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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Si nous partageons le constat, nous doutons du dispositif proposé

Prescription de l’action publique des agressions sexuelles -

Par / 28 mai 2014

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, de saluer le travail de Muguette Dini qui, loin de chercher à mener une politique d’affichage, a fait, avec d’autres élus, de la lutte contre les violences sexuelles un combat.

Le texte qui nous est proposé pose une véritable question. En effet, son analyse nous a conduits à reconnaître les réelles difficultés d’application du régime de prescription en matière d’infractions sexuelles. Mais, en poussant l’analyse un peu plus loin, nous avons aussi constaté que les difficultés liées à la prescription en matière pénale dépassent les cas d’infractions sexuelles, comme le révèlent de récentes décisions rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassation, et appellent une réforme plus globale.

Avant de développer ce point, je voudrais nuancer les arguments ayant motivé le rejet du texte en commission.

S’agissant des difficultés probatoires, elles sont réelles, et le dépérissement des preuves est l’un des fondements traditionnels qui justifient la prescription. Toutefois, je tiens à réfuter l’argument selon lequel le non-lieu prononcé faute de preuves suffisantes serait douloureusement ressenti par la victime, car il n’est pas certain qu’un refus d’instruire pour cause de prescription soit mieux perçu par cette dernière.

M. le rapporteur a lui-même nuancé cet argument : il a soutenu que les difficultés en matière de preuves ne doivent pas forcément être un obstacle à l’instruction d’une affaire. Donner la possibilité à une personne se disant victime de voir son affaire instruite peut aussi conduire à délier la parole. D’autres victimes du même suspect pourront alors se manifester et, par conséquent, de nouvelles agressions pourront être évitées.

Concernant la nécessité d’envisager toute réforme de la prescription de manière globale, il n’est pas absurde de considérer que la spécificité des infractions sexuelles par rapport à d’autres crimes ou délits mérite une prise en compte particulière de la législation relative à la prescription. Des exceptions ont d’ores et déjà été prévues et des réformes parcellaires adoptées. Je pense au trafic de stupéfiants, au terrorisme, comme vient de le rappeler notre collègue Chantal Jouanno, ou encore aux infractions d’affaires.

En effet, si le mutisme des victimes rend difficiles les études des violences sexuelles, les médecins et les spécialistes en victimologie insistent sur la spécificité de ces violences par rapport à d’autres crimes ou délits.

Cependant, certaines études ont été menées, ainsi que vous l’avez relevé, madame Dini. L’une d’entre elles, conduite sur cent patients – 88 femmes et 12 hommes –, montre que la conscientisation des agressions sexuelles s’est faite chez 40,7 % des patients au-delà du délai de prescription et que, dans 90 % des cas, la possibilité de parler n’est survenue qu’après un long, voire très long, travail thérapeutique de réparation.

Quant au parallélisme établi entre les infractions sexuelles et les infractions clandestines, toute extension du champ de ces infractions doit être envisagée avec attention, sous peine de mettre en péril le régime juridique déjà fragile des infractions clandestines, qui, parce qu’il est de source prétorienne, fait l’objet de nombreuses critiques.

Il est en effet reproché à cette jurisprudence, qui s’applique surtout aux délits d’affaires, d’être contraire au principe de légalité. Malgré cette critique, la solution adoptée par la jurisprudence est, dans la pratique, cohérente ; elle permet notamment de sanctionner la « criminalité des cols blancs » et de poursuivre un type de criminalité très technique.

Cette théorie relève d’une idée qui n’est pas fausse, qui correspond à la philosophie de la prescription. Cependant, l’absence de définition législative a rendu difficile la détermination d’un critère objectif caractérisant les infractions clandestines. Aussi, la solution du report du délai de prescription pour certains délits peut paraître arbitraire en ce qu’elle ne concerne qu’une partie des infractions, comme le souligne en filigrane nos collègues Muguette Dini et Chantal Jouanno dans leur proposition de loi.

Pour autant, doit-on considérer que les agressions sexuelles relèvent des infractions clandestines ? Pour le déterminer, il faut tenter d’identifier les critères que retiennent les juges pour évaluer ce qui dépend de cette catégorie ou non.

