Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Révision constitutionnelle

Par / 15 février 2005

par Nicole Borvo Cohen-Seat

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Une seule raison suffirait à rejeter le projet de loi constitutionnelle que vous nous soumettez, parce qu’elle inclut toutes les autres : en effet, vous nous demandez de constitutionnaliser par avance un texte qui n’existera pour la France, que s’il est approuvé par notre peuple à une date non encore fixée ! Le rôle dévolu au Parlement est singulier : soit il est instrumentalisé pour influencer le vote de nos concitoyens ; soi il est totalement mineur puisqu’il nous est demandé de voter sur ce que le Conseil Constitutionnel a décidé de nous soumettre, et qui est loin de recouvrir, vous en conviendrez, l’ensemble des rapports entre le traité constitutionnel et nos institutions et ce à quoi vous ajoutez des considérations de pure opportunité ? qui ne clarifient pas, loin s’en faut, l’intervention parlementaire !

M. le Ministre, cette révision constitutionnelle ne peut être dissociée de l’analyse du traité constitutionnel. Celui-ci étant soumis au référendum, révision et traité devaient être liés. Rien ne nous obligeait à choisir la voie parlementaire pour cette révision.

Les dispositions constitutionnelles devaient être soumises au référendum en même temps que le projet de traité constitutionnel européen.
Il s’agit de la même question et il me paraît grave que les parlementaires valident par anticipation le traité constitutionnel aux termes d’un débat sur quatre articles de portée limitée, tandis que le débat dans le pays serait mené sur le thème « non au traité, ou le chaos », comme nous l’entendons beaucoup. Car enfin, nos concitoyens qui vont se prononcer par référendum ont droit à un débat sur le contenu du traité constitutionnel européen ! Le parlement va-t-il contribuer ? Je n’en ai pas l’impression…

La campagne du référendum va-t-elle y contribuer ?
A Barcelone, vendredi, nous avons cru entendre vanter - par le Président de la République et les dirigeants espagnols - les bienfaits d’une Europe porteuse de valeurs communes, de paix, de démocratie, de progrès social.
Ces valeurs ce sont celles que d’Europe à laquelle la jeunesse aspire. Ce sont celles que nous choisissons, nous communistes, parce qu’il y a effectivement besoin d’Europe dans notre monde globalisé.

Nous en avons besoin car avec la mondialisation, un seul pays ne peut plus, à lui seul, relever des défis dans un certain nombre de domaines, où le niveau pertinent d’action est le niveau européen. C’est le cas lorsqu’il s’agit de maîtriser les marchés financiers. C’est le cas lorsqu’il de prévenir les risques écologiques, quand il convient de mobiliser les ressources pour la recherche à l’heure de l’explosion des nouvelles technologies et de la révolution informationnelle.

Notre ambition pour l’Europe comporte une triple facette : une ambition démocratique, une ambition sociale et écologique, une ambition au service d’un monde de paix, proposant une autre stratégie que celle de la globalisation ultra-libérale, de l’unilatéralisme.
Mais, est-ce l’expérience que font nos concitoyens et les peuples de l’Europe actuelle, celle de l’acte unique, de Maastricht, de la monnaie unique et de la Banque centrale européenne ?

13 ans après le référendum de 92, le bilan devrait nous interroger davantage.
65 millions de personnes, dont 17 millions d’enfants en dessous du seuil de pauvreté ; 20 millions de chômeurs, la précarité, la libéralisation à marche forcée des services publics, les délocalisations, la mise en concurrence des peuples, les dépenses publiques sous la coupe du pacte de stabilité et à côté de cela, la financiarisation des économies, les énormes profits accumulés. Avec cela, le rejet des politiques, la désaffection des couches populaires aux consultations européennes, les replis dangereux et montée des extrêmes droites dans de nombreux pays.
Les insatisfactions populaires, les colères, les manifestations croissantes des salariés, d’agents publics, de chercheurs… elles visent la politique de notre gouvernement, en tout point conforme aux dogmes libéraux européens.
Ces dernières années ne sont-elles pas marquées d’ailleurs, qui plus est, par une montée en puissance des euro-manifestations, nées des convergences de luttes et d’aspirations des peuples européens ? Le 19 mars prochain à Bruxelles…
La question … intéressante est donc bien de savoir si le traité constitutionnel apporte un changement, des améliorations à ce que nous connaissons aujourd’hui ?
Non, le traité consacre les traités antérieurs et dans la partie 1, seuls les objectifs et dans les articles du III dont personne ne parle !

