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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Simplification du droit par ordonnance : question préalable

Par / 6 mai 2003

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Cette question préalable, qui a pour objet le rejet du projet de loi porte tant sur les mesures qui nous sont proposées, mais aussi et surtout que sur le contexte dans lequel ces mesures sont prises.

L’utilisation de l’article 38, je reviendrai sur ses modalités de mise en œuvre, est un moyen, pour le gouvernement, de se substituer au législateur, il est une atteinte aux principes républicains au premier desquels figure la séparation des pouvoirs.

Cet article 38, les parlementaires communistes l’ont toujours dénoncé, quels que soient les gouvernements qui les mettent en œuvre.

Cette constance, dans notre attitude, est à souligner, tant l’attitude changeante de certains qu’ils soient aux affaires ou non, est surprenante et je dois dire choquante sur le plan éthique.

Aujourd’hui, l’utilisation de cet article 38 qui, je le rappelle, précise que « le gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi », intervient alors même que nous assistons à une dévalorisation du débat démocratique au sein du parlement.

Nous avons éprouvé depuis des mois maintenant, la méthode du gouvernement de M. RAFFARIN. Elle procède, il est vrai, d’une entreprise de communication très professionnelle, les effets d’annonces, seuls projets gouvernementaux, donnent l’illusion de débats, avant que les parlementaires ne soient informés et, bien entendu, avant même qu’ils confrontent leurs opinions.

Une fois les projets soumis aux parlementaires, on voit en réalité que le débat est réduit de portion congrue. Depuis le mois de juillet dernier, gouvernement et majorité ont combiné procédure d’urgence et vote conforme sans retenue ! Et sur des sujets particulièrement lourds : loi sur la justice, la sécurité, décentralisation, mode de scrutin…
La cadence imposée aux travaux parlementaires, confine plus encore l’Assemblée Nationale et le Sénat dans leur rôle de chambre d’enregistrement des projets de loi et non pas de lieu d’élaboration de la loi.

Les commissions, les parlementaires disposent-ils réellement de temps pour prendre le pouls de notre pays sur tel ou tel projet. De toute évidence, non.
Le retour de l’article 49-3, son utilisation mouvementée, par M. RAFFARIN, à l’occasion d’un texte qui, par principe, aurait dû y échapper puisqu’il s’agissait d’une réforme électorale, marqua de manière encore plus nette la volonté du gouvernement d’imposer, coûte que coûte, son point de vue aux assemblées.

49-3, urgence, vote conforme, cadence renforcée et précipitation, le bilan de 10 mois de débats législatifs est particulièrement négatif sur le plan des respects des droits du parlement.
Ces propos, M. le Président, MM. les Ministres, ne relèvent pas de l’affabulation d’opposants systématiques et partisans. Des membres éminents de l’UMP, à commencer par le Président de l’Assemblée Nationale, M. Jean-Louis DEBRE, ont émis le souhait d’un allégement de l’ordre du jour et d’une meilleure considération du parlement.

Or, avec le projet dont nous entamons la discussion, le gouvernement répond de manière curieuse à M. DEBRE et à tous ceux qui s’inquiètent des mauvaises conditions du débat parlementaire. En effet, le gouvernement allège le travail des assemblées en leur retirant compétence législative sur un nombre particulièrement élevé de questions.

Ne l’oublions pas, lorsque le parlement autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance, il s’auto-mutile.
Ce débat constitutionnel n’est pas technique.
Les habitants de notre pays doivent être informés du fonctionnement des institutions.
La Constitution de 1958 a été à juste titre dénoncée comme une Constitution autoritaire qui concentre beaucoup trop de pouvoirs aux mains de l’exécutif.

La restriction du domaine législatif au profit du domaine réglementaire par la répartition effectuée pour les articles 34 et 37 de la Constitution, manifeste cette volonté, tout comme les articles 49-3 ou 44-3 qui permettent au gouvernement de couper court ou de corseter les discussions.
L’article 38, dont l’utilisation devrait être exceptionnelle, vient parfaire cet arsenal dont dispose le pouvoir exécutif.

Il est indéniable que le caractère autoritaire de la Constitution de 1958 a participé de manière importante au sentiment, fondé, de l’éloignement des centres de décision.
Le parlement, qui est censé être le moyen d’expression permanent de la démocratie, est écrasé par le couple Président de la République/gouvernement.
Il ne dispose plus réellement des moyens d’assurer la fonction de représentation démocratique.
Je l’évoquais tout à l’heure, les critiques de l’utilisation de l’article 38 sont parvenues de tous les bancs, bien entendu, plus ou moins sévère selon la période politique.

Le 25 octobre 2000, venait en débat un projet de loi d’habilitation autorisant le gouvernement à transposer 51 décrets européens.
Notre groupe qui avait également déposé à l’époque une question préalable, n’avait pas été le seul à s’élever contre l’abaissement des pouvoirs du parlement.
M. HOEFFEL, alors Rapporteur de la Commission des Lois, n’y avait pas été par quatre chemins. Il s’interrogeait « Au fond, n’est-ce pas la démocratie qui est en cause ? » Il expliquait : « La multiplication des habilitations est périlleuse, car il existe un risque que les ordonnances ne soient jamais ratifiées par le parlement. »

Et M. HOEFFEL concluait, dans son rapport écrit « à une banalisation périlleuse du recours aux ordonnances ».
M. HOEFFEL avait été suivi, à l’époque, par l’ensemble de la majorité sénatoriale, à commencer par les rapporteurs pour avis. M. RICHERT avait rappelé les réserves de la Commission des Affaires culturelles sur le recours aux ordonnances et M. PONIATOWSKI avait même évoqué « l’escamotage du débat ».