La plupart du temps, le caractère de « clandestinité » concerne l’acte incriminé lui-même, c’est-à-dire son élément matériel. Cet acte, cet élément matériel, a fait l’objet de manœuvres de la part de l’auteur pour dissimuler l’infraction. Dès lors, on peut considérer que les infractions sexuelles ne relèvent pas de la catégorie des infractions clandestines, car l’occultation liée souvent aux agressions sexuelles ne relève pas de l’acte répréhensible lui-même ; elle dépend de la victime, comme cela a été rappelé.

La référence à la clandestinité, notamment pour ce qui concerne les délits d’affaires, faite dans l’exposé des motifs ne peut donc être retenue, mais il est vrai que l’idée se conçoit tant l’absence de définition législative engendre des confusions.

Et la confusion figure parfois même dans la législation. En effet, la loi du 14 mars 2011 a introduit un article dans le code de procédure pénale disposant que, s’agissant des personnes vulnérables, le délai ne court qu’« ’à compter du jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique » pour certains délits.

En l’occurrence, la vulnérabilité, qui ne se trouve pas dans l’élément matériel de l’infraction mais concerne la victime, conditionne bien la clandestinité au prix d’une certaine dénaturation de cette dernière. Les infractions clandestines tiennent donc à l’ignorance de leur existence par la victime et le ministère public.

Comme je vous le disais, de nombreuses affaires révèlent les difficultés des différents régimes de prescription en matière pénale. Ces difficultés dépassent, mais englobent aussi, les infractions sexuelles.

Voilà quelques jours, une cour d’appel, statuant sur renvoi après cassation, a tenu tête à la haute juridiction concernant le report du point de départ du délai de prescription dans une affaire d’infanticide. Les juges de la cour d’appel, qui ne doutent pas qu’ils seront censurés une seconde fois, appellent implicitement à une réforme.

Une réflexion a déjà été menée : un rapport d’information sur la prescription, fait au nom de la commission des lois, a été déposé le 20 juin 2007, ainsi que l’a évoqué M. le rapporteur. Je vous propose, mes chers collègues, de nous en saisir, afin de trouver des solutions pérennes, rationnelles et rassurantes à l’ensemble de ces situations.

En attendant, vous l’aurez compris, les membres du groupe CRC s’abstiendront sur la présente proposition de loi telle qu’elle est rédigée : même si nous partageons le constat, nous doutons du dispositif proposé.

Pour terminer, permettez-moi d’évoquer les trois amendements de la commission dont l’adoption reviendrait à rédiger un nouveau texte.

Les agressions ou crimes sur mineurs sont des actes graves, mais, nous le savons, l’allongement du délai de prescription ne diminuera en rien leur nombre, contrairement à ce que nous avons entendu. Pour parvenir à un tel résultat, il faut en effet agir en matière de prévention et aider à délier la parole. En l’espèce, des progrès sont encore possibles, car, ne l’oublions pas, le viol n’a fait son entrée dans le code pénal qu’en 1992 !

Par ailleurs, le temps nécessaire pour s’émanciper de la cellule familiale qui a été évoqué pour justifier le dépôt de ces amendements peut aussi l’être pour une victime majeure. Je pense au mariage forcé, qui est un viol en soi. Peut-on justifier qu’un mineur âgé de dix-sept ans puisse agir pendant trente ans et qu’une personne âgée de dix-huit ans ne puisse le faire que pendant dix ans ?

Enfin, si l’amnésie traumatique touche très fortement les enfants, elle concerne également les adultes.

L’argument invoqué ce matin par la commission pour rejeter le texte initial – on ne saurait modifier un délai de prescription sans l’intégrer dans une réflexion globale – peut donc aussi être opposé aux amendements qui nous seront soumis ultérieurement.

Au final, même si la réponse apportée est peut-être, nous l’avons dit, maladroite, la question initiale posée par nos collègues est réelle : à partir de quand faut-il faire courir le délai de prescription ?

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