Ainsi, dès l’article 1-3 portant sur les objectifs de l’union, est-il précisé (paragraphe 2) que l’Union offre à ses citoyens un marché intérieur « où la concurrence est libre et non faussée », et que le développement de l’Europe est fondé sur une économie de marché « hautement compétitive ». Certes, cette économie de marché, hautement compétitive est qualifiée dans un des articles de « sociale » (art. 1-3). Mais c’est l’unique fois. Cette pétition de principe ne pèse pas bien lourd face aux références répétées au principe de la libre concurrence. A au moins trois reprises (articles III-177, III-178 et III-185), le titre III du traité affirme que la politique économique est conduite conformément « au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Ce dernier s’accompagne, tout naturellement, du dogme de la libre circulation des capitaux (III-157-2). L’article III-156 interdit toute restriction aux mouvements des capitaux et la règle de l’unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul de ce droit.

De même, je le rappelle, les mesures d’harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements des capitaux et de lutte contre l’évasion fiscale, tout comme les mesures sociales, sont toutes subordonnées à un vote à l’unanimité. Elles sont donc figées. Toute évolution dans ces domaines et toute politique alternative sont ainsi interdites.
Par ailleurs, le traité ne connaît ni les « services publics », ni les « services d’intérêt général ». Il ne parle que des « services d’intérêt économique général (SIEG) » (art. II-96, III-122, III-166,2).

Alors comment l’Europe favoriserait-elle des politiques contre le chômage ? Comment les pays européens mèneraient-ils des politiques audacieuses d’investissements utiles, de soutien au pouvoir d’achat ou encore, de santé publique, éducation ambitieuse. Elles se heurteraient au traité constitutionnel.
Le budget européen doit être strictement équilibré (art. I-53 et III-407), ce qui complète l’interdiction faite à la Banque centrale européenne de faire crédit aux institutions européennes (art. III-181).

On ne peut utiliser l’instrument monétaire, l’injection de liquidités dans l’économie portant toujours un risque inflationniste ; or la mission de la Banque centrale européenne (BCE) est la stabilité des prix (art. I-130 et III-185).
L’indépendance de la BCE interdit aux instances politiques de peser sur elle pour qu’elle assouplisse sa politique monétaire afin de lutter contre le chômage ou toute autre raison (art. I-30 et III-188). Son refus d’agir aujourd’hui face au cours très bas du dollar, qui facilite les exportations US et freine les exportations des pays de la zone euro, en est une éclatante illustration.
Mettre fin au dumping social se heurte directement à l’unanimité requise pour modifier les règles fiscales (art. III-171).

Si les dispositions précises du traité constitutionnel sont peu évoquées dans les discours, les commissaires européens sont là pour nous les rappeler.
La directive Bolkenstein fait crier au scandale ; rappelons qu’elle a un an ; qu’elle découle des traités existants et qu’elle s’inscrira parfaitement dans la logique des articles III-137 qui interdit de restreindre la liberté d’établissement ou l’article III-144 en vertu duquel « les restrictions de la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites ».
Ces promoteurs de la directive doivent attendre un peu. Ils reviendront à la charge après le référendum !
Le Commissaire Danuta HÜBNER veut « faciliter les délocalisations ». Voilà qui correspond parfaitement au traité constitutionnel qui « exclut toute harmonisation en matière fiscale et sociale ».

