives les dispositions sur le placement en rétention de sûreté en est une illustration.

Le rapporteur a fait de gros efforts pour rendre ce projet acceptable du point de vue du droit et tenté de le rendre conforme au principe de non-rétroactivité. Hélas, ce matin, en commission des lois, la majorité a aussi fait de gros efforts pour battre le rapporteur.

Je ne peux croire que notre pays s’engage dans une voie aussi obscure que celle proposée par le gouvernement, et qui fait de la relégation sociale un mode de gestion des personnes considérées comme dangereuses. C’est pourquoi mon groupe et moi-même voterons résolument contre ce texte.

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