M. HAENEL, enfin, dont nous connaissons et saluons l’engagement parlementaire, avait déclaré, je le cite, « même si le recours aux ordonnances est une procédure constitutionnelle, nous ne devons pas sous-estimer l’ampleur de l’atteinte qui est portée aux droits du parlement. »
Ces critiques sévères et nombreuses, se sont évaporées avec le changement de gouvernement.
M. SAUGEY le Rapporteur de la Commission des Lois, se contente de noter que « l’habilitation demandée s’avère particulièrement importante ».

C’est bien le moins qui puisse être fait, alors que 30 lois doivent être édictées dans le cadre de cette habilitation et 15 codes modifiés et créés.
M. PLAIGNOL, lui-même, avait d’ailleurs reconnu que « cette loi était d’une ampleur sans précédent sous la Vème République. »
M. Pascal CLEMENT, Président de la Commission des Lois, avait tout de même émis une critique un peu plus forte.
Il a considéré, en effet, « que la méthode retenue pouvait susciter des interrogations et des inquiétudes, l’habilitation législative demandée revêtant une ampleur sans précédent. »
Nous sommes pourtant bien loin des critiques de l’année 2000.

Comment apprécier cette évolution radicale de l’opinion de la majorité sénatoriale : s’agit-il de la mise au placard d’arguments de circonstances ? C’est possible.
Je crois, cependant, que cette attitude dénote le phénomène plus grave que M. HAENEL avait, à sa manière, précité en 2000. Ce sont les droits du parlement qui sont en cause et la majorité, aujourd’hui, accepte cette attaque contre l’institution parlementaire, car elle prend place dans un remodelage d’ensemble des institutions nationales au sein du cadre européen.

Comment ne pas s’interroger sur la place du parlement national dans la nouvelle « organisation décentralisée de la République », chère à M. RAFFARIN.
Quel sera le futur cadre d’expression collectif de la démocratie dans une France écartelée entre les décisions européennes et les potentats locaux.
La nouvelle gouvernance prônée par le Premier Ministre, s’apparente de plus en plus à un émiettement de la démocratie.

Certains s’inquiètent de société post-démocratique, où règneraient l’apparence de débat, la manipulation médiatique et où triompherait l’intérêt particulier au détriment de l’intérêt général. Ils ont raison.
La restauration des pouvoirs du parlement constitue un enjeu démocratique considérable.
L’utilisation massive de l’article 38 annoncée par le gouvernement s’avère donc dangereuse.

Utilisation massive puisque, au-delà du présent texte, le gouvernement annonce un second projet d’habilitation pour l’automne, également très vaste, puisqu’il concernerait la modernisation du droit administratif, et comporterait un volet social important.
Par ailleurs, au moins, une loi d’habilitation serait présentée chaque année.
Nous assistons, sans nul doute, à un dévoiement de la Constitution qui, de fait, donnait un caractère exceptionnel à l’utilisation des ordonnances.

L’intégration dans le projet de loi, à l’initiative de MM. MADELIN et NOVELLI, d’un article 1er A instituant un conseil de surveillance chargé, en quelque sorte, d’accompagner la réforme de l’Etat, dans le cadre des ordonnances en bonne et due place du parlement lui-même nous inquiète tout particulièrement et révèle les intentions du gouvernement, car il s’agit bien, à l’origine, d’une suggestion de M. PLAIGNOL.

Vous l’aurez constaté, ma question préalable tend au rejet d’un texte qui s’inscrit dans un mouvement plus général de mise en cause du droit du parlement et par là même, de redéfinition de l’architecture institutionnelle de notre pays.

Mon amie, Josiane MATHON a précisé, lors de la discussion générale, les différents poins du projet qui auraient nécessité une discussion approfondie au sein du parlement. Nouvelle réglementation des marchés publics, réforme hospitalière, seuils d’effectifs dans l’entreprise, droit de licenciement, et bien entendu, réforme de l’Etat, ne peuvent pas, d’un point de vue démocratique, ne pas être soumis au débat parlementaire.

La promesse de débats a posteriori sur les lois de ratification, s’apparente à l’arlésienne. On en parle beaucoup, mais on ne les voit jamais.

De plus, comme l’indiquait M. HOEFFEL il y a deux ans, la multiplication des habilitations entraînera de fait la raréfaction des ratifications. En effet, si ces dizaines de lois étaient ratifiées, l’ordre du jour serait tout autant encombré.

M. le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, si aujourd’hui nous signons un blanc seing au gouvernement l’autorisant à légiférer par ordonnance sur ce que bon lui semble, aujourd’hui comme demain, nous prendrions une lourde responsabilité quant au devenir de l’institution parlementaire.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen prennent eux, leurs responsabilités. Ils vous proposent le rejet de cette loi par le vote de sa question préalable.

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