En réalité, le traité constitutionnel pérennise et sacralise sous la forme d’une constitution - ce choix n’est pas anodin, vous me l’accorderez - difficilement révisable des orientations en œuvre depuis 15 ans avec les conséquences à en attendre dans les domaines sociaux, culturels, ethniques, etc…
Il serait, à ce sujet, intéressant de débattre des rapports entre les grands principes qui sous-tendent la Constitution française, notamment l’égalité, la solidarité, la laïcité… et ceux qui sous-tendent le traité constitutionnel européen qui les expose, mais cite 88 fois le « marché », 68 fois la concurrence.

Hélas, le Conseil Constitutionnel de jurisprudence constante ne s’y intéresse pas !
Les promoteurs du traité constitutionnel, s’ils parlent peu de la partie III, soulignent l’inclusion de la charte des débats fondamentaux.
Certes, mais à y regarder de près - et c’est la raison pour laquelle nous avions émis des réserves sur cette charte - elle n’est pas spécialement avancée en terme de droits !

Elle est dans les débats sociaux, ou déjà dans la Déclaration universelle de 1948, qui reconnaissait le « droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et celui de sa famille, notamment pour l’alimentation, le logement, les soins médicaux aussi pour les services sociaux nécessaires ». Rien de cela dans la charte.
Le droit au travail n’est pas reconnu ; il est question de droit de travailler et de liberté de chercher un emploi !
Le droit de grève est prévu pour les salariés et pour les employeurs. Cela s’appelle le « lock-out ». Il a fallu combien de combats pour l’empêcher en France ? Cela nous renvoie au Chili sous ALLENDE !

La laïcité n’existe pas, alors que les églises et les communautés religieuses sont reconnues comme interlocutrices régulières dans le traité !
Les droits des femmes ? La charte s’abstient de toute avancée. « L’égalité des femmes et des hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail » est énoncée, mais l’article ne s’applique pas aux rémunérations (ce n’est d’ailleurs pas dans la charte, mais dans le titre III).

Le droit à disposer de son corps - donc contraception et avortement - sont absents.
Le droit au mariage est inscrit, mais pas le droit au divorce ! Esclavage et travail forcé sont interdits, mais la prostitution pas explicitement citée.
Mais surtout, la charte n’est pas contraignante. L’article II-111 précise qu’elle ne crée aucune compétence, ni tâche nouvelle pour l’Union européenne.
Le document élaboré par le service des affaires européennes est convainquant, qui dit « concrètement, ce n’est pas parce que la charte interdit les traitements dégradant ou le travail forcé que l’Union est habilitée à légiférer sur ces sujets »… (c’est le présidium qui a élaboré la charge qui le dit dans ses annexes !)
On nous dit aussi que le traité constitutionnel introduit le principe de la démocratie participative.

Il y a effectivement dans le projet, une vingtaine de lignes qui y sont consacrées (I-47) et en particulier la pétition d’un million de citoyens. M ais quelles limites ? Cette pétition, elle permet de soumettre une proposition à la Commission européenne, qui en fait ce qu’elle veut et la proposition doit « se situer dans le cadre strict de l’application de la Constitution ! »
Le poids de l’Union européenne devrait lui permettre de faire émerger d’autres règles internationales que celles imposées aujourd’hui par les Etats-Unis et leurs alliés inconditionnels.

Elle devrait s’affirmer comme un grand acteur mondial, jouer un rôle particulièrement actif vis-à-vis des pays du Sud. C’est le souhait de tous les Européens épris de paix, de solidarité, de développement humain.
Ce traité constitutionnel, article 1-41, précise que la politique de l’Union européenne en matière de sécurité et de défense commune doit être compatible avec la politique arrêtée dans le cadre de l’OTAN et crée une agence de l’armement. Est-ce franchement la meilleure manière de faire de l’Europe une puissance politique face aux Etats-Unis ? Doit-on voir dans la réunion à Nice des Ministres de la Défense les 9 et 10 février, des gages de soutien à la logique d’affrontement et de domination de l’OTAN sous la houlette américaine ?

M. le Ministre, c’est au regard du contenu du traité constitutionnel qu’il faut débattre des pouvoirs des parlements nationaux et donc, je crois des parlements de notre pays que certains ici - je citerai MM. PONCELET, VALADE, VINCON, de RAINCOURT, de ROHAN, LARCHER, défendaient en 1992 !
Le traité constitutionnel limite les pouvoirs des parlements nationaux aux choix des conditions dans lesquelles ils prévoient de transposer la loi européenne en droit interne. S’ils estiment que la Commission a outrepassé ses pouvoirs, ils peuvent lui demander de s’expliquer !

Les mesures de l’article 3 du projet de révision n’y changent rien.
M. le Ministre, c’est au regard du contenu du traité constitutionnel qu’il faut se prononcer ici au Sénat et que le peuple devra se prononcer.
S’il veut donner ses chances à une Europe sociale, démocratique, de coopération, il dira non.
Ceux qui annoncent le chaos, en cas de rejet par notre pays, spéculent sur la peur.
Si le non l’emporte en France, le projet de traité est caduc. Ce sont les traités actuels qui restent en vigueur. Il n’y a pas de vide juridique. Par contre, un débat de fond pourrait enfin se développer à l’échelle de l’Union : pourquoi tant de citoyens ne se reconnaissent pas dans ce modèle libéral ?

Le débat n’est pas entre partisans et adversaires de l’Europe. Le véritable choix est entre l’Europe sociale, démocratique, solidaire et pacifique et l’euro-capitalisme le plus décidé qui induit la Constitution.

M. le Ministre, ce traité constitutionnel, c’est non, pour permettre de mettre un nouveau traité en chantier.
C’est un non progressiste, solidaire, constructif. Non au projet constitutionnel, c’est oui à l’avenir de l’Europe.

Les dernieres interventions

Lois Qui va payer les quotas gratuits sur le marché du carbone ?

Adaptation du droit de l’Union européenne - Par / 9 avril 2024

Lois Le nucléaire, quoi qu’il en coûte ?

Fusion de l’Autorité de sûreté du nucléaire avec l’institut chargé de l’expertise sur le nucléaire - Par / 8 avril 2024

Lois Nouvelle-Calédonie : le dégel du corps électoral ne passe pas

projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. - Par / 3 avril 2024

Lois Confisquons les biens criminels

PPL améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels - Par / 26 mars 2024

Lois L’autorité parentale n’est pas automatique

Proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales - Par / 13 mars 2024

Lois Un statut pour que chacun puisse devenir élu

Proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local - Par / 7 mars 2024

Lois Un vote historique pour inscrire l’IVG dans la Constitution

Liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse - Par / 29 février 2024

Lois Alerte sur l’habitat dégradé

Projet de loi sur la rénovation de l’habitat dégradé - Par / 27 février 2024

Lois Une colonisation de peuplement en Nouvelle-Calédonie

Projet de loi organique pour reporter les élections en Nouvelle-Calédonie - Par / 27 février 2024

Lois Une boîte noire pour les entreprises ?

Garantir la confidentialité des consultations juridiques - Par / 15 février 2024

Lois Coup de pouce pour les communes rurales

Dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales - Par / 13 février 2024

Lois Protéger les enfants, même des parents

Proposition de loi sur les violences intrafamiliales - Par / 6 février 2024

Lois Action de groupe : la conquête entravée du collectif

Proposition de loi sur le régime juridique des actions de groupe - Par / 5 février 2024

Lois Un maire sans argent est un maire sans pouvoir

Vote sur la proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales - Par / 25 janvier 2024

Lois Ne pas tomber dans le piège des terroristes

Proposition de loi instituant des mesures judiciaires renforçant la lutte antiterroriste - Par / 23 janvier 2024

Lois Outre-mer : une question de continuité intérieure

Débat sur les mesures du Comité Interministériel des Outre‑mer - Par / 10 décembre 2023

Administration